vendredi 18 novembre 2011

Heureuse au fond de sa poubelle

Je me souviens de deux de mes révoltes d'enfant: d'abord, je me plaignais que les garçons aient droit à des jeux "pour de vrai", alors que les nôtres étaient toujours pour "de semblant". Ensuite, la chanson "Trois jeunes tambours" me faisait beaucoup de peine. J'avais bien repéré, sans avoir encore les mots pour le dire, que c'était un combat de prestige entre deux mecs, et je trouvais terriblement injuste que la "fille du roi" en soit l'enjeu malheureux, son sort étant aussi indifférent à son père qu'à son amoureux éphémère. En vrai, et sans trop oser le dire, vu le prestige des princesses, je la trouvais conne aussi: pleurer "toute sa vie" pour un pareil goujat?

C'est pas si grave, bien sûr, jouer, c'est jouer, peu importe à quoi et on y prenait de vrais plaisirs à nos jeux nunuche. Et "trois jeunes tambours" c'était qu'une chanson après tout. Finalement, avec le recul, je m'aperçois que j'avais mis le doigt sur deux piliers de notre oppression. Nos jeux nous préparaient à notre rôle de bobonne, et ceux des garçons, par la plus grande liberté qu'ils leur laissaient, visaient à les "aguerrir". Quant à la chanson, elle dévoilait le destin de bien des femmes, à jamais dépendantes propriétés d'un mec, voire de deux qui se les disputent sans aucun égard pour leur personne. Comme dans cette bande dessinée, où "Paulette" fait le ballon entre deux équipes, l'une qui lui veut du mal, l'autre qui lui veut du bien.

Cette petite fille, souriante dans sa poubelle, m'a complètement ahurie par son ambiguïté. Il est même impossible d'en faire une critique raisonnée, tant elle touche profond en moi. Quelle que soit la volonté du publicitaire, je lis "A la poubelle, et heureuse d'y être". Bien sûr, les gentilles filles font ce qu'on leur dit, elles trient les ordures et mettent bien ce qu'il faut là où il faut, quitte à se mettre elles-même au fond d'une poubelle, alors que les méchants garçons, ben i font nimp, et on doit les rééduquer. Un peu, pas trop, sont tellement mignons avec leur sourire diabolique, comme sont mignonnes d'ailleurs les filles, résignées au fond de leur poubelle.

La vidéo m'a encore plus ahurie. Loin du cynique "jeune tambour", voilà que le héros de papier va rejoindre sa belle pour un recyclage romantique, et que sur la dernière image, on les voit tous deux sombrer, ensemble, dans une indifférenciée pâte à papier. Une allégorie de la crise, qui broierait, l'un après l'autre, et de façon égalitaire, les filles comme les garçons?

Et m'embêtez pas, hein, la pub, c'est fait pour nous faire rê-ver, alors je rêve. Comme il y a des contes d'avertissement, il y a des rêves d'avertissement.

mercredi 5 octobre 2011

Sportifs du matin, chagrin

Je m'intéresse peu au sport d'habitude. Sauf randonnage et jardinage que je pratique régulièrement. Mais là, je viens de lire un truc que je veux vous faire partager, ya pas de raison que je sois la seule à faire gloups, mi effarement, mi rage: je vous le dis tout net, Valérie Solanas, c'était une midinette, finalement, avec son SCUM manifesto.

Acrimed a pris la peine de transcrire des commentaires prétendument sportifs sur une radio que je considère comme désormais déshonorée... pouah! Je dois leur dire deux fois merci. Merci pour l'information, et merci, j'ai ma dose.

jeudi 29 septembre 2011

Charmante et insuffisante

Je devrais pas ouvrir mon ordi aux aurores. Ça me met rarement de bonne humeur. La perle de ce matin (chagrin), je ne résiste pas à la partager avec vous:

Le Monsieur envisage dès maintenant de se présenter aux législatives: il ne veut pas bâcler sa campagne car il respecte ses électeurs (mais pas ses électrices, vous allez voir). En fait, il a déjà repéré, comme une bagnole qui cherche parking, quelqu'un qui pourrait libérer une place: un député qui ne se représentera pas. Une femme (hein? une femme?) sera peut-être la candidate. Ce qui autorise au Monsieur cette réflexion délicate:

"(...) une femme, en l’occurrence son assistante parlementaire, toute jeune élue de Z..., charmante mais …cela risque de ne pas être suffisant !"

Insuffisante et charmante, ça commence fort, non? En tout cas, voilà une double étiquette que le Monsieur ne craint pas. Charmant... aucun risque. Insuffisant, certainement pas. Il est au contraire très "suffisant".

Bouffi de suffisance.

mardi 10 mai 2011

Trombinoscope

J'avais accordé une attention très superficielle aux élections cantonales. Comme je l'ai dit ailleurs, contrairement à ces catholiques qui se disent "croyants, mais pas pratiquants", je suis en matière de religion électorale pratiquante mais non croyante. Or, je viens de recevoir le numéro de mai de la revue de "mon" conseil général. Un magnifique trombinoscope en couverture. La nouvelle assemblée départementale. Et là, ça me frappe comme une gifle: des mecs, rien que des mecs. J'y crois pas. Je vérifie et je compte. Soixante photos. Huit photos de femmes.

On peut rajouter que nombre d'entre eux ont bien sûr dépassé la cinquantaine, et que, côté minorité "visible", comme ils disent, c'est plutôt invisible.

ET C'EST POUR ÇA QUE J'AI VOTÉ!

dimanche 10 avril 2011

IVG: Elles vont bien, merci. Mais...

Le blog vient d'ouvrir. Quelques témoignages, déjà. De femmes qui ont avorté, qui n'ont jamais regretté leur décision, qui vont bien aujourd'hui, cinq ans, dix ans, vingt ans plus tard. Mais qui n'ont pas oublié qu'on les a traitées comme des coupables, qu'on ne s'est pas soucié de leur douleur. Qu'on leur a bien fait sentir qu'une patiente venue pour une IVG n'a pas droit aux mêmes égards que les autres.

D'autres témoignages vont venir enrichir le contenu de ce blog. Vous pouvez y participer si vous le souhaitez. Ne laissez pas d’informations qui, croisées, permettent de vous identifier (sauf si vous y tenez) mais dites-nous un peu qui vous étiez à ce moment-là (âge, catégorie professionnelle, situation sentimentale…). Notre liberté d'avortement est contestée, soit ouvertement par les commandos anti-IVG à la porte des hôpitaux, soit plus sournoisement par des embûches, des délais, des fermetures de centres parmi les plus respectueux, des comportements peu déontologiques, soit encore par une dramatisation orchestrée, les femmes ne s'en remettraient pas, le nombre d'avortements serait en hausse (faux) il toucherait de plus en plus d'adolescentes (très légère augmentation d'un chiffre déjà bas, mais comment l'analyser?).

Jamais on ne rappelle que le nombre d'avortements clandestins, on ne l'a jamais su. Les 343 l'évaluaient à un million. D'autres parlaient de 500.000. Aujourd'hui, c'est 220.000, et le chiffre stagne, car si le nombre des grossesses imprévues baisse, signe d'une contraception plus efficace, elles sont plus souvent interrompues qu'avant. Ce qui est sûr, c'est qu'on n'en meurt plus.

Combien en en mouraient, combien en restaient stériles ou durement traumatisées, à l'époque des avortement clandestins, en clinique privée à l'étranger pour celles qui avaient les moyens et les relations, chez une avorteuse plus ou moins propre pour celles qui réussissaient à réunir le fric nécessaire, ou par leurs propres moyens, parfois aussi barbares qu'inefficaces pour les malheureuses sans appui et sans argent? On ne l'a jamais vraiment su non plus.

J'ai comme le sentiment que certains voudraient revenir à cette époque bénie des dieux. Vigilance et détermination, ne laissons pas faire.

mercredi 6 avril 2011

Une affaire de femmes

Elles sont déjà 343, clin d'oeil à 1971. Elles vont bien, merci. Allez lire, allez signer leur texte.

On a fêté hier l'anniversaire de ce coup d'éclat de 343 femmes ayant avorté illégalement et le revendiquant publiquement. Un an plus tard, le procès de Bobigny. En 1973, le manifeste de 331 médecins déclarant avoir pratiqué des avortements illégaux et continuer à le faire. Puis, pendant deux ans, des milliers de militants et de militantes du MLAC entrant dans la désobéissance civique, pratiquant et aidant à pratiquer des avortements par la méthode Karman, découvrant ébahi(e)s la simplicité d'un acte dont tant de femmes étaient pourtant mortes, victimes d'une loi scélérate. Enfin, en 1975, la loi Veil, victoire en forme de retour à l'ordre.

Je fais partie de la génération pour qui la loi Veil a été une immense victoire, qui s'est battue pour ça. Si vous la relisez, la loi Veil, vous verrez pourtant que bof, elle mérite pas l'honneur qu'on lui fait. elle est bien restrictive, bien moraliste. Pleine de précautions oratoires, on devine l'intensité de la pression des anti. Elle dit, textuellement que peut solliciter de son médecin une IVG:

"La femme enceinte que son état place dans une situation de détresse..."

Dès le début de l'application de cette loi, nous avons dû ferrailler de nouveau contre ceux qui voulaient estampiller notre détresse, nous avons dû lutter pour faire reconnaître que seule la femme pouvait juger de son propre état de détresse, que le seul fait d'être enceinte contre sa volonté pouvait mettre dans une situation de détresse.

Nous avons gagné, car la loi ne demandait pas, en effet, des preuves de détresse, mais précisait au contraire:

"Une femme s'estimant placée dans la situation visée à l'article L. 162-1... "

Cependant, nous avons dû, en permanence, affronter deux types opposés d'arguments sournois. Le premier, que les femmes allaient, scandaleusement, avorter comme on prend le thé, avec des petits fours. "Tu comprends, j'ai connu une femme qui avortait parce qu'elle préférait changer de canapé, ayant pas les moyens de faire les deux". Ah bon, une femme qui préfère un canapé à un enfant, faut l'obliger à faire un enfant? Merci pour le môme, hein! Je jure que l'histoire du canapé est véridique. Yavait aussi celle de la bonne femme qui veut se baigner sur la côte d'Azur aux prochaines vacances, à l'époque pas question d'exhiber son gros ventre sur une plage. Elle en refera un dans six mois. Bah!

L'autre catégorie d'arguments, c'était que l'avortement était et resterait un drame affreux. Quand même un infanticide, quoi. Qu'aucune femme n'en sortait indemne, que le remords allait la poursuivre, la rattraper, la terrasser. Faut quand même choisir, hé? Ou bien elles s'en foutent complètement (les salopes!) ou bien ça ruine leur vie à tout jamais (les malheureuses!). Ben, les deux, tiens. d'abord elles avortent, comme des connes, sans y accorder d'importance. Ensuite, la punition divine, schlak, dans ta face!

Quarante ans après, qui revoili-revoilou? Les mêmes, rien appris, rien oublié.

On a quand même gagné ça, les filles, on n'en meurt plus.

Mais soyons vigilantes, ils sont bien capables de faire que l'avortement redevienne un drame qui brise les vies, ça les défrise que ce soit devenu quasi sans danger. Ils aimeraient bien qu'on recommence à trembler d'angoisse au moindre retard de règles.

De très vieilles ombres sont de retour et nous fixent sans trembler.

mardi 8 mars 2011

Clara Zetkin

"En août 1910, lors de la deuxième conférence internationale des femmes socialistes à Copenhague, elle propose la création de la « Journée internationale des femmes », une journée de manifestation annuelle afin de militer pour le droit de vote, l'égalité entre les sexes, et le socialisme. Cette initiative est à l'origine de la journée internationale des droits des femmes, manifestation qui se déroule tous les ans le 8 mars."

Merci à Wikipédia, un des rares liens non commerciaux que l'on trouve encore sur Google.

Ce sera ma contribution, modeste et sobre, à tout ce qui va être déversé en ce jour mythique, 99% de scories et de stupidités, mille fois entendre "Journée de LAFÂME", mille fois rectifier (ou pas) journée DES femmes, mille roses, trousses de maquillage, dessous coquins proposés ou achetés. Mille plaisanteries même pas drôles.

Il fait soleil, j'ai une petite rando-jonquilles sur le feu, je vous laisse.

samedi 11 décembre 2010

Des manifs et des femmes

C'est une affiche dans une manif. Un dessin assez élaboré. Au milieu, une femme. Derrière elle, un évier plein de vaisselle. Sale, on imagine. A ses pieds, un énorme tas de linge. Sale, on suppose. Un gamin accroché à ses jupes (ou à son pantalon, peut être bien, on est à l'époque où la jupe n'est pas redevenue un must féministe. Sur les bras, un autre marmot, bien calé sur son gros ventre dans lequel on en devine un troisième, pas tout à fait mûr mais presque. Comme elle a les deux mains prises (une casserole dans celle qui tient pas le bébé?) elle a coincé le téléphone entre le menton et l'épaule, ça lui donne un air accablé, genre "La repasseuse" de Picasso. Elle dit "non.... non.... il est pas là..... non.... il est à une manifestation en faveur des peuples opprimés".

On est en 1973 je pense. Je suis "montée à Paris" Pour une manif du MLF. On a plus ou moins co-voituré avec des copains qui eux, se rendaient à un truc militant, des cadres de chéplukel groupuscule. On se retrouve dans un café. Je raconte la pancarte, je la trouve excellente, j'ai pas mal de copines, femmes de militants, qui se font copieusement marcher dessus sous prétexte de révolution. Le mec qui me répond, c'est un pur. Je vous dirai pas comment il a évolué depuis, je suis pas sûre, c'est des racontars de bonne femme, peut-être. En tous cas, il est pas content, mon affiche culte, ça le fait pas rigoler du tout.

"Ah, mais, ça dépend!" Le ton est hautain, docte. Supérieur.

"ÇA DÉPEND S'IL EST ALLÉ À LA MANIF POUR SON PLAISIR.... OU PAR DEVOIR RÉVOLUTIONNAIRE"

jeudi 2 décembre 2010

Parole de femme

Chaminou commente chez moi, je vais voir chez elle. et je tombe, entre autres, sur une très vieille connaissance: le bouquin d'Annie Leclerc, "Parole de femme". Quoique je n'aie plus ouvert ce livre depuis de nombreuses années, je sais exactement, d'instinct, où le retrouver. Si ça ne vous paraît pas miraculeux, c'est parce que vous ne connaissez pas ma manière de (ne pas) ranger mes livres: je les sors, je les (re)lis... ou pas, je les laisse traîner ici ou là, puis un jour je fais un gros paquet, de la place sur une étagère en recasant là où ya des trous et basta.

Donc, Annie Leclerc. "C'est une parole si neuve..." écrit-elle dès la première page. C'était en effet une parole bien neuve. Après des années de féminisme désincarné (puisqu'on nous tient par l'utérus, exit l'utérus!), voilà qu'une femme découvrait, revendiquait avoir un corps. Parler de son corps. Ne pas dissocier son corps de sa parole.

Malgré (à cause de?) l'éblouissement que fut son bouquin, j'ai oublié Annie Leclerc. L'article de "Périphéries" me parle d'une inconnue. Pourtant, quelque chose me convient très bien: à propos de "Parole de femme", Mona Cholet parle d'un "pas de côté"

Bon, je vais relire tout ça, non? Merci Chaminou.

lundi 29 novembre 2010

Froufrou, froufrou

Froufrou, froufrou, Par son jupon la fââââme, Froufrou, froufrou, De l'homme trouble l'ââââme

Elle date de 1908, quand même, cette charmante chanson, j'espère que vous aurez du plaisir à la réécouter, toute une époque.

Je n'ai pas porté de jupe le 25 novembre, je fais partie de la génération à qui le pantalon était interdit, je me rattrape, surtout l'hiver. Mon lycée, lycée de filles comme il se doit (quoique public, héhé), interdisait les pantalons. Mais, par un souci humanitaire qui l'honorait, les tolérait "à condition qu'ils soient de couleur sombre et de coupe classique" pour celles qui venaient de loin à bicyclette. C'était mon cas, cinq kilomètres et les genoux bleus à l'arrivée. Ouf!

Certaines en abusaient, de cette tolérance, elles habitaient à deux pas du lycée et auraient bien pu se geler les miches cinq minutes, nanmého? Yavait même des rebelles, des insolentes. A la surgé qui l'interpellait "Mademoiselle, les pantalons sont interdits au lycée!" une de ces résistantes avait répondu d'une voix gouailleuse, avec un accent parigot très chic dans cette province profonde:

"Ben j'fais quoi, m'dame? J'le quitte?".

jeudi 7 octobre 2010

Polygamie?

Fille d'une mère vietnamienne et d'un père français, elle a encore, quarante ans après, des larmes dans la gorge quand elle se souvient du jour où son père a quitté sa mère pour une autre femme. "Je devais partir avec lui, mon frère restant avec ma mère. J'avais six ans, mais j'ai tout compris, je ne pouvais pas abandonner ma mère dans une telle souffrance. Je me suis cachée chez des voisins, je suis restée avec elle". Très longtemps après, elle a retrouvé son père, fait la paix avec lui, elle prend aujourd'hui soin de lui au quotidien. Mais en me racontant cette histoire, son ancienne rancune affleure Comment avait-il pu faire ça? Pour moi, "ça", c'est l'infidélité, l'autre femme. Je m'étonne: "Ton grand père était polygame, pourtant, tu avais l'air de trouver ça normal?"

Ses yeux s'agrandissent: "Mais ça n'a rien à voir! mon grand père n'aurait jamais abandonné une de ses femmes!"

mardi 13 octobre 2009

Deux femmes, ça va, plus ça poserait problème!

Sur son dernier bulletin d'information (sept - oct 2009) le Conseil de l'Ordre des médecins gratifie ses lecteurs d'une étude sur la démographie médicale. Ce qui saute aux yeux quand on regarde la pyramide des âges, outre un très net rétrécissement de la base, c'est que le nombre de femmes est en constante augmentation chez les médecins.

1374 pour 5519 chez les plus de 65 ans

7455 pour 22238 chez les 60-64 ans

14544 pour 27550 chez les 55-59 ans

15771 pour 25123 chez les 50-54 ans

13426 pour 17663 chez les 45-49 ans

10811 pour 10884 chez les 40-44 ans (eh eh, on approche la parité)

15207 pour 12151 chez les moins de 40 ans (ah ben non, la voilà dépassée, du coup c'est plus la parité!)

Ce qui, pour l'instant, donne au total 61% d'hommes et 39% de femmes, mais on va vers un renversement des proportions. Impossible de savoir si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle, on sait que les professions qui se féminisent se dégradent et que les professions qui se dégradent se féminisent. Mais quand même, on peut espérer que plus de femmes médecins, c'est (peut-être) plus d'écoute et plus de respect pour les femmes malades, ça s'est vérifié pour les bébés, qui sont devenus des "personnes" lorsqu'il y a eu un nombre significatif de pédiatres-femmes, et aussi lorsque les médecins-pères se sont mis à s'intéresser à leurs rejetons avant qu'ils entrent en fac de médecine. Il y a probablement de nombreuses autres conséquences de cette évolution qui mériteraient d'être examinées.

Pourtant, et c'est étrange, l'article qui entoure cette très signifiante pyramide ne commente que la diminution, impressionnante il est vrai, du nombre des médecins, donc le vieillissement de la profession, puis la diminution des médecins qui s'installent en libéral, préférence donnée aux remplacements et à l'exercice salarié, et les disparités régionales, qui continuent à se creuser.

Pas un mot (PAS UN MOT, j'ai relu l'article trois fois, j'y croyais pas) de l'évidente féminisation de la profession.

Mais le vrai gag, c'est une dizaine de pages plus loin: le trombinoscope du nouveau Conseil de l'Ordre qui vient d'être renouvelé au tiers: une bonne cinquantaine de photos, dont DEUX de femmes. Une pédiatre et une pédopsychiatre.

vendredi 6 mars 2009

Allaiter? Si je veux!

Quand ma fille aînée a eu deux mois, la pédiatre m'a dit: "Bon, c'est le moment de sevrer. Vous allez lui donner un biberon ce soir, deux demain, puis trois. A la fin de la semaine, ce sera fini." C'était en 1972, ça n'a pas fait un pli. Un, deux, trois, hop là! Pour la seconde, 1976, je n'ai même pas attendu la consigne de la pédiatre. Un, deux, trois... et pas hop là, elle était pas d'accord, la môme. Elle a fait la grève. Hurlé (au point que nous l'avons crue malade) quand on lui mettait dans la bouche cette étrange chose en caoutchouc. Puis dormi. Dormi. Diminué ses prises alimentaires, perdu du poids. Examens divers, prises de sang. Radios. Suspicions de ci ou de ça. Inquiétudes terribles, tous ceux qui ont un bébé de quelques mois imagineront facilement notre détresse. Puis la croissance a repris normalement. Tout est rentré dans l'ordre.

Je n'ai pas fait alors le rapport entre cet épisode inexpliqué et... un sevrage mal accepté, tout simplement.

Plus tard, je me suis dit: nos mères et nos grand mères allaitaient un an, deux ans, pourquoi nous on en serait plus capables? Pourquoi on aurait "plus de lait" ou alors du lait "pas assez nourrissant"? Parce que c'est l'explication qu'on nous donnait à l'époque pour nous convaincre de cesser d'allaiter, voire de ne pas commencer. L'inquiétude, la résignation anticipée. "Si j'ai assez de lait, j'aimerais bien allaiter". "Je me demande si mon lait est assez nourrissant". Pour ma seconde fille, j'avais commencé le sevrage croyant ne plus avoir de lait. Parce que, la phase aigüe où on sent la montée laiteuse, où elle peut faire mal, où on a les seins qui dégoulinent fort inopportunément parfois, cette phase était finie. Je ne "sentais" plus rien, car la lactation à la demande s'était installée. Mais j'ignorais ça, J'ignorais aussi que, même après avoir interrompu quelques jours, j'aurais pu reprendre l'allaitement devant les troubles alimentaires de ma fille.

Pendant la grossesse suivante, j'ai cherché des infos. J'ai découvert le livre de Marie Thirion, devenu par la suite un grand classique. J'ai potassé, j'ai "bachoté". J'ai choisi une maternité où l'allaitement était encouragé, où le personnel était formé, il n'y en avait pas tellement à l'époque. Décider d'allaiter, puis de continuer, de dépasser les huit jours réglementaires, d'outrepasser les deux mois (quelle audace) était une bizarrerie, à la limite une transgression. On se faisait abreuver d'histoires de mères fusionnelles qui gardaient le malheureux nourrisson suspendu à leurs mamelles contre son gré, ou de malheureuses qui se faisaient manipuler par des bébés tyranniques et ne parvenaient plus à s'en dépêtrer. Tant il est vrai que les poncifs concernant la mère la font toujours soit abusive, soit abusée... voire les deux, soyons pas chiches.

Au lieu de ça, j'ai découvert le plaisir de passer du temps dans la chaleur de mon bébé, même le chat profitait de l'ambiance en venant se nicher contre moi. Et un chat, ça s'y connaît en bien-être! j'ai découvert aussi une liberté insoupçonnée. Plus de biberons à laver, voire à stériliser (on faisait ça à l'époque). Plus de (coûteuses) boites de lait à acheter, plus de ruptures de stock le week-end. Plus de bagages compliqués à faire quand on se déplace, avec l'inquiétude d'oublier toujours quelque chose, de pas savoir où brancher le chauffe-bib, de pas trouver le même lait dans la pharmacie locale. On transporte sur soi tout ce dont on a besoin. Boire régulièrement, ne pas trop se fatiguer, mettre l'enfant au sein plus souvent si la lactation baisse un peu, et basta.

J'ai découvert aussi les tabous. C'était l'époque des seins nus sur les plages, et pourtant, quand j'allaitais mon fils, on me regardait avec une surprise vaguement dégoûtée. Le sein érotique, oui, le sein nourricier, non. A mesure qu'il grandissait (je ne l'ai pourtant allaité que neuf mois) s'y mêlait quelque chose de pas très sain, une quasi suspicion d'inceste. Même l'admiration "Tu l'allaites encore, c'est merveilleux!" finissait par me mettre mal à l'aise. Pour le quatrième, c'est à 20 mois que je l'ai sevré complètement, j'avais appris à résister à ces pressions subliminales. Il a toujours refusé le bib, préférant manger à la cuillère, et ne l'a découvert que plus tard, lors d'une très passagère crise de jalousie envers un petit cousin.

Quand mes deux filles sont devenues mères, la question ne s'est pas posée. Elles avaient décidé d'allaiter, elles allaitent, point barre. Je les sens beaucoup plus libres que moi de la pression sociale qui persiste pourtant. Mieux informées (merci internet), plus détendues. L'aînée a eu un pti coup de blues au début, parce que les premières mises au sein étaient très douloureuses, ce qui arrive parfois, et que la montée laiteuse, ben euh, c'est pas toujours très sympa. Elle s'est demandé si elle allait tenir, elle s'est posé la question d'arrêter. J'ai au moins pu la rassurer, ça n'allait pas durer, elle n'aurait pas mal en permanence, les seins allaient devenir moins sensibles, la montée laiteuse allait se réguler. Mais bien sûr, c'était à elle de choisir.

Et voilà que, sur Rue89, Renée Greusard se demande si "Allaiter, c'est féministe ou pas?". En voilà une question qu'elle est bonne!

Réfléchissons... Je ne me suis pas sentie spécialement féministe en allaitant, je me suis plutôt sentie femme, et femme sereine. Là où je me suis sentie féministe, c'est lorsque je rencontrais des obstacles ou des désapprobations. Parce que ces obstacles révélaient une grande méfiance envers les femmes, envers leurs corps, envers leur liberté. Les lieux communs oscillaient, comme toujours quand il s'agit de femmes, entre le soupçon d'incapacité, d'incompétence et la crainte de la toute puissance.

En tant que femme, en tant que mère et grand mère, en tant que citoyenne soucieuse du bien-être des jeunes enfants, en tant qu'ex professionnelle de la petite enfance, je suis totalement favorable à l'allaitement maternel. Je souhaite que, pour le favoriser, on cesse les pressions inadéquates (y compris les pression en faveur de l'allaitement), les insinuations démoralisantes. Je voudrais des professionnel(le)s mieux formé(e)s, depuis les médecins jusqu'aux auxiliaires de puéricultures. C'est pas complètement au point, ma fille s'est entendu, pas plus tard que la semaine dernière, ressortir le truc éculé du lait "pas assez nourrissant", alors que sa fille est pourtant dans une crèche qui a mis en place une organisation très au point pour que le bébé puisse continuer à bénéficier du lait de sa mère (une excellente initiative).

En tant que féministe, j'ai juste envie de dire "Foutez-nous la paix". Mais sur la base d'une information correcte et complète. Quelle liberté pouvons-nous espérer si l'information que nous avons est incomplète, voire erronée? Si de surcroît cette information est biaisée, volontairement, par ceux qui pourraient y avoir intérêt?

Les maternités reçoivent en effet un généreux pécule des laboratoires fabriquant le lait maternisé pour nouveaux-nés. Cette tradition, bien entendu destinée, au départ, à favoriser l'allaitement artificiel, a été peu à peu moralisée. Elle ne doit pas permettre de faire pression, des règles compliquées et paradoxales ont été édictées pour cela, un peu comme si on laissait un loup dans une bergerie en lui mettant une muselière. Serait pas content, le loup, essaierait de se débarrasser de la chose. Donc, ces labos suivent d'assez près les statistiques de l'allaitement maternel dans les maternités bénéficiaires de leurs largesses (dés)intéressées, et n'aiment pas trop voir ce chiffre monter. Je suis peut-être parano, mais je ne peux pas m'empêcher de voir, dans ces doutes que j'entends exprimer sur une "ambiance pro-allaitement" qui énerverait certaines féministes, un retour sournois de la liberté de commerce malmenée. En effet, une boite de lait maternisé de 900 grammes coûte 20 euros et dure environ une semaine. Si vous allaitez six mois (26 semaines) un bébé avec votre lait gratuit vous nuisez gravement à la liberté de commerce. 520 euros, c'est pas rien. Comment voulez-vous que la croissance reprenne?

Revenons à l'allaitement maternel: "Dans les faits, ça prend cinq heures par jour et ça fait mal" dit une de ces féministes, citée par Renée Greusard, tout en se disant favorable à l'allaitement maternel. Or, si ça peut faire mal à la mise en route pendant quelques jours, à cause de la sensibilité des seins et de la montée laiteuse pas encore régulée, ça ne fait bien évidemment pas mal tout le temps. Au moment où l'enfant saisit le mamelon de façon pas encore expérimentée, s'il coince le bout du sein entre ses (puissantes) gencives au lieu de le mettre en bouche, ça fait très mal, effectivement, pendant une fraction de seconde. Et une montée laiteuse, ça fait mal aussi, mais ça se surveille, ça se soulage, on peut aider à la réguler par quelques conseils simples. D'où la nécessité signalée plus haut de la bonne formation des professionnel(le)s. Quant à "prendre" cinq heures par jour, je vous laisse juges de l'utilisation du verbe "prendre". Et aussi, de décider si vous préférez donner du temps à votre enfant voire passer avec lui un moment agréable ou préparer des bibs, cette préparation incluant l'achat du lait et de l'eau minérale, les mesurettes qu'on sait jamais si on s'est pas trompé dans le compte, le nettoyage des bibs qu'il reste toujours des traces dans le fond ou dans le pas de vis, et tout le bazar. Pas sûr que les plus féministes d'entre nous arrivent à refiler à leur mec l'essentiel de ces corvées.

Mais je dois rendre justice à Renée Greusard, elle parle beaucoup plus des pressions anti-allaitement qui s'obstinent que de l'ambiance pro-allaitement qui menacerait notre liberté de choix. Et la conclusion, c'est que bien sûr, une femme allaite avec son corps tout entier. Et que son corps lui appartient, il faut (hélas) le rappeler à ceux qui voudraient en faire un instrument au service de leurs idéologies rétrogrades.

J'avais bien aimé deux petits dessins d'Annette Tison, celle des Barbapapas, où une nana répondait aux influenceurs pro-allaitement "M'en fous, j'ai pas envie", tandis que l'autre rétorquait aux anti-allaitement "M'en fous, j'ai envie".