mercredi 31 décembre 2008

Récupérer du crottin ... avec Fred Vargas

"Récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante"

Dans le champ qui est sous ma maison, celle de France bien sûr, un voisin met régulièrement ses chevaux. Et lorsqu'il les enlève, je vais chaque automne ramasser une brouette de crottin. Pas trop tôt car il faut que le crottin soit un peu sec, mais assez vite quand même car au bout de quelques jours le voisin passe la herse, pour éviter que chaque tas de crottin ne se transforme en touffe d'ortie.

Cet été, c'est avec mon petit fils, cinq ans aux dernières cerises, que je l'ai fait. Chausser des bottes, mettre des gants. Avec mon petit rossignol (j'avais dit roitelet, mais rossignol c'est bien aussi), on se partage une paire, main gauche pour moi, j'aime bien garder la sensibilité et la mobilité de la droite, main droite pour lui. Et nous voilà parti(e)s avec la brouette. Je suis un peu confuse de n'avoir pas une brouette assortie à l'atmosphère champêtre et désuète, genre "batifoler dans une prairie". Ma brouette est tout bêtement métallique, et même avec un pneu gonflable... dégonflé, bien sûr, en plus de pas être champêtre, j'entretiens mal mes outils.

Les chevaux sont partis depuis trois jours, il a fait un beau soleil, le crottin est à point. Nous cherchons la meilleure pente, passons sous le barbelé, et nous voilà à pied d'oeuvre. Le petit rossignol est d'abord un peu perplexe. Faut-il vraiment faire quelque chose d'aussi peu classique? Est-ce que j'ai le droit d'abord? J'imagine bien que sur les trottoirs parisiens, ses parents le dissuadent de prendre à pleines mains les crottes de chien, même avec des gants. Je songe pourtant à lui trouver une kyrielle de petits drapeaux tricolores pour les orner (message codé, allez voir ici pour comprendre). Donc, il me regarde faire, perplexe je l'ai dit, et légèrement dégoûté. Puis un petit éclair malicieux dans les yeux. Puis il rigole franchement. Enfin, il met la main à la pâte, avec précaution, avec délectation, avec ardeur.

Il saute d'un tas à l'autre, encore un ici, et un là, la brouette se remplit, la brouette est pleine, mais lui n'est pas encore rassasié. J'ai toutes les peines du monde à le convaincre de remonter à la maison, où nous viderons la brouette sur le tas de compost, pour améliorer son ordinaire d'épluchures et d'herbes folles (non grainées, attention) et avoir, au printemps prochain, de quoi fertiliser mon beau jardin, car il sera beau je vous le promets, sans concéder un centime d'euro à ceux qui empoisonnent notre terre.

Le petit roitelet est euphorique. Et là, je remercie chaleureusement Fred Vargas, car la découverte de son magnifique texte sur internet m'a fait remonter au coeur une bouffée de tendresse avec ce souvenir. Et oui, je le confirme, récupérer du crottin est une activité foncièrement satisfaisante. Vous le savez, j'ai tendance à saisir les graves problèmes de l'humanité avec les pincettes de l'anecdote et du futile, c'est ma petite résistance-colibri.

Mais je m'en voudrais, en terminant ma ptite bafouille, de ne pas vous donner accès au texte complet de Fred Vargas, qui mérite une très large diffusion par sa qualité littéraire, son contenu humain, et surtout par sa ferveur. Le voici donc:

Nous y voilà, nous y sommes. Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes. Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal. Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d'insouciance. Nous avons chanté, dansé. Quand je dis « nous », entendons un quart de l'humanité tandis que le reste était à la peine. Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés. On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu. Franchement on s'est marrés. Franchement on a bien profité. Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre. Certes. Mais nous y sommes. A la Troisième Révolution. Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie. « On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins. Oui. On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis. C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies. La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau. Son ultimatum est clair et sans pitié : Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu portées sur la danse). Sauvez-moi, ou crevez avec moi. Evidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix, on s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et honteux. D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de s'amuser encore avec la croissance. Peine perdue. Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais. Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, (attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille) récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est quand même bien marrés). S'efforcer. Réfléchir, même. Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire. Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde. Colossal programme que celui de la Troisième Révolution. Pas d'échappatoire, allons-y. Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante. Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas incompatible. A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie, une autre des grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut être. A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution. A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore.

Fred Vargas Archéologue et écrivain

Beuh, je suis un peu déçue, mon ordi a "aplati" la mise en page du texte, gommant du même coup une partie de sa force poétique. Alors, je vous rajoute un lien, pour vous permettre de lire le texte "entier", avec en prime une photo de Fred Vargas.

mercredi 15 octobre 2008

Lundi, des patates, mardi des patates...

Je me suis régalée du billet d'Agnès, et comme j'ai évoqué chez elle l'éventualité d'un billet sur la culture des pommes de terre pour "entrer en jardinage" quand on est un néophyte complet, je vais essayer de m'y coller.

Il faut d'abord que je vous raconte mes propres débuts en jardinage.

Il y avait 200 mètres carrés de terrain devant la maison de mes parents. Ce terrain, autre fois cultivé assidûment par mes grands parents, puis par un de mes oncles, était devenu une vague pelouse, envahie d'herbes non désirées. Je refuse le terme de mauvaises herbes, comment une herbe pourrait-elle être mauvaise? Un genre de terrain vague, les broussailles en moins car mon père tondait sans doute de temps en temps. Et les fleurs en plus, muguet, rosiers, des vivaces qui avaient sans doute survécu d'une époque plus faste.

A l'adolescence, je me suis mis en tête de remettre tout ça en place, on ne doute de rien, et heureusement, à cet âge. J'ai donc vaguement béchoté un carré de terre lourde et argileuse. Epuisée devant mon carré de boue qui devait bien faire un mètre carré de surface, mais euphorique quand même, je me suis acheté un paquet de graines de pensées. Je n'avais pas encore lu Prévert, ce qui explique ce choix désastreux.

Je les ai vaguement répandues sur la terre, et, comme mon petit fils le jour où nous avons semé ensemble des carottes, je suis revenue voir le lendemain ce qu'il en était. Puis le surlendemain, et encore le jour d'après. J'ai eu plus de chance (?) que mon petit fils, car très vite de vigoureuses et exubérantes touffes ont couvert mon mouchoir de poche. Relisant ce qui était écrit sur le sachet de graines "repiquer quand les plants ont atteint la grosseur de...", je les ai soigneusement repiqués, ces plants inespérés, et ils ont prospéré au delà de toute attente.

Jusqu'au moment où ils ont fleuri. Jaune. Des boutons d'or. Pour apprécier le dénouement, il faut savoir que le bouton d'or est une plante très envahissante dans les sols lourds. Elle y fait des touffes énormes, et surtout elle va à dame, comme les fraisiers, mais bien plus vite, c'est à dire qu'elle fait des stolons qui, après avoir un peu hésité en l'air sur le choix de leur prochain domicile, s'enracinent à 50 centimètres du pied mère, pour stolonner à leur tour. Une plante qui marche, en quelque sorte, mais qui reste en place en même temps.

Le terrain que j'avais "bêché" en était envahi, de ces renoncules, et ne connaissant rien au travail de la terre, je m'étais contentée de les enfouir, ce qui les a sans doute contrariées, sans plus. J'ai appris à les aimer, depuis. Elles prolifèrent sur les sols lourds, en effet, mais elles les allègent, et pourvu qu'on travaille une terre assez ressuyée, c'est à dire qui a perdu l'essentiel de son humidité sans être trop sèche, elles s'arrachent assez facilement, et comme elles ne tolèrent guère la concurrence, aucune autre herbe ne s'est infiltrée dans les interstices. Des jardinières auxiliaires, en quelque sorte.

Pourtant, ce jour là, je n'avais pas la sérénité acquise avec l'âge, et j'ai haï ces innocentes fleurs. Je me suis saisie d'un de ces plants, je l'ai planté tête en bas, racines en l'air, na! et j'ai pu admirer la force de vie de la nature: la plante se recourbant lentement, ses racines ont fini par toucher le sol et par s'y fixer... une plante à stolons, n'est-ce pas, ça a de l'expérience.

Quant aux pensées... quelles pensées?

Leçon de jardinage numéro un: désherber très soigneusement la terre qu'on travaille, n'y laisser aucune herbe susceptible de revivre, et surveiller le terrain dans la quinzaine suivante, pour arracher celles qui auraient quand même survécu. En général, éviter de semer des graines dans une terre travaillée pour la première fois, préférez le repiquage de plants déjà démarrés, moins fragiles, et par dessus tout la pomme de terre. La pomme de terre est une nettoyeuse de sol.

Je creuse un sillon profond de 10 à 15 centimètres, j'y place, germe vers le haut, ou couché à l'horizontale si le germe n'est pas sorti, un tubercule tous les 30 ou 40 centimètres. 50 à 60 centimètres entre les sillons. J'attends. Le jardinage est fait de beaucoup d'attente. En une semaine ou deux, vous voyez apparaître de petits plants, puis des touffes. Premier désherbage quand les touffes ont une quinzaine de centimètres de haut. Eh oui, encore désherber. Toujours désherber. Car vous avez soigneusement enlevé toutes les herbes déjà sorties. Mais les graines? Il y en a des milliers (des milliards, puisque ce chiffre est celui que j'entends prononcer le plus souvent ces jours-ci), et elles vous sont reconnaissantes d'avoir bien travaillé la terre qui jusque là était trop envahie et trop dure pour leur permettre de pointer leur nez. Et expérience faite, il vaut mieux leur régler leur compte quand elles sont à l'état de plantules, une tige blanche et deux minuscules cotylédons, que d'attendre qu'elles aient ancré dans le sol des racines profondes. Ce premier désherbage peut se faire très rapidement au râteau, et, comblant en même temps le sillon, il ramène la terre autour des jeunes plants, ce qui leur fait chaud au coeur.

Une ou deux semaines de plus, les plantes ont encore grandi. N'attendez pas trop, c'est le moment de butter. Pas de buter, de butter. c'est à dire de ramener une butte de terre autour des plants, sinon, comme les pommes de terre poussent assez près du sol, elles sortent et verdissent. Les patates vertes, c'est amer, et c'est toxique.

En grandissant, les plants s'étoffent jusqu'à former un couvert assez dense pour que désormais vous n'ayez plus trop besoin de désherber. Vous pouvez d'ailleurs vous payer le luxe de laisser pousser les herbes que vous aimez. Il y a de très jolies sauvageonnes qui ne nuisent guère aux plants déjà grands. Je les laisse pousser, même parfois grainer. J'ai poussé le raffinement jusqu'à introduire volontairement des plantes qui se ressèment spontanément, souci, bourrache et qui sont du plus bel effet dans un bête carré de patates. La fleur de la pomme de terre ne manque pas elle-même de charme, regardez-la de près, elle le mérite.

Des doryphores? A 1000 mètres d'altitude, je n'en avais jamais. A 500 mètres, quelques-uns font leur apparition. vous voyez d'abord de superbes insectes comme d'énormes coccinelles, rayés de jaune et de noir. Ils sont sortis de la terre où ils avaient séjourné sous forme de nymphe. Ils se sont dépêchés de pondre de petits oeufs jaunes, par dizaines, au revers des feuilles, pour vivre heureux vivons cachés. Puis de minuscules larves marrons pointillées de noir apparaissent, qui grossissent, qui grossissent, tu m'étonnes, vu comme elles s'empiffrent! En grand nombre, dans les monocultures sans cesse répétées au même endroit, elle pouvaient dévaster un champ. D'où le succès de ces insecticides dont nous peinons aujourd'hui à débarrasser notre environnement. En dévorant les feuilles, elles privent de nourriture les tubercules. Mais avant d'en être là, vous aurez ramassé et écrasé (beurk, mais bon, faut ski faut) ces mignonnes bestioles.

Enfin, il y aura la récolte. En précoce, lorsque le plant est encore vert, pour les soirées d'été où on a plus envie de rêver que de faire la cuisine. Deux kilos de patates cuites à la vapeur, avec du beurre, du fromage blanc, une sauce au yaourt est aux herbes, ou toute autre idée de votre choix, voilà de quoi nourrir une tablée d'amis. Sur le sac de semences que vous aviez acheté, il y a généralement les deux chiffres: le nombre de jours pour la récolte précoce, et celui pour la récolte conservation. Si vous avez, pourquoi pas, planté en début de printemps les vieilles patates rabougries et germées que vous n'aviez plus envie d'éplucher, vous verrez bien en gratouillant au pied d'un plant, si la pomme de terre que vous mettez au jour est encore très pâlichonne et pas bien grosse ou si elle commence à ressembler à ce qu'elle doit être. Pour la conservation (mais je doute qu'il vous en reste, c'est si bon et si facile) ce sera plus tard, quand le plant est quasiment mort. N'attendez pas trop, il faut que quelques tiges brunies vous indiquent encore l'emplacement, pour, d'un coup de croc bien placé, arracher d'un bloc la touffe sans transpercer les tubercules. Les moins adroits pourront préférer la bêche qu'on plante à 15 centimètres. Laissez "ressuyer" votre récolte sur le sol une journée, placez en cagettes dans un endroit sain et sombre.

Ne laissez pas le terrain bouleversé avec des creux et des bosses, les limaces adorent ces crevasses pour y pondre leurs oeufs, et si elles ne font, en quantité raisonnable, guère de tort aux patates, elles pourraient être meurtrières pour votre culture de l'an prochain.

Vous aurez bien compris que c'est par un abus de langage que j'ai prétendu que les pommes de terre "nettoient" la terre. Mais on entend bien dire, sérieusement, que l'argent "travaille". En réalité c'est vous qui en plantant, désherbant, buttant, récoltant les pommes de terre avez nettoyé ce petit carré sur lequel, l'an prochain, vous allez pouvoir cultiver autre chose. Tandis que, sur un nouveau carré, vous cultiverez de nouveau... des pommes de terre!

jeudi 15 mai 2008

Ma friche

C'est un bien grand mot pour une toute petite chose. Pourtant, quel observatoire, et quel lieu pour rêver à l'avenir!

Quand nous avions acheté cette maison (15 ans bientôt) une petite bande de terrain pas du tout entretenue séparait notre allée de la prairie voisine. Quelques arbres en bordure, puis, vers l'est, des broussailles, protégées par un barbelé. J'y ai aussitôt repéré de nombreux et minuscules plants de tilleul. Le voisin possédait un très vieux tilleul, et les arbres âgés sont prolifiques.

Donc, pas touche à ce qui était devenu instantanément "ma friche". J'avais glané, ici ou là (merci à Terre Vivante) des considérations diverses sur ce qu'une friche pouvait apporter de richesses. Cinq mètres sur quinze, c'était vraiment une toute petite friche, et pourtant elle a tenu ses promesses.

Un chemin tracé à la tondeuse-débroussailleuse me permettait de m'y promener, je n'ai plus l'âge d'aller batifoler dans les broussailles "avec Timoléon le jardinier"

Jour après jour, j'ai couvé d'un oeil jaloux "mes" tilleuls, les érables qui forment un vrai gazon au printemps, mais qui ne donnent pas suite, les frênes, qui poussent chez moi comme la mauvaise herbe, profitant honteusement de ma négligence, qui est grande. J'ai même eu l'imprudence d'en laisser évoluer un dans le jardin. C'est si mignon quand c'est petit, et puis qu'un arbre veuille bien pousser au milieu de mes salades, j'en étais tout émerveillée. Au tracteur qu'il a fallu l'arracher!

Mes connaissances se précisant, j'ai bientôt repéré des espèces plus discrètes. Les deux premières feuilles du hêtre, qui ne lui ressemblent pas du tout, étaient un mystère pour moi. Ces éventails évoquaient plutôt un très peu probable gingko biloba. Certains sont verts et d'autres pourpres. Les pourpres ont une fâcheuse tendance à pousser sur la pelouse, ce qui est nuisible à leur santé, mais j'en ai marqué quelques-uns, autour desquels la tondeuse devra tourner. Le chêne reste très longtemps malingre et filiforme, rien à voir avec sa formidable image de marque. Le charme devient très vite un arbre miniature, avec son tronc légèrement tortueux, son allure trapue, sa silhouette conique (mais pourquoi a-t-on inventé la charmille, qui nous en prive?) ses feuilles plissées comme si elles venaient de s'épanouir, et sa manie de refuser de se déshabiller à l'automne, peut-être pour garder jusqu'au printemps sa musique de papier froissé.

A la naissance du petit roitelet, notre premier petit fils, j'ai prélevé un tilleul pour lui donner une place d'honneur. Il a d'abord un peu boudé, tergiversé. Il a pris du retard par rapport à ceux qui sont restés en place, dont les troncs merveilleusement rectilignes ont maintenant entre cinq et dix centimètres de diamètre. Puis il a "trouvé sa terre" et s'est élancé, cinquante centimètres par an depuis deux ans. On ne peut pas dire qu'il nous fasse vraiment de l'ombre, mais ça ne saurait tarder. Je songe déjà à en choisir deux autres, je réfléchis à l'endroit où les mettre. Les tilleuls, c'est les yeux fermés qu'on découvre, en juin, l'éclosion de leurs fleurs. Et le miel de tilleul, une merveille de subtilité. Une tisane du soir, sucrée au miel de tilleul, au diable les pilules toxiques!

Priorité aux tilleuls, donc. Mais il faudra quand même en couper.

Car le temps du choix est venu: trop d'arbustes, trop serrés, maintenant. Il faut éclaircir. Je coupe sans pitié érables et frênes, il y en a tant! Et aussi, cette engeance terriblement envahissante appelée, je crois, sumac. Il y en avait deux, il y en a mille. A peine coupés, ils repoussent déjà, tandis que d'autres germent sans discontinuer. Travail de Sisyphe. Mais je me console, leur ombre, un temps, a peut-être été bénéfique aux autres.

Les chênes, il y en a deux ou trois, je leur ai mis une écharpe rouge en quittant la France, pour les préserver d'un accident, genre "erreur humaine", ils sont trop discrets. Survivront-ils pourtant? Je ne les ai pas vus depuis longtemps, j'allais les voir presque tous les jours. Ils me font l'effet de la rose du petit prince: le mouton a-t-il ou non mangé la fleur? Pour la réponse, rendez-vous en juillet.

jeudi 24 janvier 2008

Je suis la mauvaise herbe, braves gens, braves gens..

Avant de quitter mon jardin, un petit clin d'oeil à quelques-unes des bonnes-mauvaises herbes que j'y ai consciencieusement acclimatées au fil des années.

La cardère: elle était là avant moi, j'ai tellement favorisé sa pullulation que j'ai dû devenir féroce pour (tenter de) la maîtriser. Mais je lui pardonne: ses têtes ébouriffées sont tellement jolies en hiver, sans compter que les oiseaux y trouvent encore des graines, après que le creux de ses feuilles leur ait servi d'abreuvoir aux heures chaudes de l'été.



L'onagre: j'avais repéré ses énormes fleurs jaunes dans une décharge, je suis revenue au moment de la graine. Depuis, elle s'est installée sans vergogne. Pas très jolie la journée, ses fleurs se fanent dès que le soleil chauffe, elle s'épanouit au crépuscule, et offre de véritables miroirs aux papillons nocturnes. Guetter son éclosion au moment où la lumière baisse demande un peu de patience, mais bien récompensée.

L'arroche belle dame: c'était la seule que tolérait mon grand père dans un jardin tiré au cordeau et parfaitement désherbé (le mien lui aurait fait beaucoup de peine). Hautes tiges rouges, grandes feuilles en losange qu'on peut cuire en épinard ou rajouter dans une salade, je les repère à peine germées grâce à leur couleur, et je leur laisse (ou non) le champ libre selon mon caprice du moment. Je les ai retrouvées il y a quelques années dans un jardin paysan, j'ai « volé » quelques graines et hop! (content, pépé?)

Les pavots annuels: mon fils prétend que...mais je n'en crois rien. Eux aussi étaient là avant moi, et sont repérables à peine germés à leur couleur d'un vert pâle presque argenté. Leurs fleurs aux pétales pastel et au coeur très noir rendent les abeilles hystériques dès leur éclosion. Elles sont délaissées quelques heures plus tard, complètement dépouillées de leur pollen. Quant aux graines, minuscules et innombrables, on peut en décorer pains et pâtisseries. Mon petit fils avait quelques mois quand je lui ai fait découvrir ce miracle: on renverse la tête sèche du pavot, et une cascade de grains noirs ou bruns ruisselle dans la petite main tendue. Il ne s'en lassait pas.

Un petit mot, pour finir, en faveur des permanentes des jardins: la véronique et le mouron blanc. Ce sont deux fausses envahisseuses, fausses car faciles à enlever. L'hiver, elles font un excellent couvre-sol et une bonne protection pour les bestioles utiles de toutes sortes. C'est là que je repère les premières coccinelles de la saison. Indicatrices d'un sol azoté, elles retiennent cet azote en surface évitant ainsi son lessivage. La véronique, avec son petit oeil bleu précoce, attire les premières abeilles à un moment où peu de fleurs sont disponibles.

Merci à la revue "Les 4 saisons du jardin bio", dont je suis une lectrice assidue depuis sa création en mars 1980, et qui est depuis peu disponible en kiosque. Tout ce que je sais ou presque sur le jardinage, c'est à elle que je le dois.

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