Une étrange visite

C'est dimanche après midi. Nous attendons la visite de Van, notre amie vietnamienne. On frappe à la porte, je crois que c'est elle, mais non, c'est le jeune gardien de l'immeuble que je vois entrer.

Ben oui, nous avons un gardien. Chaque fois que nous entrons ou sortons, il se précipite pour nous ouvrir la porte. Un peu gênés au début, nous avons finalement renoncé à le gagner de vitesse. Il décadenasse la grille, ouvre les deux battants, place le machin en bois qui évite de se casser les reins en soulevant la moto pour monter le trottoir, le range ensuite, garde nos casques, et veille au grain. Ce n'est pas toujours le même (heureusement pour lui), mais c'est lui qui est le plus souvent présent. Celui là, il apprend l'anglais pendant ses longues heures d'ennui. Nous lui avons montré en riant nos tout récents cahiers de vietnamien.

Aujourd'hui, il est accompagné de plusieurs personnes et d'un enfant. Silence embarrassé, mon vietnamien est aussi sommaire que son français. C'est seulement lorsque l'une des jeunes femmes me demande d'une toute petite voix « Vous êtes médecin? » que je reconnais la fillette qui les accompagne. Elle a déjà attiré mon attention par son regard qui semble flotter et son comportement hésitant. Cette enfant a "quelque chose", je n'osais pas trop la regarder, sachant comme sont douloureux ces regards appuyés sur les enfants porteurs de handicap. Mais c'est bien elle, et je reconnais du même coup ses parents, le jeune couple qui tient le restaurant où nous allons souvent manger le soir. Je ne connais pas par contre la jeune femme qui les accompagne, elle est sans doute là parce qu'elle parle un peu français.

Je les fais asseoir et j'appelle mon conjoint. En attendant je prépare du thé. Je me suis procuré la petite théière, avec ses minuscules tasses sans anses, qu'on voit partout, avec des formes et des décorations très variées. Et une amie à qui je me plaignais de ce "Lipton" qu'on propose systématiquement aux étrangers m'a fait cadeau d'un sac d'excellent thé, dont les feuilles entières se déploient dans l'eau, délicatement parfumé au jasmin. Bien pratique, le thé, quand on sait pas quoi dire. La fillette descend des genoux de son père, va vers le piano, bras tendus en avant, appuie sur les touches, sourit. Les parents sont attentifs, ont fait un geste pour la retenir, mais voyant que je suis d'accord la laissent faire.

Voilà le « bac sy », le médecin (il faut faire chanter l'accent sur le y qui doit monter d'abord, descendre ensuite, euh c'est pas le contraire?). Le dialogue s'engage, un peu compliqué. Quel âge a-t-elle? Six mois? Impossible, cette fillette a au mois deux ou trois ans. Six ans, ça ne va pas non plus, et d'ailleurs cette proposition est accueillie par une vigoureuse dénégation. Notre amie Van, qui arrive à ce moment là est accueillie en sauveur. Elle va pouvoir faire l'interprète.

Petit à petit, nous comprenons l'histoire, triste, de l'enfant. Le geste de la maman (la main qui s'agite devant les yeux) nous a déjà fait comprendre qu'elle a un problème de vue. Six mois, c'est l'âge de la grossesse au moment de l'accouchement, elle est née prématurée, 1400 grammes, a passé 28 jours en hospitalisation néonatale, aurait dû être opérée (de quoi?) pour son problème de vue, mais la machine (quelle machine?) était en panne. Les parents voulaient l'emmener à Saigon, mais à ce moment là des typhons empêchaient les avions de décoller. Une semaine après, il était semble-t-il trop tard.

Le fait d'avoir repéré l'existence d'un médecin dans la maison d'en face les a sans doute remobilisés alors qu'ils s'étaient résignés. Mais que faire, comment les aider? Dans un premier temps, C. sollicite les conseils du pédiatre de garde à l'hôpital où il travaille, qui propose un rendez-vous le lendemain. Les parents de l'enfant semblent très heureux et nous quittent en remerciant. Mais C. n'est pas vraiment satisfait, un coup de fil en France, quelques recherches sur internet lui permettent de mieux comprendre. C'est plutôt un rendez-vous avec un ophtalmologiste qu'il leur faut, et d'ailleurs il est probable que l'on ne pourra pas faire grand chose. Mais quand même il faut essayer. Nouveau coup de fil à l'hôpital. Une ophtalmo qui connaît ce problème y sera présente la semaine prochaine, c'est elle qu'il faut contacter. En fin de soirée, C. descendra avec Van pour expliquer aux parents la modification.

La marge est étroite: ne pas les désespérer... ne pas leur donner non plus de faux espoirs...

Commentaires

1. Le dimanche 20 avril 2008, 20:41 par vieil anar

Bonsoir mc, tu cultives, je vois, ton art de la narration; ça déroule bien, c'est prenant, on avance avec toi et en même temps je sens que c'est sincère!

Merci, mc, pour tes photos littéraires du Viet Nam!

2. Le jeudi 24 avril 2008, 19:02 par Lilia

un brin tristounet et exotique
je suis touchée, j'ai un bébé de 2 mois
on reste suspendu sur le fil, mais on n'ose pas espérer trop, comme tu conclus si bien