Poussière dessus, béton dessous

Mon jardin a les défauts de ses qualités. Une excellente exposition sud-est, un terrain en pente légère, un (très vilain) mur de béton qui lui réverbère la chaleur du soleil quand celle-ci a cessé de lui parvenir directement lui donnent un microclimat de quelques degrés plus chaud que les terrains qui l'entourent. Ce qui peut se traduire, au printemps, par une ou deux semaines d'avance, à l'automne par une persistance un peu plus longue de la chaleur. Et, compte tenu du fait qu'en plus le sous-sol est très caillouteux, par un sol qui se "ressuie" rapidement.

Un sol qui se ressuie rapidement, c'est bénéfique au printemps. Depuis que je suis à la retraite, j'ai décidé de préparer la terre, de la "greliner" entièrement à la main. C'est parfait pour ma forme physique... mais ça prend du temps. Or, il ne faut jamais travailler une terre mouillée, sous peine de la voir croûter et bétonner ce qui ne plaît pas du tout aux petites graines qu'on sera amené à lui confier ensuite. Et au printemps, il pleut souvent. Si l'alternance pluie/soleil est trop rapide, la grelinette n'a pas le temps de faire son boulot entre deux averses. Dans mon ancien jardin, il fallait bien une semaine de franc beau temps pour pouvoir commencer à travailler. Là où je suis maintenant (15 ans, quand même, ça nous rajeunit pas ma bonne dame) il suffit de deux ou trois jours.

Oui, mais après le printemps, voici l'été. Et les pluies se font rares, certains étés elles sont quasiment inexistantes pendant des périodes parfois de plusieurs semaines. Et mon jardin, qui se ressuie vite au printemps, se dessèche encore plus vite l'été. Ce qui implique d'arroser souvent et beaucoup. Me voilà donc, tous les soirs, munie de deux arrosoirs de 12 litres chacun, en train de fournir leur pitance à tomates, courgettes, haricots et autres assoiffées. Je n'arrose ni les oignons, il se conserveraient moins bien, ni les pommes de terre, assez rustiques pour survivre (quoique, cette année, j'aurais dû, vu la modestie de ma récolte!). Les choux peuvent attendre un peu. Pour les tomates, ce doit être abondant et régulier, la sanction étant une vilaine tache noire à l'opposé de l'attache, nommée "cul noir" ou plus poliment nécrose apicale, sèche d'abord mais qui ne demande qu'à dégénérer en pourriture. Pour les courgettes... si vous les oubliez, elles vous oublient: grève de la production. Les haricots, c'est pareil, ils ont particulièrement besoin d'eau au moment de la floraison. Les potirons... faut pas leur en promettre, un bon demi arrosoir par plant leur suffit à peine, ils refusent de grossir si on les rationne. Je n'arrose pas tout tous les soirs, bien sûr: grosso modo, un tiers du jardin par soirée suffit, ce qui me fait quand même un joli kilométrage, faudra que je pense à m'attacher un compteur à la cheville.

Nous avons la chance d'avoir une source, heureusement, car ça ferait aussi un joli kilométrage au compteur d'eau. Une source que nous partageons avec d'autres (heureux) bénéficiaires. Seulement, pour la seconde fois depuis quinze ans, voilà que la source tarit au plus fort de la sécheresse. Pas d'un seul coup, elle prévient d'abord. Les habitants du château voisin viennent voir si, des fois, j'aurais pas fait une fausse manoeuvre, toujours possible vu la complication des réseaux anciens et la connaissance fragmentaire que nous en avons. En bricolant un peu (ou ouvre ici, on ferme là), je leur "redonne" l'eau. Encore quelques jours de sursis, puis panne sèche. Pourtant, ça coule toujours au captage initial. En fouinant un peu, on éclaircit le mystère: parmi nos voisins, il en est un qui possède un étang. Et dans son étang... ça glougloute insolemment. Non seulement il se fournit à NOTRE source qui ne devait lui servir que de dépannage, mais il la laisse couler dans son étang EN PERMANENCE. Et comme il est à un point bas... nous voilà Jean de Florette. Une discussion affûtée avec lui ne sert à rien, sauf à nous convaincre que c'est un malotru. Il nous dit très clairement, quoiqu'avec des mots choisis, je fais ce que je veux et je vous emmerde. Et nous conseille d'arroser... avec l'eau de la commune. Il refuse même de fermer son robinet une heure en soirée au moment où j'ai besoin d'eau. On assassine pour moins que ça, vous êtes bien d'accord les amis?

Heureusement, une bonne pluie prend le relais et voilà le problème non pas résolu mais remis à plus tard. L'été est déjà bien avancé, les récoltes aussi, le soleil se fait déjà moins impitoyable, avec quelques discrets arrosoirs sur les cultures les plus sensibles on devrait limiter les dégâts. Discrets les arrosoirs, parce que, bien sûr, quand il fait assez sec pour que la source tarisse, les arrosages sont interdits. Et de nouveau, la terre se dessèche. Parfois, le ciel se couvre méchamment, devient même noir au point de nous fournir cette drôle de lumière un peu sépulcrale qu'on croirait artificielle. Un orage éclate, dont nous voyons et entendons la foudre. Mais les orages nous tournent autour dirait-on. Quelques gouttes nous font croire que... juste le temps de ramasser le linge... et de le regretter, car il ne pleut plus.

La source est définitivement tarie, plus de glouglou dans l'étang de l'abominable pilleur d'eau, il aura la vie sauve encore cette année. Pour le jardin, ce n'est pas dramatique, les tomates, courgettes et potirons continuent sur leur lancée, les haricots, c'est une autre histoire, le chevreuil vient délicatement chaque nuit brouter les quelques fleurs qui s'obstinent à éclore. Les poireaux grossissent très-très lentement mais ils se rattraperont cet automne. Surtout, mon jardin n'est pas un gagne pain. Mais j'ai du mal à entendre monsieur ou madame météo, sur l'une ou l'autre des chaînes où ils sévissent, se réjouir de la persistance du "beau" temps. Bande de ... parisiens. Près de chez nous, un champ de maïs est mort, nous sommes pourtant dans une région où le maïs est traditionnel, et pousse sans arrosage.

Ce qui me chagrine personnellement, c'est beaucoup moins utilitaire, presque poétique. Je commence à préparer mon jardin pour l'hiver, nettoyant ici ou là les "mauvaises" herbes, peu nombreuses et mal enracinées, mettant en terre les gousses nacrées des "poireaux perpétuels" (celui, je crois bien, qu'on trouve sur Wikipedia sous le nom de "poireau de vigne" et dont je me suis procuré les bulbes, il y a plusieurs années, chez Biaugerme). Je travaille superficiellement les espaces destinés aux engrais verts qui couvriront, fertiliseront et protègeront ma terre cet hiver, mais que je ne sèmerai que la pluie revenue. C'est une période que j'aime bien aussi, les plates bandes qui se libèrent peu à peu, les déchets qu'on met en tas avant de les composter, les allées dont on refait le tracé. Mais un plaisir me manque. Un plaisir sensoriel, sensuel. Plaisir des muscles, enfoncer la bêche dans la terre meuble, plaisir des yeux, voir au basculement de l'outil la terre bien noire se séparer en mottes fragiles, plaisir du toucher, écraser entre mes doigts ces mottes à peine humides, témoins d'une terre vivante et habitée. Ce que je trouve, au contraire, en grabotant, c'est d'abord une couche de quasi poussière, quelques centimètres, sans le moindre signe de vie. Puis, dessous, une véritable carapace de béton, qui refuse de se briser que ce soit entre mes mains ou sous le choc d'outils plus brutaux. Et parfois, au milieu d'une motte énorme que j'ai réussi à entamer... un tout petit centimètre cube de chair rosâtre, un ver de terre qui s'est replié là, au sens figuré, certes, mais aussi au sens propre, car il est véritablement noué sur lui même.

Lui aussi attend la pluie!

Commentaires

1. Le mercredi 16 septembre 2009, 08:03 par mano

Et si tu récupérais l'eau de pluie qui ruisselle sur les toits ? Une toute petite averse, il y en a eu parfois cet été, remplit mon tonneau !

2. Le mercredi 16 septembre 2009, 08:11 par cultive ton jardin

Oui, j'y ai pensé, et nous le ferons sûrement. Mais bien sûr, avec une source réputée intarissable, nous ne pensions pas en avoir besoin!

3. Le mardi 29 septembre 2009, 21:57 par Janot Lapin

Pour ma part, fin août, début septembre, quand je rencontre ce problème provoqué par la sécheresse, je décompacte grossièrement le sol durci à la bêche en arrosant les mottes plusieurs fois jusqu'à les rendre friables sous la bêche, et obtenir un sol impeccable pour un semis, par exemple d'engrais vert ou de mâches. Avant de semer, dans la terre encore humide, j'incorpore du compost superficiellement.