Rose pour les filles, bleu pour les garçons

Il avait quatre ou cinq ans et des cheveux magnifiques. Dorés, bouclés, de longues anglaises qui lui tombaient aux épaules, une coque (tenue comment?) qui lui retombait un peu sur le front. Coiffure désuète amoureusement refaite, je suppose, plusieurs fois dans la journée par une mère ou une grand mère en adoration devant lui. A cette époque, en tous cas dans mon quartier, on ne connaissait pas bien les familles, on ne rentrait que très rarement dans les maisons, le terrain de jeu des mômes c'était la rue.

Un jour, il nous est apparu avec quasiment "la boule à zéro" manifestement faite maison, avec quelques ratés, comme on savait le faire alors. Un vrai massacre. Je me souviens encore de la stupeur indignée de ma mère:

"Mais pourquoi on lui a fait ça, à cette petite fille?"

Il s'appelait Joël, nous on savait tous (comment?) que c'était un garçon, elle l'avait toujours "vu" comme une fille. De mon frère, qui avait les longs cils sombres que je retrouve chez mon petit fils, on disait que c'était "dommage pour un garçon". Lui aussi avait eu des boucles, mais courtes, lui aussi avait maintenant la coupe maison qui lui faisant des épis obstinés. Les anglaises blondes, dans ce quartier populaire, c'était un autre siècle, un autre milieu. Incongru. Un père avisé et réaliste avait jugé que ça suffisait comme ça, qu'il était temps de sortir le marmot des jupes des femmes. J'imagine que ce soir là les larmes ont coulé. Et que les boucles blondes sont restées longtemps dans le tiroir aux souvenirs, nouées d'une faveur.

Rose ou bleue?

Commentaires

1. Le jeudi 18 février 2010, 17:32 par daphnenuphar

Ma grand-mère paternelle a donné a ma mère les boucles de mon père, que ma mère a soigneusement rangées à côté des miennes. J'ai celle de mon hanneton dans un petit pot de confiture... et je ne sais pas pourquoi on garde tout ça. dans le même style, j'ai encore une boite avec mes dents de lait...

2. Le jeudi 18 février 2010, 22:57 par Chomp'

Il y a à coup sûr toute une petite sociologie des névroses ordinaires, à revisiter ainsi les violences "normales" par lesquels s'assignent rôles et devoirs ...
L'histoire du gamin que l'on conduit chez le coiffeur pour le normaliser est moche comme un rituel d'initiation, quelque part meurtrière aussi ...
68 a passé, et la coercition alors un peu baissé la garde,
mais je me souviens dans les années 80, alors que j'étais tout à la fois coiffé comme un cocker et tout moustachu de surcroît, de l'exclamation d'un môme (maxi 5 ans) dans un grand magasin, qui en m' apercevant interpella sa mère :
"Maman, regarde ! La dame, elle a une moustache...!"
A part ça, c'est pas culturel, la connerie ...

3. Le vendredi 19 février 2010, 10:57 par Anne-Lise

C'est aussi l'histoire que raconte Sartre au tout début des Mots : l'époque bénie des boucles blondes, c'est celle de l'amour inconditionnel que lui porte sa mère. Le jour où ses boucles sont coupées, il réalise qu'il n'est désormais plus un bel ange...

4. Le dimanche 21 février 2010, 17:50 par heure-bleue

Aujourd'hui, on continue à couper les boucles des petits garçons et à se lamenter si les petites filles ont les cheveux trop courts...

5. Le dimanche 21 février 2010, 20:44 par Fauvette

Ruban bleu je suppose.
Oui c'était impossible pour un garçon, petit ou grand, d'avoir les cheveux presque longs...
Et quand la mode des cheveux longs a déferlé, je me souviens de la revanche d'un de mes frères, et de l'énervement de mon père !

6. Le dimanche 14 mars 2010, 23:14 par mim_

Mes deux fils ont eu aussi eu de belles boucles et de grands cils, et on les a longtemps pris pour des filles... Tant pis ! Mais lors du premier passage chez le coiffeur, même si la coupe ne fut pas dévastatrice, j'ai eu bien du mal, quelques jours, à les voir sans bonnet...