Mes poireaux font la gueule

Chaque année, je plante entre 150 et 200 poireaux. J'achète les plants en juin, plants bio de préférence. Ils sont vendus sur le marché par paquets de 25 ou de 50. J'achète des poireaux d'hiver, ils deviennent moins gros mais tiennent bien le coup face au froid et à l'humidité. Les fournisseurs ne précisent pas toujours ce détail et alors, pour peu que l'hiver soit froid et humide, c'est la déception, une partie des poireaux pourrit. Je creuse un sillon assez profond, ce sera autant de centimètres gagnés lors du buttage, et puis ça facilite bien l'arrosage. Les plants doivent avoir à peu près la grosseur d'un crayon. Je coupe les racines à deux centimètres, le but étant de ne pas risquer de les retourner en plantant. Je coupe également les feuilles à 15/20 centimètres. Elles traîneraient à terre pendant la période de reprise et attireraient les limaces qui normalement s'intéressent peu aux poireaux. Je plante à peu près un poireau tous les dix centimètres, en veillant à un détail: que le pli des feuilles soit dans le sens du sillon. Sinon, le poireau s'étale en travers de sa rangée et ça complique le binage. Le pouce et l'index de chaque main enfoncés de part et d'autre de la tige pour bien tasser la terre autour du fût puis un arrosage abondant. Plus tard, il faudra combler le sillon (en désherbant par le même occasion), puis butter pour avoir le plus de "blanc" possible.

C'est en hiver que les poireaux font le plus plaisir. Quand on a le souci d'être "écologiquement correct", manger des légumes en hiver devient un peu compliqué. Plus de haricots marocains à Noël, pas de courgettes cultivées on ne sait où, pas de tomates bien sûr. Carottes, choux, navets, on a beau aimer le "poteau-feu", c'est un peu répétitif... Le poireau, c'est l'asperge du pauvre. On va le retrouver bien sûr dans le pot au feu (lui aussi) et la soupe, mais on peut en faire une "fondue", recette simplissime, laisser cuire à l'étouffée le poireau coupé en morceaux et basta. Ou cuisiner (avec les restes de la fondue) une tarte aux poireaux. Ou encore les cuire entiers à l'eau pour les servir, encore tièdes, avec une vinaigrette. Autant dire que mes 200 poireaux filent vite et font bien plaisir à tout le monde.

Depuis que je me soucie d'acheter des plants bio, j'ai vu réapparaître le fameux "ver du poireau". La première année, je me suis fait prendre, j'avais oublié son existence. Mon grand père utilisait, contre le ver du poireau, deux techniques différentes au moment de la plantation. L'une, pas écolo du tout, faire tremper les plants dans de l'eau javellisée. L'autre, plus écolo tu meurs, les laisser simplement sécher une journée en plein soleil. Je m'en suis souvenue en constatant que les plantations de mon petit fils avaient mieux échappé au ver que les miennes. Simplement je lui avais fait planter des poireaux qui avaient un peu "traîné". Un regret, les plants vendus sur le marché sont de plus en plus petits, et ceux qui sont trop petits résistent mal à la journée de bronzage. Par ailleurs, les vendeurs sont de plus en plus pingres, les paquets ont tendance à faire pile poil le nombre prévu, y compris des trucs filiformes qui ne méritent plus leur nom.

Le classique "ver du poireau" n'était présent qu'à un exemplaire par plant, et on pouvait encore, au cas où il aurait échappé au séchage, l'éliminer en coupant à ras le feuillage en début de végétation. Mais voici trois ans, une nouveauté a pointé son museau. Ce n'est plus un mais trois, quatre petits vers d'un blanc jaunâtre qui se bousculent sur un malheureux plant. A mesure que l'hiver s'avance, ces trublions se nymphosent, et un petit cocon brun apparaît au bout de chaque galerie. Un cocon brun de moins d'un millimètre de diamètre et de trois ou quatre de long. Les feuilles sont labourées de galeries dispersées, elles se tordent et s'étiolent, bref, mes poireaux ont une drôle d'allure, ils oublient de grossir et le peu qu'il m'en reste ressemble, après triage, à un plumeau déplumé. L'épluchage devient une fastidieuse corvée, et la comparaison "avant/après" proprement démoralisante. En plus, il faut (il faudrait) veiller à ce que les minuscules pupes brunes ne se retrouvent pas à hiverner benoîtement dans le compost, pour donner naissance à autant de petites mouches susceptibles de pondre l'an prochain dans les poireaux. Bestioles qu'on aura obligeamment amenées à pied d'oeuvre en épandant ce même compost au pied des poireaux nouveaux. Trier les poireaux, puis trier les épluchures, c'est pas une vie moi je vous dis. Du coup, il me reste plein de poireaux, j'ai même pas envie de les ramasser, et il le faut pourtant car ils vont monter en graine.

Cette charmante nouveauté qui me mine le moral est la bien nommée "mouche mineuse du poireau". Elle nous vient du Haut Rhin où elle a été signalée en 2003 mais où elle sévissait probablement depuis deux ou trois ans. Elle étend progressivement son aire de nuisance, sous la surveillance inquiète du service des végétaux de Strasbourg. Pour s'en protéger, des voiles anti-insectes... et pas grand chose d'autre. Heureusement, il semblerait qu'après deux ou trois ans de dégâts importants, ce parasite trouve enfin son prédateur, et que les dégâts vont ensuite en décroissant. Ce qui semble se passer chez moi. L'an dernier, c'était une catastrophe, cette année, c'est nettement moins problématique. Si ça vous arrive, ne vous jetez pas sur le premier pulvérisateur écrase-tout qu'on ne manquera pas de vous conseiller dans les jardineries. Vous tueriez en même temps l'hyménoptère parasite prédateur de ce ravageur qui a déjà commencé à en réguler la population. Semez plutôt autour de vos carrés de légumes les fleurs qui sont réputées favoriser les auxiliaires amis du jardinier. Ne récurez pas trop l'environnement de votre jardin, un tas de bois ici, quelques brindilles creuses où nicher, quelques plantes sauvages respectées donneront toutes leurs chances à ces amis qui veulent du bien à vos poireaux.

Commentaires

1. Le dimanche 11 avril 2010, 18:45 par Janot Lapin

Partage d’expérience. Je fais mon plant de poireau moi-même par semis pour le repiquer début juillet, sinon après ils manquent de temps pour grossir. Ils sont aussi attaqués par le ver depuis quelques années mais jamais assez pour m'empêcher d'en manger de septembre - octobre à mars - avril. Intercaler les rangs de poireaux et de carottes semble perturber les mouches parasites des poireaux et des carottes. J’écrase les pupes du ver du poireau au moment de l’arrachage et pendant l’épluchage. C’est un peu fastidieux mais bon… J’attends moi aussi la régulation naturelle du parasite. Il me semble d’ailleurs que les poireaux souffrent plus de l’excès d’humidité dans des terres lourdes que du ver du poireau. Dans ce cas, il faut apporter du compost en grande quantité (pas tous les ans) pour rendre la terre plus meuble.

Le mélange cuit à l’étouffée de pommes de terre en dés, carottes en rondelles et poireaux, avec, dans l’assiette, un filet d’huile d’olive et quelques gouttes de Tamari est excellent. Très goûteux, si bio. Une petite céréale à côté. Pas besoin de viande pour se régaler et bien se nourrir à peu de frais. Le poteau-feu, c’est bon mais riche, à réserver le dimanche avec les amis.

Tu l’as sûrement remarqué, le pot-au-feu, le couscous, la choucroute sont devenus des plats de viande avec des légumes, sans parler de la paella où il faut chercher le riz sous les moules, les gambas, les morceaux de poulets et le reste. On veut faire plaisir et on gave ses invités…

Pour revenir au jardin, c’est vrai, la biodiversité d’un jardin un peu fou, pas trop tondu, c’est génial. Le monde des insectes est un enchantement pour les enfants de 8 à 77 ans et plus.

2. Le lundi 12 avril 2010, 20:35 par cultive ton jardin

Tout à fait d'accord sur le renversement nutritionnel qui s'est produit: des plats qui étaient à l'origine composés de légumes et agrémentés de (peu de) viande sont devenus des plats de viande d'où les légumes se sont peu à peu retirés.

Claude Aubert, dans son précieux livre "Fabuleuses légumineuses", fait la même réflexion à propos des "lentilles au petit salé" devenues du "petit salé aux lentilles", soulignant que "la recette originelle est bien entendu préférable".

3. Le jeudi 15 avril 2010, 19:07 par Janot Lapin

Claude Aubert. J'apprécie cet homme discret qui a beaucoup fait pour l'agriculture et le jardinage bio en France. J'ai son livre "L'agriculture biologique. Une agriculture pour la santé et l'épanouissement de l'homme." Acheté en 1971. Cela ne nous rajeunit pas. J'ai aussi "Quelle agriculture pour quelle alimentation ?" qu'il a écrit avec Grégory Fléchet.

Pour le semis de poireaux, j'ai oublié. Je le fais en pleine terre comme un semis de carottes. Pas besoin de serre ni de châssis. Un rang de 5 ou 6 mètres, ça suffit pour sortir 200 à 300 plants. Reste à faire mes graines et à en donner aux amis... Question de place et d'un peu plus d'organisation.

4. Le jeudi 6 octobre 2011, 06:36 par jardinenvalois

Effectivement, le fait de les laisser au soleil 1 à 3 jours est bénéfique. Après ce bain de soleil, nous les avions trempés 2 heures (je crois) dans une décoction de prêle. J'avais dû lire cette méthode dans un bouquin spécial potager. Ca a été très efficace. Il faudrait que j'en refasse un de ces 4 ; tu me donnes l'envie : les poireaux tièdes en vinaigrette c'est drôlement bon ! C'est chouette d'initier les enfants au jardinage.
Au fait, ce n'est pas le moment d'en planter ?

5. Le jeudi 6 octobre 2011, 08:23 par cultive ton jardin

Un peu tard pour les poireaux, mais bon....

Cette année, bizarrement, j'ai rien fait du tout, à part semer moi-même mes poireaux au lieu d'acheter les plants (merci Janot Lapin), et mes poireaux sont parfaitement sains. Pour l'instant.

L'hiver dernier, au contraire, c'était encore pire qu'en 2009/2010, je crois bien que sur plus d'une centaine, pas un n'en a réchappé.