Une maison sans porte ni fenêtre

Il a huit, neuf ans. Je le reçois pour un premier entretien d'évaluation psychologique, dans la maison d'enfants où je travaille alors et où ses parents l'ont inscrit parce qu'il est en échec scolaire. Il est silencieux, inquiet, et dessine lentement, à ma demande, une maison.

Une maison sans porte ni fenêtre. Jamais vu ça de toute ma carrière. Il y a une lucarne sur le toit, pourtant.

Suit l'entretien avec les parents. A un moment, le beau père me dit "Ce qu'il y a, c'est qu'il rêvasse tout le temps. Il faudrait l'empêcher de rêver."

Il me semble entendre la lucarne du toit se refermer, se verrouiller, avec un grincement.

Commentaires

1. Le samedi 23 octobre 2010, 14:18 par Chomp'

Krwiiii
Les bétonnières tournent à plein régime
Krwiiii
Il a pas fini de grincer, le vasistas ...
Krwriiii

2. Le dimanche 24 octobre 2010, 07:47 par LGV

C'est le grand mal moderne de nos sociétés : rêver est devenu mauvais et dangereux, pourtant les utopies d'aujourd'hui sont les réalités de demain ! Ceux sont les rêveurs qui font le monde et non les moutons passifs qui ne font que le faire fonctionner...

3. Le samedi 30 octobre 2010, 16:02 par Didier

Gaffe ! J'ai beaucoup souffert de ça à l'école et je sais aujourd'hui de quoi il s'agit.
Rêvasser n'a rien à voir avec la créativité, c'est l'incapacité à se concentrer et à être présent à ce qu'on fait. Cela m'a fait rater un grand nombre d'opportunités dans la vie.

Je ne sais vraiment pas pourquoi c'est connoté si positivement; c'est une vraie maladie.

4. Le lundi 1 novembre 2010, 13:58 par Fauvette

Cela fait un grand froid dans le dos, la phrase du beau-père !
Bon, même si comme le dit Didier, il faut se méfier, mais quand même...

5. Le lundi 1 novembre 2010, 14:55 par cultive ton jardin

S'il n'y avait pas eu le dessin de la maison, la phrase du beau père aurait été anodine. Beaucoup de gens voudraient que leur enfant "rêvasse" moins, en pensant que c'est inutile ou même nuisible. Mais dans ce contexte, le dessin de l'enfant évoquait un enfermement et une tentative d'évasion implacablement réprimée.

Quelque chose de très différent d'une quelconque créativité. La confusion, c'est que d'un tel enfermement, seule la créativité peut délivrer. Ainsi, Didier a partiellement raison, un enfant incapable de se concentrer et toujours "ailleurs" est un enfant en souffrance. Mais on ne peut pas dire que ça n'ait "rien à voir" avec la créativité puisque précisément la créativité peut servir à "faire quelque chose" de cette souffrance.

6. Le samedi 13 novembre 2010, 22:46 par Clay-dreams

Dans ce cas, propose-t'on également une évaluation au beau-père ?
Non sans rire, j'imagine que le travail doit se faire auprès de l'enfant, ET des parents, non ? sinon ça ne rime à rien.

J'ai passé un bon moment chez vous.
Belle soirée.

7. Le dimanche 14 novembre 2010, 10:46 par cultive ton jardin

Dans ce cas précis, ils n'ont pas donné suite à leur demande d'admission. Ils nous ont trouvés, je pense, pas assez coercitifs...

Je suis restée avec la conviction que ça aurait mérité un signalement judiciaire, mais appuyé sur un dessin d'enfant et une phrase si banale... aucune chance d'être prise au sérieux par le juge le plus parano. Encore moins de chance (pour ce motif et d'autres) d'être suivie par l'institution.

J'ai dû une fois taper (symboliquement) sur la table pour un enfant qui revenait marqué de bleu de tous ses week-end, en disant qu'en cas de pépin je témoignerais de la date des premiers bleus.

8. Le dimanche 14 novembre 2010, 18:02 par Clay-dreams

Merci pour la réponse.
Pas facile ce travail lorsqu'on veut le mener efficacement et jusqu'au bout.