Des asticots au plafond

Ce jour là, j'avais de la visite. Et parmi les visiteurs, une copine paradoxalement aussi résolument féministe que bonne ménagère. Je conçois volontiers qu'on puisse être les deux, mais mon féminisme à moi s'enracine si profondément dans une totale incapacité ménagère que ça m'étonne pourtant toujours. Je ne VOIS littéralement pas le désordre, les araignées, la poussière, la crasse s'accumuler autour de moi. Généralement, c'est un(e) autre qui tire la sonnette d'alarme: mon conjoint, quand il a invité sa famille, une copine pleine de commisération, voire, plus récemment, mes propres enfants, un brin donneurs de leçons (mais faites donc, je vous en prie, j'avale toutes les hontes du moment que vous passez le balai et la serpillère, toujours ça de gagné!).

Ce jour là, la copine, passant dans le couloir, lève les yeux. Je vous le demande, pourquoi lever les yeux dans un couloir? Ça se conçoit à la rigueur dans un salon, quand, les pieds sur la table basse, on se prépare à un petit somme ou à une simple rêverie, ou après un repas légèrement trop arrosé, quand on se renverse sur son siège pour se dégager l'estomac, mais dans un couloir? Faut de la malignité!

Elle lève donc les yeux et s'exclame: "Il y a des asticots au plafond". Ah? Bon? Des asticots? Tiens tiens...

J'imagine assez logiquement des vers de farine. Pas la première fois (quoique jamais au plafond) car les provisions de céréales bio plus ou moins mal gérées par une handicapée du ménage me réservent souvent ce genre de surprise. Laissez un fond de paquet de farine blanche dans un recoin de votre placard un an, deux ans, plus si affinités, jamais la moindre mite alimentaire n'aura l'idée saugrenue d'y pondre. La mite est une mère avisée, elle se soucie de ce que va bouffer sa progéniture, on ne saurait en dire autant de tous les parents. Mais un sac de farine complète, là... surtout à l'automne, je ne sais pas trop pourquoi, probable que les mites, en bonnes écologistes, se soucient des rythmes saisonniers.

J'ai un souvenir cuisant de mes débuts enthousiastes en consommation biologique. Quelques mites voletant de ci de là ne m'avaient guère alertée, en tous cas pas dans la bonne direction: pour moi, les mites, ce pouvait être que dans de vieux lainages insuffisamment gavés de naphtaline, j'avais exploré mes placards à vêtement, rien trouvé d'inquiétant, j'étais passée à autre chose tandis que le nombre de papillons augmentait résolument. Jusqu'à devenir vraiment gênant, même pour moi dont le seuil de tolérance est, je l'ai dit, assez élevé. Je ne sais plus quand et comment j'avais fini par découvrir le pot-aux-mites, je me souviens simplement que la situation était alors complètement désespérée. Pas un de mes sachets, farine, semoule, polenta n'avait échappé. Plus grave, il y avait des cocons dans tous les recoins des placards, dans les fissures du bois, sous les étagères, dans les charnières, partout. Les mites réapparaissaient périodiquement chaque année quels que soient mes efforts.

Depuis, j'ai fait quelques progrès: quand je vois voleter l'ange gabriel annonciateur la mite annonciatrice, je passe en revue mes provisions. Normalement, elles sont déjà enfermées dans des bocaux hermétiques: pots twist'off de différentes contenances ou bocaux de stérilisation inutilisés (en plus de nulle ménagère, je suis très velléitaire, et j'ai toujours envie de faire des conserves, envie qui ne dépasse que rarement le stade "achats de bocaux". Il reste pourtant toujours un paquet de farine qui n'a pas son bocal, soit que j'aie fait traîner la mise en sécurité, soit que mon achat ait dépassé la contenance d'un bocal, soit que j'aie racheté de la farine en oubliant que j'en avais encore tout plein. Je vide alors le paquet de farine dans une passoire à grille fine, je tamise tout ça dans un saladier, je retrouve au fond de la passoire les petits paquets agglomérés de filaments, et basta, je remets le reste en bocal. Il m'est arrivé aussi de devoir expurger un paquet de riz de ses charançons. C'est pratique avec le riz, la couleur tranche, avec les lentilles c'est plus délicat. Ne dites surtout rien à ma petite famille, ils n'aimeraient pas l'idée d'avoir mangé du riz ou des lentilles aux charançons ou de la sauce blanche clandestinement enrichie en protéines.

Mais là, bon sang, c'étaient pas des vers de farine, un peu trop longs, plutôt de petites chenilles. La copine suggéra amicalement qu'un rat crevé pourrissait quelque part. Pour les combles, une visite rapide nous rassura: pas de cadavre. On se débarrassa des bestioles en remettant au lendemain l'exploration des placards. Mais le passage de mes placards à l'inspection n'expliqua pas le phénomène. D'autant que, deux jours plus tard, nouvelle invasion, cette fois dans la pièce voisine. Et là, lumière: nous avions déplacé entre temps, pour en brûler le contenu, un fond de cagette contenant le reste de notre récolte de noix 2009. Quand la récolte suivante est faite, les anciennes noix ont tendance à rancir et c'est tellement désagréable de croquer dans une noix rance que ça ne vaut pas la peine de faire des économies. Sauf que là, en plus d'être (peut-être) rances, elles étaient véreuses. J'ignore tout du cycle du carpocapse de la noix, qui est paraît-il le même que celui des pommes et des poires, mais il est probable que celui-ci a été perturbé par la température, comme celui de la piéride du chou de l'an dernier.

Bref, on a sorti la cagette, et depuis, ma terrasse est pleine de mésanges attirées par l'aubaine. J'avais déjà cultivé des pucerons pour nourrir les coccinelles, j'ai élevé cet été des doryphores pour échapper à une malédiction (billet complémentaire à venir), et voilà que maintenant, j'élève des vers et des mites pour nourrir des mésanges. Aucune limite à ma générosité écologique.

Commentaires

1. Le lundi 22 novembre 2010, 14:38 par Christine

C'est étonnant ! Faut que je jette mes noix 2009 !

2. Le lundi 22 novembre 2010, 14:41 par cultive ton jardin

Peut-être qu'elles sont saines, et pas encore rances... à toi de voir!

3. Le lundi 22 novembre 2010, 16:52 par Gawel

J'ai eu le même problème mais j'étais persuadée que c'était encore un coup des mites, bien qu'au plafond du salon (très loin de ma cuisine)... Des asticots bien dodus.

Et qui venaient des noix passées à la bombe de peinture dorée l'an passé, pour en faire de la déco. Déco à la poubelle illico, plus de vers...

Ca se ressemble beaucoup ?

4. Le lundi 22 novembre 2010, 17:41 par cultive ton jardin

Très drôle, le coup de noix décoratives. En effet, ça se ressemble bien, et ça me confirme dans mon diagnostic. Théoriquement, les asticots sortis des noix devraient s'enfouir et se nymphoser en attendant le printemps. Là, ils doivent être surpris, les papillons, parce que leur destin naturel c'est de pondre sur des noix en devenir, au stade de la fleur ou du mini-fruit.

5. Le mardi 23 novembre 2010, 22:18 par Valérie de Haute Savoie

Popopo horreur et dame natation ! Ton billet me fait frémir. Je suis une ménagère alsacienne dans l'âme et je crois que mes pauvres noix de l'année dernière vont aller directement au compost !

6. Le mercredi 24 novembre 2010, 10:13 par cultive ton jardin

Pas de panique, Valérie, il s'agit de noix non traitées, cueillies par nos soins et pas triées, ou plutôt triées par défaut: on choisit les noix saines pour les manger, restent les noix véreuses en fin de saison. Ce n'est pas le cas des noix achetées, généralement traitées, puis triées avant la vente, peu de risques d'y trouver des asticots.

7. Le mercredi 24 novembre 2010, 10:20 par cultive ton jardin

Réfléchis bien toutefois à ce détail: c'est la phobie des asticots, entre autres, qui a rendue acceptable l'agriculture des poisons que nous connaissons. C'est la phobie des microbes qui est à l'origine de la tragédie du talc Morhange.

8. Le lundi 20 décembre 2010, 17:46 par Euterpe

Ce sont des larves de mites. Elles rampent au plafond et s'installent dans l'angle pour s'emballer dans leur cocon. Le plafond c'est l'endroit le plus chaud et le plus innaccessible. Je connais bien leurs habitudes à ces bestioles...un de ces jours je vais bien finir par me décider à acheter des micro-guêpes.

9. Le mardi 21 décembre 2010, 08:34 par cultive ton jardin

Là, ça venait bien des noix. Les papillons sont assez semblables à ceux des vers de farine, un peu plus gros. Les vers sont plus gros aussi, moins blancs, ils ressemblent davantage à de petites chenilles. Les vers de farine ont plutôt tendance, pour faire leurs chrysalides, à chercher des coins discrets, des plis dans un sac en papier, un espace sous l'appui d'une étagère, un angle de placard. Ce qui rend difficile de s'en débarrasser complètement, une fois installés.

Peut être que les vers des noix sont programmés pour grimper aux arbres?