Une affaire de femmes

Elles sont déjà 343, clin d'oeil à 1971. Elles vont bien, merci. Allez lire, allez signer leur texte.

On a fêté hier l'anniversaire de ce coup d'éclat de 343 femmes ayant avorté illégalement et le revendiquant publiquement. Un an plus tard, le procès de Bobigny. En 1973, le manifeste de 331 médecins déclarant avoir pratiqué des avortements illégaux et continuer à le faire. Puis, pendant deux ans, des milliers de militants et de militantes du MLAC entrant dans la désobéissance civique, pratiquant et aidant à pratiquer des avortements par la méthode Karman, découvrant ébahi(e)s la simplicité d'un acte dont tant de femmes étaient pourtant mortes, victimes d'une loi scélérate. Enfin, en 1975, la loi Veil, victoire en forme de retour à l'ordre.

Je fais partie de la génération pour qui la loi Veil a été une immense victoire, qui s'est battue pour ça. Si vous la relisez, la loi Veil, vous verrez pourtant que bof, elle mérite pas l'honneur qu'on lui fait. elle est bien restrictive, bien moraliste. Pleine de précautions oratoires, on devine l'intensité de la pression des anti. Elle dit, textuellement que peut solliciter de son médecin une IVG:

"La femme enceinte que son état place dans une situation de détresse..."

Dès le début de l'application de cette loi, nous avons dû ferrailler de nouveau contre ceux qui voulaient estampiller notre détresse, nous avons dû lutter pour faire reconnaître que seule la femme pouvait juger de son propre état de détresse, que le seul fait d'être enceinte contre sa volonté pouvait mettre dans une situation de détresse.

Nous avons gagné, car la loi ne demandait pas, en effet, des preuves de détresse, mais précisait au contraire:

"Une femme s'estimant placée dans la situation visée à l'article L. 162-1... "

Cependant, nous avons dû, en permanence, affronter deux types opposés d'arguments sournois. Le premier, que les femmes allaient, scandaleusement, avorter comme on prend le thé, avec des petits fours. "Tu comprends, j'ai connu une femme qui avortait parce qu'elle préférait changer de canapé, ayant pas les moyens de faire les deux". Ah bon, une femme qui préfère un canapé à un enfant, faut l'obliger à faire un enfant? Merci pour le môme, hein! Je jure que l'histoire du canapé est véridique. Yavait aussi celle de la bonne femme qui veut se baigner sur la côte d'Azur aux prochaines vacances, à l'époque pas question d'exhiber son gros ventre sur une plage. Elle en refera un dans six mois. Bah!

L'autre catégorie d'arguments, c'était que l'avortement était et resterait un drame affreux. Quand même un infanticide, quoi. Qu'aucune femme n'en sortait indemne, que le remords allait la poursuivre, la rattraper, la terrasser. Faut quand même choisir, hé? Ou bien elles s'en foutent complètement (les salopes!) ou bien ça ruine leur vie à tout jamais (les malheureuses!). Ben, les deux, tiens. d'abord elles avortent, comme des connes, sans y accorder d'importance. Ensuite, la punition divine, schlak, dans ta face!

Quarante ans après, qui revoili-revoilou? Les mêmes, rien appris, rien oublié.

On a quand même gagné ça, les filles, on n'en meurt plus.

Mais soyons vigilantes, ils sont bien capables de faire que l'avortement redevienne un drame qui brise les vies, ça les défrise que ce soit devenu quasi sans danger. Ils aimeraient bien qu'on recommence à trembler d'angoisse au moindre retard de règles.

De très vieilles ombres sont de retour et nous fixent sans trembler.

Commentaires

1. Le mercredi 6 avril 2011, 10:30 par usclade

Merci pour ce beau texte qui fait du bien à la mémoire et m'aidera à cultiver cette sensibilité auprès de mes jeunes enfants.
Le cerveau humain est plein de prédispositions au sacrifice, inculquées dès sa naissance par notre héritage religio-culturel, et celui du mâle en particulier les fait particulièrement prospérer... pour les imposer aux autres ...
Le combat est permanent...
(et selon moi on devrait même couper les allocs aux parents qui ne sont pas capables d'offrir un canapé décent à leurs petits :-)

2. Le mercredi 6 avril 2011, 10:45 par Judy

et une affaire d'hommes?

Dans l'hôpital ou je travaille, les hommes sont quasi absent des groupes de travail sur l'IVG. Ca doit pas être leur affaire, après tout.
Et je m'insurge. La détresse est l'affaire de tous. Ce qu'il y a, c'est que majoritairement, les humains, hommes comme femmes, ne s'intéressent qu'à ce qui est susceptible de les toucher aussi, ou à ce qu'ils ont déjà vécu.
Potentiellement, les hommes ont assez peu de risques de devoir passer par une IVG. Donc ils nes'en préoccupent pas. Circulez y'a rien à voir.
Heureusement, il y a quelques extraterrestres (mais pas des martiens, non merci John Gray - et je découvre en cherchant son nom qu'un spectacle sévit en France sous le nom de son "ouvrage". Consternation) qui n'ont pas besoin d'être dans l'empathie profonde pour s'intéresser au devenir de l'autre. Cela nécessite une qualité que je rencontre trop peu à mon gout: la neutralité de jugement. Le retour des bien pensants me le projette en pleine figure: ils pensent bien, donc ils pensent pour les autres. Et c'est le début des emmerdes. Je reste sidéré par l'incapacité de nombreux contemporains à faire la part des choses entre ce qui relève du domaine public et ce qui relève de la vie privée. Et, partant, par l'ingérance inadmissible dans la vie des autres au nom de principes prétendument supérieurs.
Quand on pense au nombre de guerres qui ont eu lieu à cause de cette manière de penser...

bref, concernant les hommes, je les vois encore assez mal participer activement au soutien de cette cause pourtant capitale, car retirer un peu de liberté individuelle à quelqu'un, c'est en retirer un peu à tous. Et mettre le doigt dans un engrenage que je n'ai pas envie de connaitre.

Tout ceci est surtout révélateur d'une société ou chacun vit de plus en plus isolé, et ou en contrepartie, il faudrait que le législateur vienne apporter de plus en plus de limites et de règles à la vie collective.

Bin oui, c'est ce qui arrive quand les gens vivent tout seul dans leur coin, ils ne savent plus vivre ensemble...

bref, je suis un peu désabusé, cela se sent dans mon propos, mais en tout cas, il y a des hommes qui ne sont pas indifférents à la cause. Courage les filles!

3. Le mercredi 6 avril 2011, 11:49 par usclade

@Judy : je suis d'accord, entre ceux qui ne sont pas concernés et n'ont pas d'avis (les plus nombreux) et ceux qui veulent imposer leur avis sur ce qui ne les concerne pas (les plus teigneux), pas facile de se frayer un chemin...

Ça me fait penser que j'ai fait mon service militaire avec un spécimen rare : issu d'une famille de cathos intégristes, il participait aux commandos anti-avortement. C'était mon binôme. On ne s'est jamais mis sur la gueule, ça relève de l'exploit.
Je crois que tout ça m'a permis d'acquérir une maîtrise de moi-même quasi-infaillible :-)

4. Le samedi 23 avril 2011, 19:18 par palmyre

Je ne me fiche pas de la facture à payer.. tout ce qui relève de la Liberté individuelle relève aussi de la Responsabilité individuelle... autrement dit oui à l'avortement libre mais pas gratuit. A la rigueur, pour les cas sociaux, mais depuis 1975, la contraception n'étant plus un mystère... il serait temps que les femmes assurent . Libre de son corps d'accord, et assez grande pour payer ses erreurs.

5. Le jeudi 28 avril 2011, 14:34 par cultive ton jardin

@ palmyre

J'avais pas très envie de te répondre, ç'aurait été ailleurs que sur MON blog, je l'aurais pas fait. Mais comme c'est chez moi, on pourrait penser que je t'approuve, ou au moins que je ne te désapprouve pas. Alors, finalement, je m'y colle.

D'abord, cette idée saugrenue, mais tellement répandue qu'on en oublie de s'interroger sur sa bêtise: pour se sentir "responsable", pour "assumer", il faut PAYER. En fric, d'abord, en douleur ensuite, les deux si possible. Alors que quand on se sent responsable, quand on assume, la bonne démarche, c'est plutôt de réparer, si on peut. Totalement ou partiellement. Et de faire le nécessaire pour pas recommencer.

Ce raisonnement absurde, de mon temps, on s'en servait pour interdire l'avortement: la femme qui avait "fauté" devait PAYER. On faisait semblant d'ignorer que celui qui risquait de payer le plus cher, c'est le (la) pauvre môme qui avait rien demandé à personne.

C'est d'ailleurs la raison de la gratuité, second point très important: qu'aucune femme ne soit conduite à garder contre son gré et faute de fric une grossesse qu'elle ne peut assumer.

Dernier point: la culpabilisation et la punition font très mauvais ménage avec la capacité à assumer. Les deux sont porteuses de toutes les tergiversations et de tous les dénis. Juste le contraire d'une manière responsable et autonome de vivre sa vie.

Sans oublier qu'il ne s'agit pas toujours dune "erreur", il existe un pourcentage incompressible de cas où la contraception la plus efficace et la mieux respectée... foire, tout simplement. Même la stérilisation tubaire a son pourcentage de loupés, c'est dire!