La carotte indignée

Zavez déjà vu une carotte sauvage? Facile à reconnaître quand c'est en fleur: une ombelle blanche comme il y en a beaucoup, beaucoup qui se ressemblent toutes, attention, la ciguë en fait partie. Mais, avec comme signe distinctif absolu, irréfutable, une petite fleur plus foncée, noire, mauve, violine en plein milieu de l'ombelle. C'est comme ça que mon petit jardinier, à trois ans, s'était taillé un fort beau succès en identifiant une fleur de carotte au bord d'un chemin.

Avec cet été-automne qui fait du rab, vous avez peut-être encore quelques chances d'en trouver. Arrachez la belle, c'est pas une fleur protégée, rassurez-vous. La racine sent, indubitablement, la carotte. Sinon, gare, tout ce qui est naturel n'est pas bon. Si vous êtes bien sûr que c'est un plant de carotte, fleur foncée centrale, odeur caractéristique, vous pouvez grignoter. Ça a le goût de la carotte, aussi. Seulement... c'est blanc (pas grave, ya des carottes blanches) mais surtout c'est plutôt petit, ramifié, et très fibreux. Vous pourriez peut être faire ça en soupe, ou plutôt en bouillon en filtrant bien, et à condition d'en arracher beaucoup.

Ya pourtant des gens, ya trèèèès longtemps, qui ont pensé que cette racine coriace avait de l'avenir. Qui ont patiemment, année après année, sélectionné les meilleurs plants pour en récolter les graines, puis encore et encore, jusqu'à ce que ça atteigne une taille raisonnable, qu'on ait quelque chose à se mettre sous la dent. Et ça continue aujourd'hui, des jardiniers, des grainetiers, cultivent, observent, goûtent, sélectionnent. Je vous parle de la carotte, mais les choux, les laitues, les blés, les riz, c'est tout pareil. Imaginez, en regardant votre racine de carotte, le boulot qu'il a fallu pour en faire la carotte que vous connaissez aujourd'hui. Des paysans, siècle après siècle, ont fait ce travail, patients et obstinés, sans penser que le profit en reviendrait à d'autres.

Car parmi les grainetiers qui ont pris le relais, certains ont imaginé avoir le droit, le droit du plus fort évidemment, de s'approprier tout ça et d'y coller LEUR étiquette, à eux, perso. Collectivistes, quoi, du genre tout ce qui est à toi est à moi. C'était déjà gonflé, non? Pourtant, personne a protesté. Ils offraient, paraît-il, une garantie. De conformité, de régularité, de fertilité, bref tout un cahier des charges dont je ne discute pas, sauf à la marge, l'utilité. Par exemple on aime bien (va savoir pourquoi) que dans un plat, toutes les rondelles de carotte aient la même taille et la même forme, c'est pour ça que les carottes coniques d'autrefois sont devenues cylindriques. Le goût? Secondaire.

Ça aurait pu leur suffire, non, aux semenciers dominants? Bé non, le capitalisme porte en lui le germe mortel du "toujours plus". Ils avaient volé aux paysans leur travail séculaire, mais ils continuaient à le partager avec eux, car le savoir a ceci de magique qu'on peut le partager sans en perdre une miette, et même en l'enrichissant. Un autre germe mortel du capitalisme, c'est celui de l'exclusivité, de la non concurrence. C'est un pur mensonge, quand ils nous bassinent avec la "concurrence libre et non faussée", qu'on ferait mieux d'appeler la concurrence librement faussée.

Voilà donc qu'ils ont trouvé insupportable que des paysans, pas nombreux chez nous, mais ça revient, un peu plus dans les pays pauvres où c'est vital, continuent à fabriquer eux-même leurs graines, comme ils le faisaient depuis plusieurs milliers d'années, sans se soucier du fait qu'on les trouvait aussi en sachets avec de grosses étiquettes copyright.

Eh ben non, c'est fini, le hold-up est complet. Et ils ont même trouvé des législateurs, défenseurs théoriques du bien public, pour en faire une loi.

J'ai vu récemment le film "Tous au Larzac". Ce film drôle, sympa, instructif, émouvant met en évidence, entre autres, la différence entre légal et légitime. Et la supériorité, forte et indiscutable, du légitime sur le légal. Le légitime doit devenir, redevenir, légal.

Et en attendant, on fait quoi?

Commentaires

1. Le mercredi 7 décembre 2011, 09:49 par sethangkormwa

Eh oui le savoir, c'est le contraire de l'argent et du pouvoir : plus on le partage, plus on en a.
A propos de partage du pouvoir, j'ai testé à mon grand regret la conception du FdG sur le blog de JLM. Pour ne pas dire ce qu'il est autorisé d'y dire, j'y ai été éliminé plusieurs fois. J'ai changé de pseudo et rebelotte. Alors à présent je m'exprime sur le forum "escouade du net de JLM". Il a été fait pour ceux qui veulent dépasser le cadre strict qu'impose JLM. Une trentaine de commentateurs y sont inscrits mais aucun n'y vient.
Pour la liberté dans les partis politiques, il faudra encore pédaler quelques temps. Très peu de gens y sont vraiment préparés.
Bravo pour ton blog. Je viendrai le consulter souvent. Et je vais me mettre à lire tes interventions sur le blog de JLM.

2. Le mercredi 7 décembre 2011, 18:39 par sethangkormwa

Dis donc, tes messages sur le blog de JLM sont très rares. Je suis remonté jusqu'au 18 novembre et je n'en ai trouvé aucun autre. J'en viens à me demander si celui que j'ai lu n'était pas ton premier...
Pourtant j'aurais parié avoir déjà vu ton peudo.
Tu parles ici du "droit du plus fort". C'est pour moi le sujet de réflexion le plus important. Il est omniprésent dans les relations humaines. Si on veut un vrai changement, il faut mettre ce sujet au centre des débats. Car il n'est malheureusement pas l'exclusivité des capitalistes.

3. Le mercredi 7 décembre 2011, 20:11 par cultive ton jardin

Je lis régulièrement le blog de JLM, je commente rarement en effet.
Sur la question du plus fort, c'est "nous" qui sommes les plus forts, nous les 99%. Mais nous ne savons pas nous servir de cette force, car elle présuppose que nous soyons unis. Alors, en attendant, ce sont "eux", les 1%, qui usent de leur force contre nous.

4. Le jeudi 8 décembre 2011, 00:02 par sethangkormwa

Je suis tout à fait d'accord : cette force existe et nous ne savons pas nous en servir parce que nous ne sommes pas unis.
L'essentiel de la réflexion doit donc porter sur le pourquoi et le comment de l'unité. Il faut donc commencer par affirmer cette évidence et ne pas faire semblant, au contraire, d'être unis. Et sur ce point ton témoignage est édifiant : les individus sont en avance sur les partis.

5. Le lundi 12 décembre 2011, 10:26 par Bretagne buissonniere

Oui j'ai entendu ca sur la tête au carré. C'est incroyable comment on fonctionne !