Récolte du riz à Mai Chau

Arrivant en fin de matinée, je m'étais promenée dans les rizières, sur ces petites digues de terre qui encadrent chaque rectangle de culture. Certains rectangles avaient été moissonnés, mais les gerbes de riz étaient restées sur place, à une vingtaine de centimètres au dessus du sol, soutenues par les chaumes. Pour finir de sécher, sans doute.

En début d'après midi (il était 13 heures mais les vietnamiens mangent tôt), j'ai vu une femme partir avec une énorme hotte vide. Elle l'a posée au coin d'un champ, puis s'est rendue à l'autre bout. Elle ramassait les gerbes, avec une lenteur et une régularité de gestes un peu hypnotiques pour moi. Poser les gerbes, qu'elle prenait par deux, sur l'avant bras, un, deux... trois quatre... cinq, six, au bout d'un moment, machinalement, je m'étais mise à compter. Bizarrement, elle en plaçait deux, (treize, quatorze...) sous le bras, peut-être pour servir d'appui au moment où la charge s'alourdissait?

A vingt, elle posait son fardeau sur une diguette. En la voyant d'abord remonter, j'ai compris le pourquoi de son costume surprenant, une sorte de minijupe noire: elle était dans la boue jusqu'à mi-cuisse. Puis elle repartait. Redescendait. Une, deux... trois, quatre... un autre tas, à un autre endroit. Mais pourquoi la hotte, manifestement trop petite malgré sa taille énorme?

D'autres femmes sont arrivées. Pantalons que l'on retrousse, jupes longues que l'on remonte à la taille, hottes semblables à la première. Corsages de différentes couleurs, chapeaux coniques traditionnels parfois posés sur un autre chapeau en tissu très occidental. Mêmes gestes, ramasser, porter, poser. Puis d'autres gestes, pour mettre les gerbes dans la hotte. Quand la hotte est pleine, encore quelques gerbes verticales, grains vers le bas, qui soutiendront d'autres gerbes posées à plat. Faire bonne mesure. S'accroupir derrière la hotte, passer les bretelles autour de ses épaules.

Se relever.

Moi, je suis toujours sous mon arbre, à ne rien faire que regarder, à l'ombre alors qu'elles sont en plein soleil. Ma sueur ruisselle. La leur aussi, parfois un geste pour éponger le visage, parfois une pause, accroupie, le regard au loin. Puis le travail qui reprend. Maintenant, sur la ruelle en ciment, une petite murette de gerbes s'est formée. Chacune vient vider sa hotte, pose les gerbes avec précaution, les grains vers le centre de l'allée, stabilise d'un geste le tas avant de repartir.

L'après midi, une promenade à travers les villages nous fera découvrir la suite. D'étranges machines, sortes de bicyclettes équipées à l'avant d'un rouleau de grillage. On pédale, le rouleau tourne. On le "caresse" avec les gerbes, le grain tombe, on rejette les bouquets de paille. Chacun son rôle, l'enfant qui apporte les gerbes pleines, les vieilles qui trient les pailles dépouillées, celui ou celle qui prend la relève du "cycliste" fatigué. D'autres passent le riz dans des paniers plats pour éliminer les pailles restantes. Sous les maisons à pilotis, un peu partout, d'autres bicyclettes-batteuses. Parfois agrémentées d'une toile sur l'avant, les projections de grains de riz dans les yeux sont redoutables. D'autres tas de paille, d'autres tas de riz. Quelques sacs. Quelques batteuses à moteur.

Le soir, des femmes déplacent les tas pour récupérer les grains de riz tombés sous la paille. Les pailles ne sont pas perdues non plus. Nettoyées pour ne garder que les beaux brins, nouées en petits bouquets réguliers, épointées, on les voit se transformer en balayettes qui finiront de sécher, soigneusement alignées à la verticale, et seront parfois vendues sur place, les ménagères renouvellent leurs outils. La paille non récupérée sera brûlée, et la cendre retournée aux rizières. Le compostage ne semble pas utilisé.

Le lendemain, très tôt, ça recommence. La plaine est parsemée de travailleurs, et surtout de travailleuses. La faucille qui sépare puis coupe, les poignées qui s'ajoutent aux poignées, la gerbe nouée, déposée en équilibre sur le chaume. Ailleurs, les rizières dépouillées sont piochées. Quelques touffes boueuses sont sorties, déposées sur le bord, pour consolider une diguette qui donne des signes de faiblesse. Les autres sont enfouies. Nous ne saurons pas s'ils repiquent de suite. Selon le climat deux ou trois récoltes annuelles sont possibles, quatre dans les endroits favorisés par le climat et la fertilité, le delta du Mékong par exemple. Mais ici, nous sommes au Nord, et dans une région montagneuse.

L'après midi, nous rentrons sur Hanoi. Cent cinquante kilomètres, quatre heures de route. Encore un peu de vague dans les yeux, nous retrouvons les klaxons et la vie citadine.

Commentaires

1. Le mardi 10 juin 2008, 19:34 par Otrynteus

J'avais écrit un commentaire mais c'est trop difficile après tes billets, c'est un peu comme lâcher une brouette de ferraille au milieu d'un parterre de fleurs.

Juste merci donc.

2. Le mardi 10 juin 2008, 20:50 par Patrick

Tout pareil qu'Otrynteus : l'envie de faire durer cet impression de paisible silence à la fin du billet.

Encore ! :o)

3. Le mardi 10 juin 2008, 21:22 par Christine

Presque pareil que les autres. C'est si bien écrit et fini, que ça décourage le commentaire.
Mais ça n'empêche pas la lecture et l'admiration.

Un peu comme chez JPM, dans un tout autre genre.

4. Le mercredi 11 juin 2008, 04:51 par cultive ton jardin

Euh, vous me faites tous rougir. Mais je suis heureuse d'avoir pu rendre l'émotion de ce moment, tellement délicate, tellement subtile, que c'était pas gagné!

5. Le jeudi 12 juin 2008, 00:53 par vieil anar

Comme les autres, captivé par ton récit! Si je peux me permettre, ça manque peut-être un peu de couleur, (déformation professionnelle), mais le noir et blanc c'est bien aussi! Je devrais venir te lire plus souvent!

6. Le jeudi 12 juin 2008, 02:44 par cultive ton jardin

Tu as raison, complètement oublié les couleurs, tellement j'étais captivée par les gestes.

C'est étrange, quand même... parce que c'est d'abord le corsage rose vif de la première femme que j'ai vu.

Sinon, les couleurs, c'est vert et bleu, avec du gris-brun pour les maisons et les hottes. Mais avec plein de nuances ton sur ton.

Rien que les couleurs des rizières, pour un fabricant de vitraux, ce serait un fameux boulot. Tu devrais t'y coller!