Les fantômes de Hanoi

C'est une bande dessinée parue en 2006. Magique.

Dès la page de couverture, tout est là: six motos de front, six jeunes vietnamiennes, parmi lesquelles l'excentrique en rouge vif et talons hauts, la jeune fille sage avec manteau gris et sac à main, la loubarde, froissée et décoiffée, la paysanne, chapeau conique joliment noué par le masque à poussière. Mais aussi le panneau qui interdit le passage aux voitures...et aux charrettes (place aux motos!), la cage à oiseaux suspendue à un arbre au dessus de la rue, le haut-parleur omniprésent dans la BD, incarnation d'une "voix de son maître" à la fois menaçante et bonasse, les bâches dans le vent et les poutrelles qui dépassent d'un immeuble en construction, et, en bas à gauche, tout petit mais inévitable, le marche-pied métallique (il y en a aussi en bois ou en béton) qui permet de monter la moto sur le trottoir sans se casser les reins, vu que c'est un geste qu'on fait dix ou vingt fois par jour.

"Dans votre tête, ne laissez pas s'insinuer Hà Nôi, elle ne vous lâcherait plus". C'est bien vu, et je crois que l'auteur en a été la première victime. Il prépare une autre BD qui parlera aussi de Hanoi. Il se désole de l'état d'abandon du Pont Long Bien, emblématique de la ville avec ses ferrailles qu'on voit de très loin. Autrefois repeint en quasi permanence (le temps d'arriver au bout il fallait recommencer), voilà qu'il rouille et se dégrade. Sa fin aurait-elle été programmée? Il en parle comme d'un vieil oncle pour lequel il s'inquiète. Dans la BD, vous ferez connaissance avec lui entre les pages 26 et 29, les paysannes à vélo, les ouvriers qui jouent un drôle de badminton avec les boulons chauffés au rouge, le vieux fou imprécateur édenté qui erre en dessous, le train qui ébranle tout l'édifice. Mais vous le retrouverez plusieurs fois ensuite, il le mérite.

Les femmes, les jeunes femmes, tiennent beaucoup de place dans cette BD. On sent bien à quel point elles ont séduit l'auteur, qui le reconnait. "Mais les femmes tiennent réellement une place importante dans cette ville" dit-il. Et c'est vrai. Elles sont partout, à vélo, avec des charges qui effraieraient un éléphant, sur les trottoirs en train de vendre mille choses, dans la rue avec leurs palanches, et à moto, bien sûr, toujours impeccables malgré la poussière et les flaques. Indépendantes et assujetties à la fois, à la pointe de la modernité et prisonnières des traditions, étonnant mélange qu'elle réussissent pourtant.

Les femmes de Hanoi sont la métaphore de Hanoi.

La nuit est douce. Nous sommes dans un petit café, tout près de l'affreuse "cathédrale" que nous leur avons laissée et qu'ils aiment quand même, au point que l'endroit est devenu le rendez-vous de la jeunesse. Nous dégustons un jus, ou plutôt une purée de mangue en compagnie de notre amie Van et de l'auteur, que nous rencontrons grâce à elle.

Il s'appelle Gérald Gorridge. Son nom vietnamien, c'est "Ma Xo Hà Nôi". Il l'a mérité en parcourant discrètement, son carnet de dessin à la main, tous les recoins de cette ville, comme un fantôme amical. Ce faisant, il a laissé Hanoi s'insinuer dans sa vie et en effet, elle ne le lâche plus.

Pourtant, il lui prépare une vilaine infidélité: un livre de dessins sur Hué. Mais Hanoi est bonne fille, elle ne lui gardera pas rancune.

Commentaires

1. Le mercredi 11 juin 2008, 16:24 par Ga(i)elle

... j'aime vraiment beaucoup comme tu écris. Pas besoin de lire la BD, j'en vois les images...

2. Le mercredi 11 juin 2008, 23:20 par Patrick

Hanoi parait un peu loin pour une visite de week-end. C'est dommage !

Je n'ai pas bien compris le marche-pied pour les motos (?)

3. Le jeudi 12 juin 2008, 00:46 par vieil anar

Heu, moi, comme Patrick, pas bien compris le marche-pied pour les motos, tu peux réexpliquer :o))

4. Le jeudi 12 juin 2008, 02:29 par cultive ton jardin

C'est vrai que c'est pas facile à expliquer. Il me manque le mot adéquat.

Comme on ne peut pas faire des "bateaux" (yen aurait trop) sur le bord des trottoirs afin de faciliter l'accès des motos au trottoir, pour rentrer chez soi ou accéder aux parkings improvisés devant chaque boutique ou restaurant, chaque résident a un truc pour faire accès, parfois en béton, mais souvent en bois ou en ferraille, pour être, théoriquement, amovible.

Nous on en a deux, en bois. Un pour passer de la rue au trottoir, l'autre pour passer du trottoir à la maison.

Oh, et puis zut! Zavez qu'à acheter la BD et regarder en bas à gauche. Pas complètement en bas, mais complètement à gauche. Un petit truc en ferraille tordue qui a l'air d'avoir vécu des choses assez terribles.

Bon, je veux bien être gentille, voilà un lien pour ceux qui connaissent pas encore Google , ou à qui ça donne des boutons de s'y référer.

5. Le jeudi 12 juin 2008, 02:34 par cultive ton jardin

@ Ga(i)elle:

Tu peux quand même acheter la BD (ou la conseiller à ta bibliothèque préférée, qui t'en sera reconnaissante), pasque j'ai (quand même!) pas tout raconté. Même moi, après l'avoir relue X fois en rigolant, je fais encore des découvertes.

Et puis, t'as vu combien il faut de mots pour décrire un truc de 4 centimètres carrés!

6. Le jeudi 12 juin 2008, 13:59 par Fauvette

J'ai compris ! Et j'ai bien envie de la lire cette bd maintenant, merci !

7. Le jeudi 12 juin 2008, 16:47 par Patrick

@Mc : "Et puis, t'as vu combien il faut de mots pour décrire un truc de 4 centimètres carrés!" ouais, le dessin c'est un truc de fainéant :o)

Merci pour les précisions sur le "marche-pied".