La vengeance du doryphore

J'ai promis dans le billet précédent de vous raconter ma rencontre de cet été avec un unique doryphore. C'était en juillet, les vacances scolaires étaient à peine entamées, et Petit Jardinet me tenait compagnie au jardin. "Petit Jardinet" est le pseudo qu'il s'est lui-même choisi pour signer un commentaire après avoir demandé à sa mère l'explication de mon pseudo de "Jardin".

Donc nous étions tous deux accroupis près du carré de patates, quand il poussa un cri joyeux: "Un doryphore!". Et, effectivement, sur la terre déjà desséchée, entre les fanes tout aussi desséchées de mes premières patates, celles plantées fin mars et que je commençais à récolter, un doryphore trottinait malaisément entre les mottes. Plusieurs générations de paysans affamés par ces infâmes bestioles quand elles pullulaient ont soudain fait irruption entre mon bon sens et ma main, et crac, écrasé entre deux pierres le doryphore.

C'était particulièrement stupide: ma récolte, déjà bien avancée, n'avait plus rien à craindre, et d'éventuelles larves issues d'éventuels oeufs de cette pauvre bête avaient peu de chances de trouver une nourriture assez abondante à cette période de l'année. Mais le geste avait été instinctif. Petit Jardinet me regarda d'un air consterné et s'exclama avec une indignation incrédule: "Tu l'as tué!?" Immédiatement consciente de l'énormité de ma faute, je bafouillai quelque chose de très mauvaise foi sur la nuisance des doryphores (dans les années 50) et sur mon grand père qui me les faisait ramasser dans une boîte de conserve rouillée pour les écraser d'un pied déterminé sur les allées impeccables de son potager. Mais on n'est guère convaincant quand on n'est pas convaincu.

Petit Jardinet poursuivait douloureusement "C'était le premier que je voyais en VRAI!". Ses yeux charmeurs et chaleureux ne l'étaient plus du tout et se plissaient dangereusement, je capitulai: "Tu as raison, j'ai pas réfléchi, j'ai eu tort, j'aurais pas dû, j'ai fait trop vite, sans réfléchir". Ben oui, qu'est-ce qui m'a pris, quoi? Dès ses trois ans, je lui avais acheté un chouette bouquin sur les coléoptères, la coccinelle en était évidemment l'héroïne principale, mais le doryphore y tenait un second rôle de qualité. Il y avait même un mécanisme tournant qui faisait apparaître dans une fenêtre les différentes étapes du cycle de vie de l'insecte, les petits oeufs collés au dos d'une feuille, la larve grasse et goulue, la nymphe qui passe l'hiver en terre, l'insecte qui sort au printemps et recommence la saga.

Par ailleurs, j'avais jadis acheté pour mes enfants qui n'en avaient cure une petite boîte en plastique cylindrique, avec un couvercle aéré doté d'une loupe de bas étage qui permettait d'observer les insectes retenus momentanément prisonniers pour les relâcher ensuite rapidement, le mode d'emploi le précisait bien. Petit Jardinet, vingt ans plus tard, se l'était appropriée et en faisait bon usage. Et il continuait: "Je voulais le mettre dans ma boîte et le regarder. C'était le premier que je voyais. EN VRAI. Et toi, tu l'as tué!". Je n'en menais pas large...

Il me rappela mon crime à plusieurs reprises au cours de l'été. J'eus beau lui laisser sauver d'une fourmilière puis élever dans ma cuisine une noctuelle, ces vers gris qui cisaillent en une nuit la plus belle des salades, ou toute une colonie de piérides ravageuses, j'eus beau lui trouver une magnifique chenille de sphinx (autre histoire que je vous conterai plus tard), le souvenir du doryphore assassiné refaisait surface périodiquement.

A la fin de l'été, je finis par me rebeller: "Eh, oh, c'est pas fini? Ya prescription depuis le temps. Jusqu'à quand tu vas me reprocher cette histoire?". Il me regarda de son air le plus noir: "Jusqu'à ta mort!".

Olala! me voilà poursuivie jusque sur mon lit de mort par un fantôme de doryphore, comment échapper à une telle malédiction? Dès le printemps prochain, vous me verrez guetter fébrilement l'apparition des doryphores sur mes patates, et ce ne sera pas pour les écraser. Le Grand Lapin veuille que le pardon me soit enfin accordé!

Commentaires

1. Le mercredi 16 septembre 2009, 12:19 par Ga(i)elle

:-D Pauv' tit bonhomme ! Et pauvre de toi, moi ça me ferait peur un fantôme d'insecte... ça s'écrase pas !

Il serait copain avec le Nours ton Petit Jardinet... Il adoooore regarder sous tous les angles les insectes (vivants ou morts, cf. le moustique d'hier qu'il secouait en lui demandant s'il était mort... ce qui est vraisemblable vu la claque qu'il s'est prise) !