Bidoche et cancer du rein

Comme je vous l'ai dit, je lis à petites foulées, pour éviter une overdose fatale, le bouquin de Fabrice Nicolino. J'aime la viande, j'en mange peu mais avec plaisir, et je serais désolée d'en être totalement dégoûtée. Quoique...

Pages 86 et 87 de son livre, Fabrice Nicolino nous raconte une sombre histoire, dont je ne me souviens pas avoir entendu parler (et vous?). En avril 2007, la société Adisseo, qui fabrique des aliments pour bétail, est condamnée: "Faute inexcusable -une première dans le vaste et ténébreux domaine de la chimie. Elle aurait dû agir, elle ne l'a pas fait".

La première alerte est pourtant très ancienne: elle date de 1980, quand Rhône Poulenc était encore (ir)responsable. Entre temps, l'entreprise a changé trois ou quatre fois de propriétaire. En 2003, vingt trois ans plus tard, dix cancers du rein chez les ouvriers d'un seul atelier. La malchance des ouvriers qui manipulent des produits cancérigènes, c'est qu'un cancer se développe lentement. Leur "chance", c'est lorsque, comme dans le cas de l'amiante, le cancer est très spécifique, ou très rare, comme dans le cas de la méthionine, ici en cause. Dix cas de cancer du rein dans un seul atelier où précisément les ouvriers manipulent ce produit connu pour ses effets toxiques et mutagènes, en particulier sur les reins, ça rend peu probable une simple coïncidence. Vingt sept ans se sont écoulés entre la première alerte et la condamnation de l'entreprise. Des 28 ou 29 personnes atteintes, dix sont décédées, toutes ont vu leurs vies, leurs familles bouleversées.

Perdre sa vie pour la gagner.

Cela rend dérisoires les appels à "sauvegarder l'emploi" dont on nous leurre pour nous dissuader de combattre ces mortelles dérives. On parle beaucoup des consommateurs, on oublie souvent que les premiers touchés par ces produits qui nous empoisonnent à petit feu, ce sont ceux qui les fabriquent. L'opposition entre consommateurs et salariés est stupide et menteuse. Combien d'entre nous sont à la fois l'un et l'autre? Combien d'entre nous ont au moins un être cher qui prend des risques sur son lieu de travail?