Entre les deux vierges

Mais non, je vais pas vous parler de virginité (obligatoire) avant le mariage, ni de reconstruction chirurgicale de l'hymen pour faire croire que le paquet cadeau n'a pas été ouvert. Ne fantasmez pas, googliens intégristes de notre sainte laïcité. Petits pervers amateurs de chair fraîche, passez également votre chemin.

Il s'agit d'une vieille expression pour mémoriser la période où la chasse aux herbes vivaces envahissantes doit être la plus intense, étant aussi la plus fructueuse. Entre les deux vierges, c'est entre l'assomption et la nativité de la vierge. C'est purement mnémotechnique, hein, elle s'occupe pas de ça, Sainte Marie Mère de Dieu. Cela commence au 15 août. C'est à cette date que la sainte vierge est montée au ciel. Je vous sens sceptiques, mais je vous assure que je l'ai vue sur son petit nuage, pieds nus écrasant le serpent démoniaque, bras croisés sur la poitrine, regard levé vers le ciel un peu en biais. Elle est montée au ciel, point barre, je veux plus entendre murmurer au fond de la classe, l'infaillibilité pontificale est en jeu, ainsi que l'identité chrétienne de l'Europe. Donc, ça commence au 15 août, et ça se termine le 8 septembre. Demain, quoi. Le 8 septembre, c'est la fête de la nativité de cette même sainte vierge. Les mystères du calendrier liturgique la font naître trois semaines après être montée au ciel. Comme dans les premières salles de "cinéma permanent", quand on pouvait entrer n'importe quand et qu'on était pas obligé de sortir à la fin (ça n'a pas duré, cte blague!), où on pouvait voir Jeanne d'Arc flamber sur le bûcher avant de devenir bergère.

Effectivement, chaque année, vers la mi-août, des indices parfois minuscules, parfois massifs, petit vent coulis entre deux journées de canicule ou vrai temps de cochon qu'on se croirait en novembre, nous font souvenir que l'été n'est pas éternel. Au jardin, pourtant, la fin de quelque chose est toujours le début d'autre chose. Bizarrement, ça me fait le même effet qu'au printemps les premières fleurs: je me mets à préparer l'avenir, je commence à nettoyer le jardin en vue du printemps.

J'ai beau avoir tenté de bannir de mon vocabulaire l'expression "mauvaises" herbes, je dois reconnaître que certaines me donnent du fil à retordre. Commençons par les liserons. J'en ai deux sortes: les "à petites fleurs", qui rampent en étoile autour de leur point de sortie. Ceux-là sont presque sympathiques. ils jouent les couvre-sol, et vous savez qu'un sol ne doit jamais rester nu sous peine de voir sa vie microbienne et sa vie tout court s'appauvrir jusqu'à disparaître. Si j'ai négligé de semer des soucis entre deux rangées de choux, si j'ai oublié de pailler mes tomates, si la distance nécessaire entre deux plants de potirons menace tout un espace de désertification, le liseron à petites fleurs occupe le terrain et empêche par la même occasion des herbes plus tenaces de s'implanter. Ce liseron-là ne nécessite qu'une surveillance distraite, un arrachage à l'occasion sans acharnement particulier.

L'autre liseron, celui à grandes fleurs, est moins raisonnable. Présent partout dans mon jardin dès le printemps, il se déchaîne, va savoir pourquoi, après le 15 août. Il sent venir l'hiver et cherche dès lors à faire le maximum de réserves racinaires. Connaissez-vous la racine du liseron? Jamais vous ne la verrez en entier. Elle monte des profondeurs de la terre, elle est blanche et charnue, et particulièrement cassante. Si vous vous contentez de tirer dessus, vous n'en aurez que quelques centimètres. Il faut y aller à la triandine, fourche-bêche à quatre dents comme son nom ne l'indique pas. La grelinette ne va pas assez profond. Il faut ensuite tirer avec délicatesse pour gagner encore quelques centimètres, sachant que de toutes façons ça repoussera. Moins vite, c'est toujours ça de gagné. Le malheur, c'est que le liseron va souvent, petit malin, se nicher entre les racines d'un cassis, d'un groseillier, et qu'il est particulièrement heureux parmi les framboisiers. Rien d'autre à faire alors que de limiter ses ébats. Je me console en pensant à la magnifique chenille du "sphinx du liseron" que Jardinet et moi avons eu le plaisir d'élever l'an dernier.

Ya pas que les liserons, ya aussi les ronces. Non seulement elles se déchaînent, elles aussi, fin août, mais elles vont à dame. C'est à dire qu'après avoir poussé des tiges démesurées, plusieurs mètres quelquefois, elles cherchent du bout du nez (à l'odeur?) un endroit particulièrement propice à l'enracinement. Et hop, ça repart aussi sec, comme de géants stolons de fraisiers. Heureusement pour moi, elles choisissent des endroits particulièrement meubles d'où il sera facile de les déloger. A condition de faire vite, sinon, en quelques sauts, elles vous colonisent la moitié du jardin. Il m'est déjà arrivé plusieurs fois de perdre en peu de temps l'espace durement gagné l'année précédente. Donc couper, couper, couper, arracher si l'on peut encore, lutter pied à pied, ne jamais gagner mais ne pas perdre non plus.

Dernière coriace, (pour aujourd'hui, y en a d'autres, des envahisseuses coriaces) le chiendent. Bien nommée celle là, un vrai chiendent. Chienlit, comme disait le général à propos des gauchistes de 1968. Le chiendent est bien plus discret. Un simple brin d'herbe au milieu d'un carré fraîchement désherbé. Tiens, d'où sort-il celui là? Quand vous tentez de l'arracher, soit il vous reste entre les doigts, laissant intacte la racine pour d'autres aventures, soit, si vous avez un peu de chance (ou d'expérience), vous l'attrapez, cette maudite racine. Et là, surprise, elle n'est pas verticale, comme la plupart des racines qui se respectent, mais horizontale. Et fameusement solide, on en faisait des brosses à récurer les planchers ou à laver le gros linge. On appelle ça une racine traçante. Et effectivement, vous pouvez la suivre à la trace, jusqu'en bordure de l'allée où se trouve la plante mère. En bordure de l'allée, c'est parce que, jardinière paresseuse, j'ai laissé mes allées principales se faire envahir par l'herbe. Chiendent, pissenlits, trèfle, plantain. Ça n'a pas que des inconvénients, ça évite la bouillasse par temps de pluie, ça limite le ruissellement toujours problématique dans les jardins en pente, c'est plus sympa à regarder. Mais ça nécessite une certaine vigilance, et en particulier de refaire une ou deux fois par an les bordures au pic de terrassier.

Je vous en parle dans un prochain billet.