Harcèlement à l'école

Ça date de douze ou treize ans, alors ya prescription, hein?

Un soir, à table, je remarque un bleu sur le visage de mon fils. Je m'étonne, il me dit d'un air un peu gêné qu'il est tombé. Tombé? Son frangin ricane: il est pas tombé, il s'est battu. Battu? Le petit baisse le nez. Nous n'avons jamais interdit à nos enfants de se battre, certes, mais justement, ya pas besoin, on n'a même pas eu à y penser.

Il est en sixième, ou peut être en cinquième. Un visage fin, des yeux bleus innocents dont il sait fort bien jouer à l'occasion, des cheveux mi longs (mea culpa, je suis un peu négligente sur ce point). Depuis quelques temps, un groupe de petits tyrans l'a pris en grippe. Ils féminisent son prénom, le raillent, le bousculent. Vous connaissez le truc du demi tour avec cartable? Un cartable bien lourd sur le dos, vous passez tout près du copain, l'air de rien, puis vous faites brutalement volte face, le gamin se prend un coup violent. Il vous reste à prétendre "pas exprès, m'sieur" si on vous voit, puis à vous marrer en douce.

Victime de sa "bonne" (?) éducation, le môme encaisse. Puis un jour, il en a marre, se précipite sur ses tortionnaires, distribue ses coups un peu au hasard, en prend davantage d'où quelques bleus dont un visible. Il n'a pas le dessus, certes, surtout contre deux ou trois mieux entraînés que lui. Mais bon. Quelques jours après, je lui demande des nouvelles. Ses agresseurs le laissent désormais tranquille.

Ils s'en prennent à un autre.

L'année suivante, nous sommes convoqués par le proviseur. Un enseignant qui remplace provisoirement le titulaire, parti en formation, et qui prend sa mission très au sérieux. Une fille s'est plainte, ou plutôt ses copines. Démoralisée par les sournoiseries d'un petit groupe de garçons qui ne cesse de s'en prendre à elle, elle n'en peut plus, sanglote dans les coins, et ses copines font ce qu'elle n'ose ou ne veut pas faire, elle alertent l'enseignant. Ça remonte au proviseur. Notre fils, cette fois, fait partie des agresseurs. Pas méchants, non, ils ne frappent pas. Simplement de petits coups d'épingle, incessants. On rigole, quoi.

Bien entendu, nous allons remettre les pendules à l'heure avec notre fils. Lui expliquer que rigoler DE quelqu'un c'est pas pareil que rigoler AVEC quelqu'un. Que se mettre à plusieurs contre un, même si on frappe pas, c'est pas très honorable.

Je dis au proviseur que j'approuve complètement sa démarche. J'ajoute simplement que si, l'année précédente, quelqu'un avait fait ce même travail... Bon, vous allez me dire que les enseignants ne peuvent avoir les yeux partout. Que les surveillants... ben justement: allant chercher un jour mon enfant à la fin du repas, je vais errer un bon quart d'heure dans un collège apparemment vide d'adultes avant de trouver quelqu'un à informer de son départ. Plusieurs centaines d'enfants en roue libre. Qui, ma foi, se comportent plutôt bien, merci pour eux.

Je suppose qu'aujourd'hui, avec le progrès, on aura installé des caméras de surveillance?

Commentaires

1. Le mercredi 6 avril 2011, 11:27 par paul

ça c'est un constat que j'ai fait dans ma propre vie dès l'enfance : c'est le fondement de l'éducation des petits garçons.
pour être un homme faut subir sans pleurer, sans se plaindre, sans moufter, sans demander justice, ou être dominant et faire à autrui ce qu'autrui vous a fait, l'agresser, l'obliger à se soumettre ou à prouver sa valeur en agressant : le discours, c'est de prouver qu'on est combatif, capable de force et de défense autrement dit d'attaque... bref de valeurs guerrières.
le petit garçon qui instinctivement refuse ça, est exclue par les autres et les subit constamment et est aussi culpabilisé par les adultes, souvent les "pédagogues" de la sociabilisation, et souvent ses propres parents, comme pas viril...
ça me fait penser à cette régulière citation qui est faite de cet horrible texte du point de vue des valeurs exprimées, de Rudyard Kipling, "If", qui est emblématique de cette soumission à la domination du plus fort, donc valorisation de la destruction comme valorisatrice de la soumission.
ça va de paire.
mais faut surtout pas le dire.
et faut surtout pas prôner un rapport sensible, sensuel, empathique à l'autre, basé sur l'idée de ne jamais faire à autrui le mal qu'autrui vous a fait : parce que si non, si on fait pas ça, on n'est pas un homme et on est automatiquement traité de femme !
ben voilà, tout est là : la construction sociale dominatrice est fondée sur les rites de bizutages dans lesquels les hiérarchies et les liens sociaux sont fondés sur le mal subit que l'on a ensuite le DEVOIR plus le DROIT de faire subir à d'autres.
avec le cortège d'identifications hiérarchisées sexistes et racistes, dnc généralisation de valeurs fondées sur le mépris de critères phénotypique auxquels sont attribués artificiellement des aptitudes et "défauts" : et comme par hasard, qu'est-ce qu'est méprisé ? ce qui est attribué à l'enfance et à la femme : sensibilité, délicatesse, empathie, curiosité... comme si tous les enfants et les femmes étaient intrinsèquement tels ! mais surtout comme si être tels était mal !
ben ce monde là : j'en veux pas.

2. Le jeudi 7 avril 2011, 22:36 par cultive ton jardin

Je n'ai pas élevé mes garçons dans le respect de ces valeurs prétendument viriles, mais j'aurais été désolée que, par la faute de mes convictions plutôt pacifistes, mon fils se laisse brimer sans réagir.

Pour mes filles, d'ailleurs, je ne réagis pas autrement. Respecter les plus faibles, ne pas se laisser écraser par les plus forts. C'est tellement plus facile de faire le contraire... que ça demande un petit coup de pouce éducatif.

3. Le jeudi 21 avril 2011, 17:17 par La ratapinhata

Mes deux enfants, fille 12ans et garçon 15ans, pratiquent les Arts Martiaux...Ils ont déjà été agressés par des petits "caïds"... et ont eu le dessus.

Evidemment, c'est marrant d'imaginer que ma fille ait pu mettre au sol un gars de 1,83m, lui faire une clef de bras, puis de colonne vertébrale... et un petit discours sur la manière de se comporter en société...
Je suis une mère hyper-anxieuse, mais je me domine.. et je préfère pour leur liberté et leur sécurité savoir mes enfants aptes à réagir, avec une bonne connaissance du combat... pour éviter les accidents.

Je vais encore chercher ma fille au Conservatoire, parce que nous habitons un quartier désert, et un de ses copains rentre avec nous: il était devenu le souffre-douleur de "grands" de troisième... et ne pouvait plus sortir tout seul... Comme il s'agit d'adolescents en Classe à Horaires Aménagés du Conservatoire de Nice, le gratin quoi.., on comprends que cette affaire de harcèlement ne dépend pas du milieu social, c'est un problème plus vaste... de société ?

4. Le jeudi 21 avril 2011, 21:55 par cultive ton jardin

"De société", bah... c'est bien vague.

Finalement, il est probable que les brimades des grands sur les petits, des forts sur les faibles ne sont pas une nouveauté. Et sont même en diminution. Simplement, autrefois, on s'en foutait. Nous sommes devenus très sensibles à ça, et c'est tant mieux pour les enfants, et pour les adultes qu'ils vont devenir.

Il faut savoir que plus un comportement se raréfie, plus il devient insupportable, contrairement à l'impression que donne sa médiatisation. Mais si nous voulons vraiment que nos enfants soient plus respectueux entre eux, c'est un choix éducatif dont nous devons nous donner les moyens. Et ces moyens ne sont ni les caméras, ni un surcroît de répression, un enfant réprimé ne devient pas respectueux mais agressif. Les moyens sont une plus grande densité d'adultes auprès des enfants. Et plus de respect des adultes envers les enfants.

C'est assez simple, finalement, non? Très exactement le contraire de ce dont on nous bassine quotidiennement.

5. Le vendredi 22 avril 2011, 03:00 par La ratapinhata

J'ai eu la chance que mes enfants aient été attiré par les Arts Martiaux. C'était leur choix. Et nous y avons tous découvert un code de respect des autres, et de contrôle de soi...
Les premiers éducateurs sont les parents... c'est leur devoir et leur droit.
Je me méfie de l'angélisme en matière d'éducation... Il faut toujours rester dans la réalité.
Plutôt que de longs discours , l'exemple et des idées claires: les lois de notre société s'appliquent aussi aux enfants. Il apparait que de plus en plus les structures fréquentées par la population enfantine ( jusqu'à 18 ans, quand même) sont des zones de non-droit où la loi commune est suspendue, sous des prétextes "éducatifs". Et c'est intolérable: le racket, les brimades etc. ..sont des délits et doivent être sanctionnés comme tel. J'ai le sentiment que la plupart des "éducateurs" de métiers ne sont pas rigoureux et exposent les enfants à bien des problèmes parce qu'ils n'osent pas agir ... Je ne crois pas que nous ayons besoin de plus d'adultes de cet acabit.
Selon moi, c'est l'affaire de toute la société qui doit s'interroger sur la place des enfants en son sein: ce sont des personnes, qui ont des devoirs mais aussi des droits trop souvent mis en parenthèse...Tous les systèmes éducatifs institutionnels demandent tout à fait indûment aux enfants de supporter de leurs pairs ce qu'aucun adulte n'admettrait des siens.

6. Le vendredi 22 avril 2011, 09:02 par cultive ton jardin

"De plus en plus... "

On voit bien que tu n'as pas connu les sorties d'école de mon enfance, ni les jeux dans les rues des gamins du quartier. A défaut, tu peux toujours aller revoir "La Guerre des boutons", il s'en passait de drôles en l'absence des adultes, et les moments où on était sous leur regard étaient bien plus rares qu'aujourd'hui.

C'était d'ailleurs pareil pour les adultes: les femmes, à l'usine, pouvaient fermer leur vestiaire sous prétexte de pudeur et organiser un solide pugilat pour régler leurs comptes. Je ne parle même pas des bagarres entre hommes, ou des bastons de sortie de bal dans les villages.

Encore avant (vive la littérature!), la splendide bataille au lavoir entre Gervaise et Virginie décrite par Zola dans "L"Assommoir". Et Zola documentait très scrupuleusement ses romans.

C'est un lieu commun de nous faire croire que la situation empire. Nous ne devrions pas accepter cette fausse évidence sans examen.

7. Le vendredi 22 avril 2011, 10:20 par cultive ton jardin

"J'ai le sentiment que la plupart des "éducateurs" de métiers ne sont pas rigoureux"

Là encore, lieu commun, "sentiment" à ne pas accepter sans examen. Quand un éducateur est sérieux, rigoureux, éducatif pour tout dire, ça ne se voit pas. Tout semble couler avec naturel et facilité. Comme quand une femme fait régulièrement et discrètement son ménage. Par contre, dès qu'un éducateur manque de rigueur, fait une boulette, fatigue, manque de vigilance, tout se détraque. Et c'est ça que voient les gens qui ne connaissent pas le boulot.

En tant que psychologue dans des structures "Petite Enfance", je pouvais, involontairement, déstabiliser tout un groupe d'enfants rien qu'en parlant quelques minutes avec leur éducatrice, qui semblait pourtant être occupée à "ne rien faire" l'instant d'avant.

L'ordre, quand il est de bonne qualité, est invisible. Le désordre se voit de suite.

8. Le samedi 23 avril 2011, 13:33 par La ratapinhata

Merci mais j'ai eu une enfance , comme tout le monde...J'ai été à l'école, au lycée (et pas au collège, ce qui te permet de situer ma génération). J'ai même été pionnière parce que scolarisée dans un lycée de garçons (et pas mixte... nous étions toutes classes confondues une trentaine de filles pour... 1300 garçons)... Alors je ne tombe pas de la dernière pluie...

Mais se qui me situera le mieux: je suis une militante pour la Liberté d'instruction, Ma fille n'a jamais été scolarisée, et mon fils a "seulement" trois ans de maternelle...
Alors je me suis contentée de témoigner, mais en arrière plan, j'ai une analyse de la société.. qui ne plairait pas au plus grand nombre...

En tout cas, je fais partie des gens qui ne se résignent pas à voir leur Droits bafoués, et qui traduisent dans les faits leurs convictions.

La Liberté ne s'use que si l'on ne s'en sert pas.

9. Le samedi 23 avril 2011, 13:56 par La ratapinhata

Pour enfoncer le cou: 'j'ai le sentiment.." était une figure de réthorique polie ....
Dans toutes les structures qui accueillent les enfants, il existe un règlement. Un règlement ça ne se discute pas. Le personnel est là pour le faire respecter.S'il y a un flottement, alors les problèmes surgissent.
Ensuite, lorsqu'un délit est commis dans l'enceinte d'un établissement, le personnel n'est pas compétent pour agir, parce qu'un délit relève de la justice ordinaire... et pourtant rares sont les chefs d'établissement qui ne font pas pression sur les parents pour qu'ils renoncent à porter plainte.
Est-ce une éducation? Je ne le pense pas.

10. Le samedi 23 avril 2011, 14:28 par La ratapinhata

PS: je ne vois pas ce que les références à Zola, et à la classe ouvrière viennent faire ici... si ce n'est me donner l'impression de "prolétariser" le sujet... autrement dit il faudrait accepter que les comportements de la fraction la moins éduquée de la population soient la norme ?
En voilà une profession de foi !
Tout à l'opposé, on pourrait tout aussi bien parler de "If"...

Dans les deux cas ce serait choisir à ma place ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. Abusivement.

11. Le samedi 23 avril 2011, 19:32 par cultive ton jardin

Je voulais juste dire que la violence n'augmente pas, elle diminue. Et,diminuant, elle est de moins en moins acceptée. Ce qui est une bonne chose.