Douce France

Je suis en petite forme, les amis, victime du blues de la déracinée. D'abord, il pleut. J'ai jamais aimé la pluie, mais quand je suis « chez moi », je me dis qu'elle arrose le jardin et refait le niveau de la nappe phréatique qui alimente la source. Et j'allume un beau feu dans la cheminée. Là, je suis pas chez moi. Depuis un mois, trois jours de soleil, un de pluie, et tout le reste de grisaille.

Ensuite, notre recherche de logement tourne en rond, trop loin ou trop bruyant, trop clean ou plutôt merdique, très cher toujours, pas disponible avant un mois, bref je me sens un peu à l'étroit dans ma petite chambre aussi sympathique soit-elle, et je ne parviens pas à me sentir « chez moi » dans les apparts que nous visitons.

Enfin, les infos venant de France nous arrivaient comme atténuées par la distance. Or, depuis quelques jours, déferle sur les écrans de TV5 Monde l'actualité française la plus honteuse et la plus nauséabonde qui soit. Accompagnée de commentaires perplexes ou goguenards, quand ce sont les infos canadiennes ou suisses, et de laborieuses justifications (modernité, spontanéité, virilité, et j'en passe) quand les infos viennent de France.

Le pire est pourtant ailleurs:

Le silence presque total sur une loi scélérate. Qui vise, théoriquement, les criminels susceptibles de récidiver. C'est déjà bien grave, enfermer quelqu'un pour ce qu'il est susceptible de faire.

Le Conseil Constitutionnel, qui devrait se lever comme un seul homme, se contente d'ergoter sur la question de la rétroactivité. Il a raison, c'est également très grave, de vouloir rendre une loi rétroactive. Mais en se centrant sur cet aspect là, il laisse passer le reste, et se donne, à bon compte une allure de résistant. Molle, la résistance, même sur la rétroactivité: "non, mais oui, dans le cas où... seulement si... "

Bref, la loi est entérinée dans son aspect le plus scandaleux. La seule réaction qui est à la hauteur de ce bouleversement de notre conception de la justice est celle de Robert Badinter:

« C’est un tournant très grave de notre droit. Les fondements de notre justice sont atteints. Que devient la présomption d’innocence, quand on est le présumé coupable potentiel d’un crime virtuel ?"

Jusqu'à ces derniers mois, je ne croyais pas que le fait d'être française fût un élément majeur de mon identité. Face à tout ce qui se passe depuis des années dans notre beau pays, les gens qui meurent sur les trottoirs, les lois scélérates entérinant la prison arbitraire pour les fous qu'on ne se donne pas les moyens de soigner, la stigmatisation de la jeunesse pauvre, l'indignité des centres de rétention pour étrangers, enfants et adultes mêlés, cet accablement, ce sentiment d'impuissance, il me faut bien maintenant le reconnaître pour ce qu'il est, profondément: une perte d'identité.

« La France trahit par là une part non codifiable de son identité, un des aspects fondamentaux, l'autre en est le colonialisme, de son rapport au monde: l'exaltation de la liberté pour tous ».

C'est écrit dans un tout petit livre, d'Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau, ça s'intitule « Quand les murs tombent »

Commentaires

1. Le lundi 28 avril 2008, 09:11 par ouadou

Comme je vous comprends... cette perte d'identité, je l'ai peut-être atténuée parce que je me retourne vers mes racines occitanes, tchèques, roumaines, mais quand, en février dernier, j'ai appris comment les dernières présidentielles s'étaient passées en Tchéquie (président élu par le parlement, mais avec des achats de votes et des intimidations...), et y avoir lu des articles racistes dans la presse, j'ai du mal...

La barbarie regagne du terrain tous les jours.