Chronique d'un démantèlement annoncé

Fermer Sangatte: c'est fait. "Démanteler rapidement la "Jungle" de Calais": c'est programmé. Ministre sinistre (eh, qu'alliez-vous penser? "sinistre", ça veut dire de gauche) de "(la chasse à) l'humain et des expulsions, Eric Besson va encore frapper. Il l'a dit, répété, il le scande, il va le faire. Avant la fin de CETTE semaine.

Chaque fois que j'entends ça, chaque fois que j'y pense, je me repose la même question: et comment vont-ils faire?

Fermer un hangar, on voit bien, on a déjà vu. On fait sortir les gens. C'est tout. La première fois, ça a fait du bruit, il a fallu briser à coups de hache la porte d'une église. Victor Hugo, Esmeralda, Quasimodo, pleurez! Maintenant, c'est rodé. Il faut un certain nombre de policiers. Ils doivent savoir calculer ça dans les officines où on gère l'humain. Il faut qu'ils soient assez nombreux pour que "les autres" comprennent qu'ils n'auront pas le dessus. Qu'ils n'ont aucune chance. Montrer la force pour éviter de s'en servir. Alors, les actualités télévisées vous les filment, ces "autres". Ils sortent, tranquilles, calmes, et si ça bout dedans, si ça désespère, si ça s'affole, ça ne se voit pas ou à peine à l'écran. Une phrase devenue banale vous informe que le lieu "a été évacué ce matin par la police sans incidents". Il arrive même que les "autres", les indésirables, évacuent avant l'arrivée de la police. La force, ya même plus besoin de la montrer, quelle économie! Après, on ferme à clé. Plutôt, dans le cas du pauvre hangar de Sangatte, on détruit. Un préfa, même immense, c'est pas trop dur à détruire. Un hangar qui avait servi à entreposer du matériel de chantier, avant que soixante mille existences y passent, misérables et déterminées, en trois coups de bulldozers, c'est bâclé. Ouvert en 1998, fermé en 2002, 1400 pauvres diables occupaient, aussi dignement qu'ils le pouvaient, les 600 places officielles. Fallait bien s'entasser, ça arrivait plus vite que ça ne partait, alors, forcément, l'humain stagnait un peu. Et puis, on peut pas rester 24 heures sur 24 dans un dortoir de 600 où on est 1400, alors ça débordait aux alentours, ça traînait, ça faisait tache, forcément. Puis, comme tous ces gens là voulaient "passer", passer en Angleterre, forcément encore, yavait des "passeurs".

Vous, quand vous voulez aller dans un autre pays, vous avez pas besoin de passeurs. Ca passe tout seul. Une carte d'identité suffit souvent, ou un passeport. Un visa dans les cas extrêmes, faut alors s'y prendre un peu à l'avance, quelques paperasses à remplir (ah, zut, encore des papiers! sont pénibles avec leurs papiers!). Ya bien quelques rares pays où vous pouvez pas entrer, ça tombe bien c'est des pays où vous n'avez aucune envie d'aller. Du coup, aucun passeur ne vient vous proposer ses services. Aucune délinquance ne s'installe dans le voisinage de ces humains là, à qui il suffit de remplir un formulaire pour entrer dans un autre pays que le leur. Ah oui, parce que c'est de la délinquance sinon. Aider à franchir une frontière, c'est un délit. Donner à manger, prêter son portable, offrir une douche, c'est un délit. Héberger (?) son mari quand il vient de recevoir une OQTF, obligation de quitter le territoire français, c'est aussi, bizarrement, un délit, une de nos amies s'était entendu dire ça. Je me demande si c'est bien vrai, mais la police ne peut pas mentir. Bon, on s'éloigne de Sangatte là.

Donc, voilà, le hangar de Sangatte a été fermé, le hangar de Sangatte a été détruit. Faut dire que "c'était plus supportable" c'est ce qu'ils ont dit à l'époque. Certains petits malins ont même parlé de camp de concentration. Pas faux, c'était bien un camp, un campement, et sacrément concentré. Ceux qui disaient ça, c'était pour horrifier le public. Pour que le public, qui des fois manque un peu d'imagination, se dise ah oui, faut fermer, c'est plus supportable, sans chercher plus loin, sans se demander et comment on fait, et où ils vont aller, et comment ils vont vivre même plus un toit sur la tête. Non, on ferme, on détruit, et basta. Le public, anesthésié et pas bien imaginatif, a-t-il vraiment cru que les humains qui étaient dedans, qu'on allait pousser dehors, allaient s'évaporer, se dissoudre, partir en fumée, comme ça, à la fermeture des portes? Ben non, le public est pas con, quand même. Il a juste évité d'y penser. Par contre, les journalistes y ont cru. Si, je vous dis, ils y ont cru. En tous cas, ils avaient l'air convaincus, au point de devenir presque convaincants. Et ensuite, ils ont été tout étonnés. Etonnés de voir que les humains étaient toujours là, qu'il en arrivait encore, qu'il en passait très peu. Ils ont découvert... "LA JUNGLE".

Cherchez pas la forêt amazonienne à Calais ni dans les environs. La jungle, c'est juste un mot destiné à faire peur, à évoquer les mille dangers de la sauvagerie, de ces bêtes féroces qui grouillent dans la pénombre, serpents, moustiques, félins au sourire carnassier. C'est destiné aussi à évoquer l'expression "loi de la jungle" un peu désuète maintenant qu'on l'a remplacée par "zone de non droit", mais qui fait encore son petit effet. Zone de non droit, c'est pas mal non plus, c'est encore un peu jeune mais ça commence à se charger d'histoire. Un peu ambigü quand même, ça pourrait vouloir dire "zone où sont parqués les humains à qui on refuse les droits humains élémentaire". Chez nous, on dit "droits de l'homme" mais on le dit de moins en moins de peur de se faire traiter de "droidelomiste", expression qui veut dire pauvre niais à la limite de la mauvaise foi qui croit encore que les humains ont des droits. C'est comme les droits de l'enfant, ah zut je m'égare encore loin de Sangatte. Ya pas d'enfant à Sangatte, presque pas. Heureusement, parce que "la jungle", c'est pas une vie. Non seulement les campements, les baraquements, construits de rien, tôles, planches de récup, bâches plastiques, sont précaires, non seulement ya ni douche ni eau potable, ya même une épidémie de gale impossible à éradiquer dans un tel contexte, mais en plus, périodiquement, on vient tout leur détruire, éparpiller leurs pauvres affaires, écraser tout ça au bull, les faire courir un peu, faut qu'ils fassent de l'exercice, ça maintient la forme.

Voilà ce qu'on a ouvert, en fermant le hangar de Sangatte. Voilà ce qu'on prétend "fermer" maintenant. Et donc je reviens à ma question initiale, comment on ferme une jungle? Des forêts autour de Calais, yen a un certain nombre. Comment on va empêcher les humains d'y revenir? Une «solution individuelle» sera proposée à chaque migrant : « retour volontaire », demande d'asile ou expulsion, a précisé notre (NOTRE?) ministre.Vous y croyez, vous, à la solution individuelle? Pour le moment, le ministre est content, le boulot se dégonfle tout seul. "Au total, il y avait environ 700 personnes dans ce village clandestin il y a trois mois. Il en reste aujourd'hui environ 300". Ben oui, ils se barrent, qu'est ce que vous feriez à leur place? Parmi les solutions individuelles, ya "expulsion". Ya aussi "retour volontaire", ça sent le gag. Le mec qui a supporté la jungle, s'il lui était possible de rentrer chez lui volontairement, il l'aurait déjà fait. "Demande d'asile", c'est moins comique pour le citoyen ordinaire pas trop curieux, mais comique triste pour ceux qui s'informent et comique rageur pour ceux qui aident des migrants à remplir leurs dossiers. Et à répondre à des exigences ubuesques comme "prouver que la police de votre pays n'a pas pu vous protéger". Je vous fais un dessin: vous allez, naïvement, vous plaindre à la police de votre pays d'une agression maffieuse ou autre. La police se fout de votre gueule, vous tabasse un peu, gentiment, et vous fait comprendre que vous avez tort de faire le mariole. N'oubliez pas, avant qu'elle vous jette dehors, de lui faire signer une attestation de non protection, vous en aurez besoin pour la demande d'asile. Même le mec qui peut exhiber des cicatrices de torture n'est pas sûr de son fait, faut l'entendre pour le croire. Et voilà que je m'égare encore, c'est une vraie jungle, cette histoire. Donc, ils se barrent, mais pas loin bien sûr, ya de la place dans les environs de Calais.

Au mieux, c'est râpé, encore une fois. Dans sept ans, rebelote, ce sera de nouveau "insupportable" pour le citoyen ordinaire qui souffre de voir souffrir ces gens, il est tellement sensible, qui a peur de la "délinquance" de la "violence" qu'une pareille situation, pense-t-il, ne peut manquer de produire. Pour Sangatte, le prétexte avait été une rixe entre locataires qui avait "dégénéré". Pour la jungle, on nous parle de montée de la délinquance, on nous dit que "les passeurs entendent faire la loi, rackettent et brutalisent les migrants, et les font vivre dans des conditions indignes". Ils ont bon dos, les passeurs. Parce que si vous remplacez le mot par "la police", ça marche aussi, possible que ça marche même mieux, les passeurs ménagent leur clientèle. On nous dit aussi que "les habitants de Calais subissent chaque jour des agressions", les associations présentes sur le terrain ne confirment pas, et il ne semble pas que ça dépasse l'agression... verbale, fort regrettable, certes, fort désagréable, mais... comment dire... Heureusement, le mot "délinquance" étant lâché, le citoyen ordinaire retrouve pour le coup son imagination, mais peut-être pas son bon sens. Le voilà prêt à approuver, comme un mal nécessaire, et à croire POSSIBLE la "fermeture" d'un espace de taille indéterminée, couvert de taillis et de petits bois, près de l'entrée d'un tunnel qui représente pour des milliers de migrants la porte du paradis. Comment on va fermer ça? comment on va empêcher des humains, d'autres humains, d'y revenir, d'y arriver, d'y rester "en attendant"?

Au mieux, c'est râpé, donc. Au pire? On attend le pire?

Commentaires

1. Le lundi 21 septembre 2009, 22:21 par anita

droitsdel'hommiste, va!
Je te soupçonne même d'être droitdumômiste, droitdlaviste, gauchiste et senscritiste, en plus d'être botaniste.

Des fois, je regrette d'être à ce point légaliste.

2. Le mardi 22 septembre 2009, 09:38 par Cécile

Merci pour votre passage sur mon blog .... à bientôt ;