Un litre de pinard et un pain de 800

Tous les jours, en fin de matinée, elle descendait de sa mansarde pour aller acheter le pain. Un pain de 800. En réalité il pesait 750 grammes, ce n'était pas encore "la baguette" qui servait de symbole au pain quotidien. Heureusement pour elle, la petite vieille de la mansarde, parce que ce pain c'était tout ce qu'elle boufferait jusqu'au lendemain. En sortant de la boulangerie, elle passait au "Casino". L'épicerie. Elle y achetait un kil de rouge. Le pain sec, c'est dur à avaler, le rouge permettait de faire glisser. Et surtout de mieux s'endormir le soir, parce que 750 grammes de pain, c'était un peu juste pour avoir vraiment le ventre plein, et on s'endort moins bien quand on a faim. Le rouge, ça aide. Et puis, ya des calories, et même des vitamines paraît-il.

Elle avait pas cotisé pour la retraite, pour la bonne raison que ça existait pas de son temps. Mais d'autres avaient commencé à cotiser, c'était juste après la guerre, alors je sais pas trop pourquoi elle avait si peu pour vivre. Yavait cette expression bizarre, "économiquement faible", pour parler des vieux dont la retraite était minuscule.

C'étaient "les trente glorieuses", on voit bien que c'était quand même pas glorieux pour tout le monde.

Quinze ans plus tard, on était trois étudiantes dans un petit appart, au dernier étage. Yavait que des greniers au dessus. Oui, mais pourtant, parfois, on entendait des pas traîner sur le sol. En réalité, une vieille dame habitait là, sa piaule délimitée par une fine cloison dans un coin du galetas. Elle ne descendait jamais, l'escalier était devenu trop raide pour elle. Les voisins d'en face, un couple âgé, lui faisaient ses maigres courses. Le soir de Noël, on était allées lui apporter une part de bûche.

Puis un jour, ambulance, brancard dans l'escalier malcommode, la petite vieille du galetas a disparu.

L'autre, celle de mon enfance, je sais pas bien comment elle a fini.

Mon père a cotisé toute sa vie, pour payer les retraites de la génération qui le précédait. Il est mort six mois avant de pouvoir profiter, à son tour, des cotisations de la génération suivante. C'était l'époque où l'âge de la retraite était malicieusement aligné sur l'espérance de vie. Paraît que c'est plus le cas. Paraît qu'on vit trop longtemps, c'est bête. Faut aligner de nouveau. Ou alors mourir plus vite. En tous cas, pas profiter lâchement de la génération qui vient.

Soleil vert?

Commentaires

1. Le vendredi 16 avril 2010, 13:02 par LGV

Très bonne mise en perspective !

2. Le mercredi 21 avril 2010, 20:23 par des pas perdus

Réformons, les vieux profitent maintenant de leur retraite ! Insensé !

3. Le vendredi 23 avril 2010, 21:38 par sham832OO7

Bien vu!!!
Surtout,ne pas oublier de mourir,svelte,lisse et bronzée...au marc de café ,s'il le faut!!!!
Avec une copie de Rolex,made in Taiwan,
au poignet!!!
Surtout,
ne pas faire "honte" à nos "héritiers";
Réclamer d'etre "filmée" par Angela lorente;en télé-vérité!!!
Et ça dure,et ça dure!!!!
tous incrits à l'A.N.P.E(?)

4. Le lundi 19 septembre 2011, 11:09 par roland

ça me fait penser la maison de la rue Saint-Michel

http://www.ipernity.com/blog/28395/...