Camus, un homme qui dit non

J'ai eu envie de relire "L'homme révolté". Il me semblait que le destin de Camus n'était pas, absolument pas, d'être panthéonisé. C'était bien triste, cette histoire de Panthéon, mais bon, que son cadavre soit ici ou là, qu'importe, au Vietnam ils ont bien momifié Ho Chi Minh qui voulait que ses cendres soient dispersées au nord, au sud et au centre du Vietnam en symbole de son unité. Les morts n'appartiennent à personne, mais n'importe qui peut se les approprier, "Heureux ceux qui sont morts" osait poétiser Péguy.

Puis, je me suis aperçue que certains étaient en train de l'instrumentaliser. En particulier avec cette foutue phrase que tout un chacun répète comme un perroquet, sans se soucier ni d'en repérer le contexte, ni même de l'analyser correctement.

"Si je devais choisir entre la justice et ma mère, je choisirais ma mère".

Cette phrase, si on y réfléchit bien, dit clairement que choisir sa mère dans ce contexte serait bel et bien une injustice, même si c'est une injustice qu'il assume. Pourtant, le contexte dont il est question et le contexte des attentats dans des lieux publics, des attentats aveugles qui, loin de cibler un ennemi identifié, prennent le risque de tuer des civils innocents. Camus dit alors que, des attentats de ce type ayant lieu dans le tramway d'Alger, sa mère pourrait en être victime, d'où la référence à sa mère.

Je n'ai pas lu tout Camus, et de loin, et sans doute a-t-il écrit bien des choses que je désapprouverais. Quand au lycée j'ai lu "L'étranger", avec pas assez d'indépendance d'esprit pour me démarquer de l'obligatoire admiration que nous infusent les enseignants, j'avais cependant été assez gênée par ce personnage d'arabe dont on ne saura rien, sinon qu'il est mort d'un coup de couteau donné par un homme qui ne sait même pas pourquoi. Tandis que les états d'âme de "l'étranger" nous sont détaillés, l'arabe assassiné restera pour nous une ombre. Du soleil, un meurtre, et une silhouette en creux, une absence, un vide.

Mais c'est de "L'homme révolté" que je veux parler aujourd'hui. Et finalement, comment parler mieux d'un écrivain qu'en le citant? Alors, j'ai glané pour vous dans les premières pages ces quelques lignes:

"Qu'est-ce qu'un homme révolté? Un homme qui dit non. Mais s'il refuse, il ne renonce pas: c'est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. (...)

Jusque là, il se taisait au moins, abandonné à ce désespoir où une condition, même si on la juge injuste, est acceptée. (...)

Le révolté, au sens étymologique, fait volte-face. (...)

Le voilà qui fait face. (...)

Toute valeur n'entraîne pas la révolte, mais tout mouvement de révolte invoque tacitement une valeur. (...)

Toutes les exactions antérieures au mouvement d'insurrection, l'esclave les souffrait. Souvent même il avait reçu sans réagir des ordres plus révoltants que celui qui déclenche son refus. Il y apportait de la patience, les rejetant peut-être en lui-même, mais, puisqu'il se taisait, plus soucieux de son intérêt immédiat que conscient encore de son droit. Avec la perte de la patience, avec l'impatience, commence au contraire un mouvement qui peut s'étendre à tout ce qui, auparavant, était accepté. (...)

Remarquons ensuite que la révolte ne naît pas seulement, et forcément, chez l'opprimé, mais qu'elle peut naître aussi au spectacle de l'oppression dont un autre est victime."

Ce sera tout pour aujourd'hui. Avec, en prime, l'invitation à vous joindre à une révolte, une révolte qui, comme toute révolte dit Camus, invoque tacitement une valeur. Une parmi d'autres, il en est tant.

Exigeons la suppression d'un ministère de la honte. Il en est temps.

Commentaires

1. Le jeudi 14 janvier 2010, 00:34 par Roland

ce que je retiens le plus c'est l'incontournable Caligula.
Enfin une voix qui dit dans quel monde on est né.
"On ne s'étonnera jamais assez de ce que les gens vivent comme s'ils ne savaient pas"

2. Le vendredi 15 janvier 2010, 00:13 par PMB

« C'était bien triste, cette histoire de Panthéon »

Non, choquant. La Sarkozie, toute à ses manières prédatrices, n’a même pas eu la décence de solliciter d’abord et discrètement les enfants d’Albert (et l’intelligence, vu le râteau qu’ils se sont pris avec le fils).

De plus, ça n'aurait aucune conformité avec ce que fut Camus. Camus n’a pas à être enterré une seconde fois, mais à être lu, critiqué, appliqué. Camus n’a pas à être dans le gros moche soufflé de la Rue Soufflot, mais dans les bibliothèques.

De deux, ça servirait seulement à permettre à Narcisse 1er une nouvelle exhibition-récupération. Voir le film sur sa sinistre pantalonnade aux Glières.

3. Le lundi 18 janvier 2010, 13:12 par ko

C'est une bonne idée de relire l'homme révolté. C'est le bouquin, lu au lycée, qui m'a convaincue définitivement de ne pas m'encarter ici ou là en politique (mais de continuer à m'engager, à agir)

4. Le dimanche 24 janvier 2010, 13:56 par cultive ton jardin

Désolée, PMB, ton com était coincé, en fort mauvaise compagnie, dans mon filtre à particules...

Bien triste ou choquant? Vu la fréquence avec laquelle nous devrions nous indigner, je fatigue un peu, j'économise les munitions.

Pour le râteau, je ne savais pas, ça me fait bien plaisir. Joli gag que cet outil sournoisement couché dans l'herbe venant frapper en plein front l'imprudent qui l'a négligé!

5. Le mercredi 3 février 2010, 17:59 par vieil anar

Camus, pour moi au delà de l'homme non révolté de "L'étranger"..., c'est plutôt "Les justes", vibrant témoignage de l'anarchisme "terroriste", qui va bientôt nous ressauter à la gueule, si on n'y prend pas garde... et on n'y prend pas garde...!!

6. Le vendredi 5 février 2010, 08:53 par cultive ton jardin

Toujours aussi optimiste? Je vais relire "Les Justes" aussi, donc.