Un papillon en hiver

Plutôt inattendu, ce papillon blanc qui est apparu un jour dans la maison, avec le petit carré noir des piérides sous ses ailes, alors que dehors la neige recouvrait toute la campagne d'une couche épaisse. Il a voleté de ci de là pendant plusieurs jours, tandis que nous nous interrogions: que faire pour lui? Il n'avait pas plus d'avenir dehors que dedans, et si l'on admet que le destin d'un papillon durant sa courte vie c'est de s'abreuver du nectar des fleurs afin de s'accoupler et de pondre... ben celui là, rolex ou pas, avait bel et bien raté sa vie. Ni fleur, ni partenaire, et pas la moindre feuille de chou à l'horizon.

Quand il s'est posé, épuisé, sur le carrelage de la cuisine, j'ai déposé près de lui une petite flaque d'eau sucrée. Je ne sais s'il en a profité. Finalement échoué sur le bord d'une vitre, ses ailes jusque là bien jointes se sont dépliées, étalées, rendant visible la marge noire de leurs pointes, puis il n'a plus bougé. Il y est encore.

Cet été, sous sa forme précédente de chenille, je l'avais traqué sans état d'âme, écrasant les petits oeufs orange, pulvérisant du "bacillus thurigiensis" sur les minuscules chenilles qui en sortaient. Ce qui ne plaisait pas trop à mon petit fils: Petit Jardinet s'était découvert une passion pour les chenilles, et peu lui importait qu'elles ravagent mes choux, il aime pas trop le chou. Pour lui faire plaisir, j'avais coupé une feuille envahie, l'avais placée dans un plat en verre muni d'un couvercle, et il avait nourri ses pensionnaires de feuilles fraîches, qu'elles dévoraient de plus en plus vite à mesure que leur taille s'accroissait. Je mange, donc je grossis, et plus je grossis plus je mange. Et plus je chie, on occulte toujours, par bienséance, cet aspect des choses, et en vase clos, ça devenait de moins en moins ragoûtant. Pendant que je tentais de maintenir un semblant d'hygiène dans mon bocal, certaines ont dû s'échapper et coller leur cocon dans un coin discret, je ne suis pas, heureusement, une ménagère très méticuleuse. Petit Jardinet s'intéressait alors à d'autres chenilles, une noctuelle qu'il aimait particulièrement pour l'avoir sauvée d'une attaque de fourmis (on s'attache plus à ceux que l'on a aidés qu'à ceux qui nous ont aidés, c'est une facette paradoxale de l'égoïsme humain).

Et aussi une chenille de sphinx.

Je l'avais découverte à terre, en débroussaillant un roncier. Son vert fluo la rendait très visible, et une longue épine dressée sur son dos imitait vaguement l'aileron de requin. Un petit livre répertoriant "100 papillons faciles à voir" nous avait permis une identification première: pas d'erreur, la corne au bout de l'abdomen est caractéristique des sphingidés, c'était donc une chenille de sphinx. Mais de quel sphinx? Quand j'étais petite, on appelait "oiseau-mouche" ces insectes dont le battement d'ailes est si rapide qu'il évoque plutôt le bourdon que le papillon. Et la trompe qu'il déplie pour atteindre le nectar au plus profond des fleurs est si longue qu'on croirait qu'il ne fait que voler sur place pour les admirer. Je me souviens avoir cru, naïvement émerveillée, que c'était vraiment un oiseau, un tout petit oiseau au bec très long et très fin. J'ai perdu mes illusions mais gardé ma tendresse. J'étais donc très heureuse d'avoir capturé une chenille de cet oiseau-là.

Sur mon petit bouquin, assez sommaire, aucune chenille ne présentait de ressemblance vraiment convaincante avec notre pensionnaire, nous avons décidé arbitrairement que ce devait être un sphinx du peuplier, et l'avons approvisionné en feuilles de l'arbuste vaguement apparenté aux saules qui poussait sauvage tout près du lieu où je l'avais trouvé. La bestiole est restée léthargique dans son assiette de verdure. Mais un matin, elle avait disparu. Nous avons vite rattrapé la noctuelle qui lui tenait compagnie et qui s'enfuyait de toute la vitesse de ses petites pattes. Elle, nous avons eu du mal à la retrouver, et pour cause: nous cherchions une chenille vert fluo, nous avons fini par en (re?)trouver une brune. Mise à part la couleur, tout était conforme, le petit sabre recourbé sur le dos, les rayures obliques sur le côté. Retour au bouquin dans lequel nous avions précédemment farfouillé, et voilà qu'une chenille que nous avions négligée, précisément à cause de sa couleur foncée, se révélait exactement ressemblante. Celle du sphinx du liseron. La fuyarde ayant réintégré son assiette, nous avons couru faire provision de liserons, pas difficile, avec les ronces c'est ce qui pousse le mieux chez moi.

Et voilà que notre mollassonne chenille s'est réveillée et s'est mise à bouffer avec frénésie. Et à grossir avec enthousiasme. Jamais vu de chenille aussi grosse. On lui fournissait du liseron frais plusieurs fois par jour. Elle allait bien chrysalider un jour, mais comment, et de quoi avait elle besoin? Internet nous a appris qu'elle s'enterrait en fin de parcours, agglomérait autour d'elle un cocon de terre, et formait sa chrysalide à l'intérieur de ce cocon protecteur. Nous avons mis au fond d'un seau une quinzaine de centimètres de terre, la chenille et les liserons par dessus, et attendu. Le jour où la chenille, devenue grosse et longue comme un doigt, a de nouveau disparu, nous avons supposé qu'elle s'était enterrée pour sa mue. Longtemps après, partagés entre la curiosité et la crainte de compromettre la suite de l'histoire, nous avons fini par vider délicatement la terre du seau. Elle était bien là. Le gros cocon terreux, collé contre la paroi, s'est décollé sans se casser, laissant voir une chrysalide d'un marron luisant, comme laqué. Comme le disent et le montrent les références sur internet, la longue et fine trompe repliée en trombone du futur papillon était emballée séparément, dans un fourreau fragile.

J'ai tout remis en place, aussi délicatement que possible, espérant n'avoir rien gâché. Que faire ensuite de ce seau? J'ai pensé le laisser à l'intérieur, je suis heureuse de ne pas l'avoir fait, il serait sorti en plein hiver, comme la piéride. Le laisser dehors? La protection assurée par quelques centimètres de terre dans un seau risquait évidemment de se révéler insuffisante s'il faisait vraiment froid. Et il a fait moins treize, précisément. Solution intermédiaire, le seau, avec son précieux contenu, passe l'hiver sur une étagère, dans une cave pas vraiment fermée mais assez enterrée pour que la température n'y soit pas trop glaciale. Maintenant, je m'interroge: comment faire pour voir sortir le papillon de son cocon? Comment choisir le bon moment pour le rentrer? Il faudrait, bien sûr que mon Petit Jardinet assiste à sa sortie. Les vacances de Pâques... trop tard. Celles de février... trop tôt. Quoique les vacances parisiennes, cette année, empiètent sur la première semaine de mars. Ce sera début mars.

Jusque là, suspense: le mouton a-t-il mangé la rose? La muselière et l'armure ont-ils suffi à protéger la fleur? Rendez-vous en mars pour l'épilogue.

Commentaires

1. Le vendredi 22 janvier 2010, 19:54 par vieil anar

Salut mc, ça faisait une éternité que je n'avais pas mis les pieds ici, pas plus qu'ailleurs, d'ailleurs...pour des tas de raisons...! J'ai découvert, entr'autres ma petite fille de 5 ans, Nina, que je connaissais à peine et depuis elle est repartie...!
Je ne suis pas sur que ça ait un rapport avec les papillons...quoique!!...
Je suis étonné que depuis 4 ou 5 ans les papillons disparaissent de plus en plus, mais bon quand je vois le peu d'abeilles qu'il y avait dans mes tilleuls cet été, au moment de la floraison,(St Jean), je ne m'étonne plus de rien, si ce n'est, peut-être, la nombreuse colonie de coccinelles qui s'est installée chez moi, depuis l'automne...!
Bon, un peu hors-sujet, comme d'habitude...! A plus.

2. Le vendredi 22 janvier 2010, 21:10 par cultive ton jardin

Bienvenue, vieil anar, contente de te retrouver.

Chez moi, beaucoup de papillons au contraire, et des beaux sur les buddleias qui se sont invités dans le gravier devant ma fenêtre.

Et des abeilles partout dans mon jardin, sur les véroniques au tout début du printemps (je les favorise comme couvre-sol en hiver), sur la phacélie que je sème comme engrais vert, sur la bourrache qui se ressème spontanément depuis que je l'ai introduite.

Sans compter les innombrables bourdons, syrphes et même libellules. Je dois préciser que j'habite une zone rurale, mais exempte de ces grandes cultures arrosées de poison.

3. Le lundi 19 septembre 2011, 11:24 par roland

moi j'ai eu une fois 12 papillons paon-du-jour dans mes waters qui passaient l'hiver !