Sombreros et mantilles

Encore une histoire de couvre-chef. La coiffure de la demoiselle ressemble à s'y méprendre à ces mousselines que Brigitte Bardot mit, un temps, furieusement à la mode. Sauf que la dite mousseline s'attachait sous le menton avant de faire le tour du cou, pour finir par une petite boucle mignonne sur la nuque: c'est vachement plus dur de faire tenir en place en attachant directement derrière. Bon, c'est vrai qu'à cette époque là, Bardot ne faisait pas de politique, et les petites demoiselles qui se couvraient la tête à sa façon n'étaient même pas électrices, il fallait avoir 21 ans. Pour les vieux grincheux, ce foulard était, loin d'un signe de soumission à la loi du mâle, une preuve de plus de la déliquescence ridicule de la jeunesse. Et pour les jeunettes qui le portaient avec délices, un signe audacieux de leur insoumission aux vieux grincheux. Et aux vieilles grincheuses, soyons pas sexistes.

Les mêmes vieilles, grincheuses ou pas, il y en avait de sympas, avaient porté un foulard toute leur vie, dès lors qu'elles sortaient de la maison (pas trop souvent). Mes grand-mères ne seraient jamais sorties "en cheveux", et n'étaient pas assez riches pour porter un chapeau, sauf sur le tard, et encore rarement (coûtait cher, fallait pas l'user), quand les "retraites des vieux" ont été (un peu) revalorisées. Ma mère a également porté ce foulard assez tard, puis un chapeau, jusqu'à ce que ce ne soit même plus obligatoire à l'église et que la mode des chapeaux tombe à l'eau, ruinant les modistes. Ah, et puis yavait aussi les nonnes. Dont on ne devait jamais voir ni les cheveux, ni le cou. Et qui se sont retrouvées toutes bêtes, leur costume retiré, de s'apercevoir qu'elles étaient susceptibles de se faire draguer dans les squares. Quand les jeunes, à douze ans, faisaient leur "communion solennelle", ils avaient droit à une semaine d'absence pour la "retraite" qui précédait, et venaient benoîtement, le lendemain de la cérémonie, rendre visite en costume aux enseignants parfois sourdement irrités mais qui auraient peu apprécié qu'ils se dispensent de cette "politesse".

Et puis, c'était l'époque, à la cantine, du "poisson le vendredi". Des générations d'écoliers ont mangé du poisson le vendredi, pour ne pas chagriner les curés. Ils continuent, mais c'est pour complaire aux marchands de poisson. Souvenez-vous que le jeudi était le jour du catéchisme, et que le passage au mercredi avait soulevé une montagne de protestations. Nos vacances scolaires étaient (sont encore) rythmées par les fêtes religieuses, Noël et Pâques, Toussaint et Mardi Gras, ainsi que nos jours fériés, tous nos jours fériés sauf le 14 juillet, le 1er mai et le 8 mai. Ce fut toute une histoire quand il fallut décrocher les vacances "de Pâques" de la fête religieuse, qui se baladait trop dans le calendrier, accrochée qu'elle était au cycle lunaire. Et aussi créer trois zones, le dieu tourisme ayant détrôné le dieu de nos pères.

C'est dans cette ambiance que j'ai grandi, et l'école laïque ne m'a que très peu aidée à m'en distancier. Quelques profs, pourtant, sans faire de zèle inutile, m'ont amenée à me poser les bonnes questions. La bibliothèque municipale de ma commune m'a fait découvrir des livres qu'on ne lisait pas chez moi, des idées dont j'ignorais même l'existence. Je suis pourtant restée longtemps engluée, cherchant même, un temps, comiquement, à retrouver la foi que j'avais perdue. Ce qui ne m'empêche pas (au contraire) d'être devenue résolument athée. Et pourtant pas athée prosélyte. Surtout pas auprès des jeunes. Si j'avais eu à affronter ce genre de propagande à l'adolescence, je serais probablement restée engluée plus longtemps encore. Par esprit de contradiction, par défi.

Outre la religion, il y avait la bienséance. Je me marre quand j'entends parler de "journée de la jupe". Nous étions quelques-unes, venant de loin et à vélo, à avoir obtenu une dérogation pour porter des pantalons, je me souviens avoir eu les genoux marbrés de pourpre et de bleu par le froid. La dérogation pantalon précisait qu'ils devaient être "de couleur sombre et de coupe classique". Alors que les pattes d'éph n'avaient pas été inventées, je peine à m'imaginer ce qu'aurait pu être une coupe non classique. Mais les dénicheurs de péché ont toujours eu plus d'imagination que les pécheurs eux-mêmes.

Il y avait, il y a toujours, un syndicat appelé "Confédération Française des Travailleurs Chrétiens", une minorité ayant refusé de perdre l'étiquette "chrétien". En Europe, personne ne s'interrogeait sur la légitimité de l'appellation "Démocratie Chrétienne" . On n'en finirait pas de pister les nombreuses entorses à la neutralité laïque, et d'ailleurs, certains revendiquent aujourd'hui pour l'Europe des "racines chrétiennes".

Pendant longtemps, la laïcité a été contrainte de lutter contre une religion dominante, qui n'avait pas fait son deuil d'avoir été détrônée en tant que Religion d'Etat. Nous n'en sommes plus là, même si quelques fâcheux soubresauts nous laissent craindre qu'on pourrait y revenir. Pour ma part, je ne retire pas le droit à ceux qui en ont besoin de s'appuyer sur une religion ou une croyance. Je m'appuie bien, de façon tout aussi irrationnelle, sur ma croyance en l'être humain, alors même que la bonté de l'homme soit aussi improbable que celle d'un quelconque dieu. Je ne leur demande qu'une chose, ne pas tenter d'imposer leurs croyances, leurs modes de vie, et de ne pas censurer l'information pour manipuler par l'ignorance. Je n'oblige personne à recourir à l'avortement, mais je défends la liberté d'y avoir accès, ainsi que le droit pour tous d'être correctement informés de ce qui peut les protéger, préservatif par exemple. Je n'empêche personne de croire au mythe de la création, Adam et Eve issue de sa côte pour lui tenir compagnie, mais je refuse qu'on l'enseigne à nos enfants. Le Pape a autorité sur... ceux qui reconnaissent son autorité, c'est bien assez. Et c'est la même chose pour toutes les religions, elles n'exercent leur autorité que sur ceux qui la reconnaissent. C'est à dire que toute coercition leur est interdite, et tout lobbying visant à dépasser cette limite du consentement éclairé.

Le vrai danger est dans ces tentatives sournoises, et pas dans un carré de tissu sur la tête d'une jeune femme. Ce carré de tissu, comme le drap rouge que le torero agite devant le taureau, n'est qu'un leurre. Le taureau fonce bêtement, et le torero, d'un élégant mouvement de son petit cul fait exprès pour (dixit Pierre Desproges) se moque de lui. Sommes-nous des taureaux?

Commentaires

1. Le vendredi 5 février 2010, 15:58 par Swâmi Petaramesh

Modiste, voilà un mot qu'on ne lit plus souvent ! :-}

2. Le vendredi 5 février 2010, 16:01 par Swâmi Petaramesh

> tous nos jours fériés sauf le 14 juillet, le 1er mai et le 8 mai.

...et le jour de l'An, et le onze novembre...

3. Le vendredi 5 février 2010, 21:38 par anita

Mais les dénicheurs de péché ont toujours eu plus d'imagination que les pécheurs eux-mêmes.
Ah comme je souscris à cette phrase!
J'appelle ça l'effet Kenneth Starr, du nom du procureur, qui, pour dénoncer l'immoralité de Clinton, pondit un rapport qui émoustilla toute une génération-qui n'avait jusque là porté aucune attention aux cigares.
Je ne pense pas que le voile mérite en soi un fromage. Mais je comprend le malaise de certains enseignants, obligés à la sortie de l'école de confier des enfants à des femmes dont ils ignorent le visage et dont ils ne savent même pas si ce sont les mères.
Et la rage des médecins qui se trouvent dans l'incapacité d'offrir des soins, parfois urgents.

4. Le samedi 6 février 2010, 10:44 par cultive ton jardin

Tu as raison, Swâmi, et je suis charmée de m'apercevoir que nous avons tant de jours fériés non marqués par la religion!

Il est vrai que "nos" fêtes religieuses ont souvent lieu le dimanche, ce qui les rend peu visibles aujourd'hui. Plus personne ne sait ce que signifie le dimanche des Rameaux, tout le monde croit que Pentecôte est un lundi, et on a presque oublié que le dimanche est férié pour permettre d'aller à la messe.

5. Le samedi 6 février 2010, 10:54 par cultive ton jardin

Anita, tu ne crois pas que tout ceci a bien été monté en épingle, favorisant ainsi le durcissement des positions?

Mon conjoint est gynécologue, il n'a jamais eu affaire à ces comportements extrêmes: si un médecin femme est disponible, c'est elle qui va examiner la patiente. Sinon, sauf en cas d'urgence, la personne revient un autre jour (ou pas... il arrive que l'inconvénient de revenir suffise à faire accepter l'examen par un homme).

Il n'a jamais eu à déplorer un refus de soins urgents.
Mais nous sommes en province...

J'ai fréquenté pendant des années des religieuses... on les reconnaît très bien, et je suis prête à parier que même avec un voile intégral on reconnaît la personne: les bébés reconnaissent leur mère dans l'obscurité totale dès la naissance!

6. Le samedi 6 février 2010, 11:29 par Swâmi Petaramesh

@Jardin : on a presque oublié que le dimanche est férié pour permettre d'aller à la messe.

De ce point de vue je me montre pragmatique : je ne crache pas sur les jours fériés quelle qu'ait pu être leur origine religieuse, constatant par ailleurs que l'écrasante majorité de nos concitoyens les emploie désormais à des fins non-religieuses :-}

Pour les jours fériés et surtout les dimanches, je crois qu'il nous faut remercier les curés car sans eux je n'imagine pas l'effort que les "travailleurs et les masses populaires" auraient du déployer pour obtenir des kapitalistes un jour férié sur sept ! Mais l'autorité des curés sur la droite était telle...

...C'est le seul point où l'on peut à bon droit regretter leur perte d'influence, quand on voit nos amis de droite kapitaliste décatholicisée se précipiter pour voter comme un seul homme le travail du dimanche... :-/

7. Le samedi 6 février 2010, 17:48 par cultive ton jardin

Cent pour cent d'accord, Swâmi, mais quand je me souviens de la manière dont "ils" s'étaient déchaînés pour refuser le transfert du jeudi au mercredi, je suis perplexe de les trouver si discrets dans la défense de "leur" dimanche.

8. Le samedi 6 février 2010, 18:49 par Swâmi Petaramesh

Faut croire que d'une manière ou d'une autre, le monde a changé...

9. Le lundi 8 février 2010, 22:07 par usclade

Bravo pour ce texte d'une justesse rare.
Effectivement, le tissu est tout autant souvent un matériau qui protège, qu'un leurre ou un piège d'autres fois.
C'est effectivement la fibre de la Muleta, dont nos dirigeants ont bien appris le maniement pour briller dans leur petit monde.
On exhibe "nos" symboles bafoués, et "leurs" symboles envahissants, et ils ne leur reste plus qu'à dire "Olé".
Oui, il y a des moments où je me dis que l'opinion, cet chose informe que seul les journalistes et les hommes politiques affirment avoir vu, est de la race des taureaux de corrida.
Elle n'a que faire des débats subalternes sur l'immoralité de la corrida. Ce qui la révolte avant tout, c'est l'insupportable présence de cette cape rouge qui vient la narguer sous son nez...

10. Le mardi 9 février 2010, 15:59 par vieil anar

Ca m'a fait marrer d'entendre, il y a 2 ou 3 jours, que 2 ou 3 types revêtus d'une burqa ou d'un niqab, avaient dévalisé un bureau de poste à Athys Mons, en se faufilant, "ingognito", dans la file d'attente au guichet..!

Bon ça va aussi donner du grain à moudre aux ardents prohibiteurs...!!

11. Le mercredi 10 février 2010, 00:51 par anita

Et bien pour avoir travaillé dans une banlieue à forte présence intégriste il y a déjà cinq ans, je pense quand même que cela n'est pas simple.
la Maternité du quartier a connu déjà à l'époque un certains nombre d'incident, dont une intrusion au bloc ( non ce n'était les pro life, pour une fois)
Et sous le voile intégral... non ce n'est pas facile. Les religieuses ne masquent pas ce qui fait l'essentiel de notre reconnaissance , les yeux et la bouche.
Pour le nourrisson, s'il reconnait sa mère, c'est qu'il l' a déjà connu. Il faut un minimum de contact pour fixer les perceptions.
Ce n'est pas le cas de certaines femmes qui inscrivent leur enfant et vont le chercher, sans même avoir montré leur visage, même en la seule présence de femme.
Il y a la voix, mais nous somme moins habitués à cet unique support de mémoire, et c'est d'autant plus gênant quand la barrière de langue empêche encore plus la communication.
Il y a cinq ans , dans cette banlieue, cela m'arrivait 4 ou 5 fois par an. Pas assez pour faire une loi, mais assez pour faire un malaise.

12. Le mercredi 10 février 2010, 08:15 par cultive ton jardin

Bien sûr, je comprends ce que tu veux dire. A Hanoi, beaucoup de gens sont masqués. Pas par religion, mais à cause de la poussière. Et au début, c'était très inconfortable, presque angoissant pour moi. Bien sûr, les gens ne gardent pas le masque quand ils sont en relation proche avec quelqu'un, et il n'y a pas cette dimension idéologique (quoique... ce sont surtout des femmes qui portent le masque, va savoir pourquoi?).