Qu'allais-tu faire à la fontaine, corbleu, Marion?

Je ne me souviens plus quand j'ai entendu parler pour la première fois de couches lavables. J'ai dû, alors, évacuer l'info d'un ricanement, manquerait plus que ça! Mes souvenirs d'enfance étaient encore assez vifs, la lessiveuse à champignon qui bouillait interminablement sur la cuisinière à bois même en plein été, la vapeur d'eau partout, puis après de longues opérations dont le détail m'échappait, ces "drapeaux", ces "langes", ces "pointes" qui séchaient tout aussi interminablement au dessus de la même cuisinière, équipée de ce curieux ustensile aujourd'hui introuvable, que ma mère appelait un "parapluie". Des tringles pendaient le long du tuyau, accrochées à un anneau de fer qui entourait le dit tuyau, et on pouvait les relever à l'horizontale pour y étendre le linge.

Ma mère avait fait cinq enfants en neuf ans, (ratage de la) méthode Ogino oblige, autant dire que le séchoir n'a pas désempli en douze ans. Elle m'a d'ailleurs confié un jour que pour elle c'était même pas la lessive le plus dur, mais ce séchage et l'humidité que ça entretenait dans la maison déjà pas gâtée sur ce point: l'eau de condensation ruisselait le long des murs de la chambre de mes frères, j'en ai un souvenir visuel. Quand j'ai visité ce qui reste du Familistère Godin, et qu'on nous a expliqué que Godin interdisait la lessive dans les logements et avait prévu pour ça une buanderie collective dans un bâtiment à part (qui servait aussi de piscine... chauffée), j'ai tout de suite compris.

Je ne me souviens pas avoir vraiment vu ma mère laver, sauf pendant les vacances d'été, au lavoir du jardin de la grand mère, mais ça c'est plutôt un souvenir riant, la planche sur laquelle on frotte le linge mousseux, mes petites mains qui essaient de faire pareil, un jeu quoi, et puis toute la mousse qui s'en va dans l'eau claire, le linge qu'on tord, qu'on secoue pour le défroisser, la cuvette en fer blanc ou en émail moucheté de bleu dans laquelle on l'entasse pour aller l'étendre. A la maison, ma mère ne devait pas laver en notre présence. Une grand tante avait perdu deux enfants comme ça, tombés dans la lessiveuse bouillante. Ma mère avait une phobie de l'eau chaude, elle avait condamné la bouilloire incorporée au flanc de la cuisinière, pourtant si pratique, de l'eau chaude à volonté, il suffisait de poser un récipient par terre sous le robinet incorporé.

Plus tard, c'est moi qui ai dû m'y coller, sans trop d'expérience, ma mère ne nous sollicitait pas pour les vraies tâches ménagères, faire quelques courses, mettre et débarrasser la table, rien de plus. Elle estimait que nos études passaient avant et, femme au foyer toute sa vie, trouvait pourtant qu'une femme devait avoir un métier "on ne sait jamais" disait-elle pudiquement. Heureusement, il y avait le "Lavomatique". ma foi, j'enfournais tout dans une machine ou deux, avec parfois des effets de couleur imprévus, l'avantage c'est que ça séchait aussi, pas de buée dans le minuscule appartement. Pendant que les machines tournaient, on pouvait lire ou bavarder. Corvée, mais supportable.

Le jour où je suis rentrée seule de l'hôpital, ma première fille dans les bras, le ventre encore tendu de la cicatrice d'une césarienne, je flottais un peu dans mes nouveaux vêtements de mère. Finie la vie de bohème, les choses devenaient sérieuses et ça me plaisait bien même si j'étais loin d'être opérationnelle. J'ai déposé, un change après l'autre, les linges salis dans un seau d'eau savonneuse, puis j'ai considéré avec effarement le seau plein à la fin de la journée... que faire de ça? Je suis descendue à la pharmacie, et j'ai acheté des "Cotocouches". Je ne sais pas si la marque existe encore, elles étaient en coton hydrophile blanc dessus, rose dessous, on les utilisait avec une couche en plastique souple qu'on nouait devant et derrière pour les tout petits bébés, puis sur les hanches quand le bébé avait grossi.

Pharmacie? Cotocouches? Je ne roulais pourtant pas sur l'or, un salaire à peine en dessus du Smig qui à l'époque n'était pas bien élevé. Mais je voulais déjà "le meilleur" pour mon bébé, paraît que ça enchaîne les femmes, je voyais pas les choses comme ça. Je n'étais pas vraiment écolo, c'était loin d'être à la mode. Mais j'avais refusé avec indignation les couches Chix imprégnées d'hexachlorophène proposées d'emblée par la pharmacienne. J'avais soigneusement déchiffré l'étiquette, les toutes petites lettres, je me méfiais, on soldait à tour de bras un peu partout les savons Rexona qui empêchent de savoir que "à vue de nez il est cinq heures", traduisez qui empêchent les secrétaires de puer abominablement au nez de leur délicat patron. On soldait aussi par paniers entiers les dentifrices Signal avec leurs jolies rayures rouges qui vous faisaient les dents si blanches et la bouche si pure. Cet hexachlorophène qui imprégnait tous nos produits d'hygiène, était interdit aux USA, mais on écoulait les stocks en France, fallait faire vite. Et, après la catastrophe du talc Morhange, 36 bébés morts et (on en parlait moins) beaucoup d'autres handicapés à vie, il fallait faire encore plus vite. J'allais pas me laisser refiler ça pour mon bébé tout neuf!

De bébé en bébé, j'ai vu les couches jetables s'améliorer. Le "tout en un" d'abord. plus besoin de positionner et de nouer le plastique qu'il fallait, quand même, rincer et étendre: on jette tout, finie la lessive. Puis les petits élastiques sur les côtés: pas trop serrés, il ne faut pas laisser de vilaines marques sur la douce peau de bébé, mais assez quand même pour éviter les fuites. Je me souviens que, pour ma seconde fille, avec les selles un peu liquides que favorise l'allaitement au sein, yen avait plus dehors que dedans. Je passe sur les scratches "repositionnables" ça n'a l'air de rien, mais quand on avait scotché trop serré ou trop lâche, yavait plus rien à faire, la couche se déchirait et ça coûte cher une couche. Aujourd'hui, n'importe qui est capable de changer un bébé, même les hommes s'y sont mis, c'est dire... Je galège, il y a toujours eu des hommes capables de changer un bébé, un de mes oncles, quatre-vingts ans passés, était un vrai professionnel. Un autre faisait, mais pas très enthousiaste, sous le regard impérieux de son épouse. Mon père, non.

On est arrivés, comme ça, au "Même mouillés ils sont secs". En crèche, j'ai vu les éducatrices soupeser les couches pour savoir si elle étaient pleines ou vides, impossible de le détecter ni à l'oeil ni au toucher. L'enfant non plus n'en savait rien. A l'âge où il commence à se "sentir pisser" et à repérer la correspondance entre cette sensation et l'inconfort qui suit, le voilà privé de ce repère. Sur quinze ans de travail en Petite Enfance j'ai vu avec perplexité reculer l'âge d'acquisition de la "propreté". Les collègues, les parents, m'interpellaient. Alors qu'au début on me demandait souvent, en tant que psychologue, de convaincre les familles que la précocité de l'apprentissage pouvait nuire, je me retrouvais avec des enfants de trois ans qui se sentaient nus, déprotégés, sans cet accessoire par ailleurs de plus en plus charmant, petits nounours et fleurs champêtres à l'appui. Une auxiliaire de puériculture observatrice et futée m'avait confié qu'elle suggérait aux parents désemparés par la résistance de leur enfant déjà grand d'acheter désormais des couches bas de gamme, ni jolies ni confortables... et que ça marchait assez bien.

Mine de rien, on est là au coeur d'une question quasi philosophique. Quand l'instrument de notre liberté nous attache à lui, que penser de la liberté ainsi acquise? Comment imaginer se passer désormais de ça... et de bien d'autres choses? Se passer de la voiture? De l'éclairage "a giorno" au coeur de la nuit? Des teintures qui nous permettent de retrouver à quatre-vingts ans la blondeur de notre enfance? Des déodorants qui nous permettent de rester frais comme des roses quarante-huit heures durant? N'est-il pas, vraiment, venu le moment de faire le tri? Si certains et certaines ont décidé désormais de ne plus jeter les couches mais de les laver, de ne plus acheter du lait artificiel mais de le fabriquer comme notre corps nous le permet depuis toujours, d'interroger de façon plus pointue cette liberté qu'on nous propose à longueur d'écran d'acquérir à grands coups de carte bleue, ne faut-il pas accepter de nous interroger avec eux plutôt que d'en faire des repoussoirs?

Je fais déjà partie des affreux réactionnaires qui veulent enchaîner bobonne à sa niche écologique: non seulement je prépare une vraie purée de vrais brocolis... mais je les cultive, les brocolis! Bon, j'achète les plants, et je fais pas encore mes graines. Mais ça vient!

Commentaires

1. Le mardi 16 février 2010, 16:16 par Minium

Il y a plusieurs aspects dans cet article, mais celui que je trouve le plus convaincant, c'est le rapport qualité/prix des produits. On en revient un peu de la magie des pubs. Je n'ai jamais vu le gras, le tartre, le noir de l'insert partir comme sous l'éponge de la ménagère ravie. Et tous ces produits sont maintenant hors de prix en plus de nous empoisonner. Alors qu'avec un grattoir puis mon vinaigre blanc chaud, la baignoire de 30 ans est remise à neuf !
Le déo 48h n'est plus si sexy que ça, alors qu'un savon de marseille et une pierre d'alun me durent des semaines et je me sens bien plus propre; une huile essentielle me débouche le nez bien mieux que la pseudoéphédrine.

Il y a aussi l'endroit où on met son argent. Travailler moins pour avoir plus de temps et faire soi-même à partir de produits moins chers. Mais c'est le plaisir presque plus que les idées qui guide le comportement : ici en Provence, même en plein été, il est impossible de trouver au supermarché une tomate qui ait un goût de tomate. Alors tant pis pour eux et vivent nos jardins !

2. Le jeudi 18 février 2010, 01:42 par Champ Libre

Euh...je ne crois pas me tromper beaucoup en avançant que l'auteur de ce blog est une dame née aux environs des années 50 ! En lisant, je me suis exactement retrouvée dans le qutidien de l'enfant, puis de la mère et ses découvertes successives du progrès.
Sauf que j'en ai pondu cinq. d'enfants,..moi qui n'en voulait pas du tout !
Pour le reste, j'en suis au jardin, au tout fait maison même le pain et les nouilles, je fais mon potager...Bref je consomme utile et le plus sainement possible.

3. Le jeudi 18 février 2010, 08:44 par cultive ton jardin

Années 50... héhé... tu sais bien qu'on ne doit pas dire l'âge des dames!

Des enfants, j'en voulais aussi loin que je me souvienne. Six. J'en ai eu quatre. En prenant mon temps ce qui fait que j'ai connu toutes les modes. Sur le ventre, sur le dos, bib quasi obligatoire, sein "ykça d'vrai", couleurs layettes ou qui claquent. Ca aide à relativiser les injonctions.

4. Le mardi 23 février 2010, 20:56 par La Ségaline

Tiens tiens, on ne serait pas un peu énervée par une certaine Elizabeth B. ?...

5. Le lundi 1 mars 2010, 20:26 par Ga(i)elle

tout à fait !! :-)

(les cotocouches existent toujours, mais ça colle aux fesses à vifs des bébés qui sortent toutes les prémolaires en même temps)

Pas fait le voyage jusqu'à Primevère pour troquer des graines et acheter des couches lavables ou des lessives alternatives ? ;-)
Ah mais toi tu as Terre Vivante à portée de main, c'est vrai !

6. Le lundi 1 mars 2010, 21:28 par cultive ton jardin

Bah, non, je ne suis pas allée cette année à Primevère. Mais je reste fidèle à la foire aux plants du 8 mai à Terre Vivante.
Et je vais commencer mes semis (de tomate d'abord) cette semaine avec mon petit fils.
Les couches lavables... je dois avouer que j'admire les parents qui utilisent ça. Tu en es?