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mardi 7 septembre 2010

Entre les deux vierges

Mais non, je vais pas vous parler de virginité (obligatoire) avant le mariage, ni de reconstruction chirurgicale de l'hymen pour faire croire que le paquet cadeau n'a pas été ouvert. Ne fantasmez pas, googliens intégristes de notre sainte laïcité. Petits pervers amateurs de chair fraîche, passez également votre chemin.

Il s'agit d'une vieille expression pour mémoriser la période où la chasse aux herbes vivaces envahissantes doit être la plus intense, étant aussi la plus fructueuse. Entre les deux vierges, c'est entre l'assomption et la nativité de la vierge. C'est purement mnémotechnique, hein, elle s'occupe pas de ça, Sainte Marie Mère de Dieu. Cela commence au 15 août. C'est à cette date que la sainte vierge est montée au ciel. Je vous sens sceptiques, mais je vous assure que je l'ai vue sur son petit nuage, pieds nus écrasant le serpent démoniaque, bras croisés sur la poitrine, regard levé vers le ciel un peu en biais. Elle est montée au ciel, point barre, je veux plus entendre murmurer au fond de la classe, l'infaillibilité pontificale est en jeu, ainsi que l'identité chrétienne de l'Europe. Donc, ça commence au 15 août, et ça se termine le 8 septembre. Demain, quoi. Le 8 septembre, c'est la fête de la nativité de cette même sainte vierge. Les mystères du calendrier liturgique la font naître trois semaines après être montée au ciel. Comme dans les premières salles de "cinéma permanent", quand on pouvait entrer n'importe quand et qu'on était pas obligé de sortir à la fin (ça n'a pas duré, cte blague!), où on pouvait voir Jeanne d'Arc flamber sur le bûcher avant de devenir bergère.

Effectivement, chaque année, vers la mi-août, des indices parfois minuscules, parfois massifs, petit vent coulis entre deux journées de canicule ou vrai temps de cochon qu'on se croirait en novembre, nous font souvenir que l'été n'est pas éternel. Au jardin, pourtant, la fin de quelque chose est toujours le début d'autre chose. Bizarrement, ça me fait le même effet qu'au printemps les premières fleurs: je me mets à préparer l'avenir, je commence à nettoyer le jardin en vue du printemps.

J'ai beau avoir tenté de bannir de mon vocabulaire l'expression "mauvaises" herbes, je dois reconnaître que certaines me donnent du fil à retordre. Commençons par les liserons. J'en ai deux sortes: les "à petites fleurs", qui rampent en étoile autour de leur point de sortie. Ceux-là sont presque sympathiques. ils jouent les couvre-sol, et vous savez qu'un sol ne doit jamais rester nu sous peine de voir sa vie microbienne et sa vie tout court s'appauvrir jusqu'à disparaître. Si j'ai négligé de semer des soucis entre deux rangées de choux, si j'ai oublié de pailler mes tomates, si la distance nécessaire entre deux plants de potirons menace tout un espace de désertification, le liseron à petites fleurs occupe le terrain et empêche par la même occasion des herbes plus tenaces de s'implanter. Ce liseron-là ne nécessite qu'une surveillance distraite, un arrachage à l'occasion sans acharnement particulier.

L'autre liseron, celui à grandes fleurs, est moins raisonnable. Présent partout dans mon jardin dès le printemps, il se déchaîne, va savoir pourquoi, après le 15 août. Il sent venir l'hiver et cherche dès lors à faire le maximum de réserves racinaires. Connaissez-vous la racine du liseron? Jamais vous ne la verrez en entier. Elle monte des profondeurs de la terre, elle est blanche et charnue, et particulièrement cassante. Si vous vous contentez de tirer dessus, vous n'en aurez que quelques centimètres. Il faut y aller à la triandine, fourche-bêche à quatre dents comme son nom ne l'indique pas. La grelinette ne va pas assez profond. Il faut ensuite tirer avec délicatesse pour gagner encore quelques centimètres, sachant que de toutes façons ça repoussera. Moins vite, c'est toujours ça de gagné. Le malheur, c'est que le liseron va souvent, petit malin, se nicher entre les racines d'un cassis, d'un groseillier, et qu'il est particulièrement heureux parmi les framboisiers. Rien d'autre à faire alors que de limiter ses ébats. Je me console en pensant à la magnifique chenille du "sphinx du liseron" que Jardinet et moi avons eu le plaisir d'élever l'an dernier.

Ya pas que les liserons, ya aussi les ronces. Non seulement elles se déchaînent, elles aussi, fin août, mais elles vont à dame. C'est à dire qu'après avoir poussé des tiges démesurées, plusieurs mètres quelquefois, elles cherchent du bout du nez (à l'odeur?) un endroit particulièrement propice à l'enracinement. Et hop, ça repart aussi sec, comme de géants stolons de fraisiers. Heureusement pour moi, elles choisissent des endroits particulièrement meubles d'où il sera facile de les déloger. A condition de faire vite, sinon, en quelques sauts, elles vous colonisent la moitié du jardin. Il m'est déjà arrivé plusieurs fois de perdre en peu de temps l'espace durement gagné l'année précédente. Donc couper, couper, couper, arracher si l'on peut encore, lutter pied à pied, ne jamais gagner mais ne pas perdre non plus.

Dernière coriace, (pour aujourd'hui, y en a d'autres, des envahisseuses coriaces) le chiendent. Bien nommée celle là, un vrai chiendent. Chienlit, comme disait le général à propos des gauchistes de 1968. Le chiendent est bien plus discret. Un simple brin d'herbe au milieu d'un carré fraîchement désherbé. Tiens, d'où sort-il celui là? Quand vous tentez de l'arracher, soit il vous reste entre les doigts, laissant intacte la racine pour d'autres aventures, soit, si vous avez un peu de chance (ou d'expérience), vous l'attrapez, cette maudite racine. Et là, surprise, elle n'est pas verticale, comme la plupart des racines qui se respectent, mais horizontale. Et fameusement solide, on en faisait des brosses à récurer les planchers ou à laver le gros linge. On appelle ça une racine traçante. Et effectivement, vous pouvez la suivre à la trace, jusqu'en bordure de l'allée où se trouve la plante mère. En bordure de l'allée, c'est parce que, jardinière paresseuse, j'ai laissé mes allées principales se faire envahir par l'herbe. Chiendent, pissenlits, trèfle, plantain. Ça n'a pas que des inconvénients, ça évite la bouillasse par temps de pluie, ça limite le ruissellement toujours problématique dans les jardins en pente, c'est plus sympa à regarder. Mais ça nécessite une certaine vigilance, et en particulier de refaire une ou deux fois par an les bordures au pic de terrassier.

Je vous en parle dans un prochain billet.

samedi 8 mai 2010

Courgettes et potirons

Comme je vous l'ai expliqué hier, je m'absente 15 jours juste au moment où je devrais jardiner intensément... jardinière et voyageuse, je vous l'ai déjà racontée, celle là...

Donc, je ne voulais pas partir, d'ailleurs je suis plutôt casanière de naturel. Et voilà que notre amie Vân, dont je vous ai déjà parlé souvent, par exemple ici ou , se marie. Elle se marie avec un français, du coup vous vous doutez bien qu'ils sont dans le collimateur de notre sinistre de l'identité chauvine et de la désintégration. Leurs plans ont failli capoter, car les démarches étaient plus longues que prévu, les papiers jamais suffisants, les soupçons de mariage blanc lourdingues. Nous sommes nombreux à connaître, désormais, chez nos amis, nos proches, nos enfants, ces difficultés croissantes, ce durcissement des procédures. Finalement, ils se marient en mai, comme prévu, mais ce sera un mariage traditionnel vietnamien, la suite pour plus tard quand le gardien de la pureté de la race aura bien voulu donner son accord.

Être absente pour le mariage de Vân, impossible.

Donc, me voilà à confier les indispensables travaux de jardinage à mon fils. Qui est plein d'ardeur et de savoir faire, mais qui travaille la journée, et affronte en plus les incontournables embouteillages matin et soir. Longues journées...

J'avais prévu de bien lui préparer le terrain. Or, depuis huit jours, il pleut chaque jour, avec une petite éclaircie hier et aujourd'hui, avec quelques rayons de soleil bien timides, très insuffisants pour ressuyer la terre. Pas facile de jardiner sur la pointe des pieds. J'ai cependant préparé les trous des courgettes. Vingt centimètres de profondeur, à moitié remplis de mon compost maison, c'est gourmand les courgettes. Planté un bâton sur chaque trou pour indiquer l'emplacement à mon fils, mais surtout pour arroser au bon endroit, au plein de l'été, quand le plant aura acquis un développement tel qu'on ne saura plus très bien où placer l'arrosoir. J'ai prévu deux plants de "Ronde de Nice", savoureuse mais peu productive, et deux d'une variété plus traditionnelle pour la quantité. J'aime bien ces avalanches de courgettes dont on ne peut même plus se débarrasser chez les voisins, qui en ont tout autant ou qui ont un papa, un tonton, un grand père pour les fournir abondamment.

Les tomates, c'est mon gros souci. J'en ai semé quatre variétés, elles seront à point dans une semaine, mais je respecte pour les planter une procédure pointilleuse, et mon fils a horreur que je lui dise ce qu'il doit faire. Je creuse d'abord un sillon que je remplis à moitié de compost en mélangeant un peu avec la terre du jardin. Je place les piquets au creux du sillon, des fers à béton inusables et discrets. Je couche chaque plant en terre en ne laissant dépasser que cinq ou six feuilles: la tomate est une rampante qui est capable de faire des racines tout le long de sa tige, et cela améliore ses capacités de nutrition. Il faut que tout soit bien aligné pour me permettre de sarcler ensuite sans blesser les racines, assez superficielles. L'arrosage aussi en sera facilité, il doit être abondant et régulier. J'inaugure cette année une nouvelle variété. Vexée, l'an dernier, d'avoir eu une abondance de tomates andines APRÈS le départ de ma petite famille, j'ai cherché une variété TRÈS précoce, Auriga, trouvée chez Biau Germe. Pour le reste, je suis restée fidèle: Andines, Bérao, Noire de Crimée. Quatre variétés, six plants par variété, va pas chômer le fiston!

Je vais profiter du temps relativement clément pour préparer aussi la plantation de concombres. Moins espacés que les courgettes, j'en mettrai six sur une ligne de trois mètres. Pour les potirons, je creuse des trous plus profonds (très éloignés, ça court, le potiron!) que je remplis au tiers de crottin de cheval, puis de compost mélangé à la terre d'origine. Le crottin de cheval chauffe en profondeur et assure un meilleur démarrage. Justement, les chevaux se sont installés en avril dans le pré, la matière première est toute fraîche. Mais voilà, ça aussi, il faut que je laisse mon fils s'en occuper. Je sème les potirons directement en place, ça ne fait pas une grande différence de préparer les plants à l'avance. Je sème toujours les mêmes vedettes, Potimarron, une célébrité maintenant, Butternut et Buttercup. J'apprécie surtout chez la Buttercup cette habitude qu'elle a de ne rien produire pendant tout l'été, puis de se dépêcher quand la saison s'avance de former des tas de fruits qui virent du vert clair lumineux à un très beau vert sombre. Tout ce petit monde grossit rapidement, alors qu'on aurait pu croire que la plante s'était laissée prendre de vitesse par la saison.

Elle me ressemble un peu, celle là!

jeudi 4 mars 2010

Patates transgéniques?

Aux armes, citoyens, formez vos bataillons!

Les hordes barbares de la CESM (Commission Européenne de Soumission aux Multinationales) s'attaquent au coeur de notre identité potagère et culinaire, la PATATE!

Alors que des pourcentages massifs de citoyens européens sont soit méfiants par rapport aux OGM, soit carrément hostiles, voilà que l'Europe (ou ce qui prétend être l'Europe) donne son feu vert à une monstruosité, la pomme de terre transgénique. Oh, bien sûr, ils sont courageux, mais pas téméraires, ils ne prétendent pas (quand même!) nous la faire manger, enfin... pas tout de suite. Pour l'instant, ils vont en faire de la colle BASF et faire manger les restes aux (pauvres) bêtes dont nous nous nourrissons (trop abondamment, voir le bouquin de Fabrice Nicolino). Ils rentrent par la petite porte, mais l'essentiel n'est-il pas de rentrer? En essayant de faire oublier que cette... créature possède un gène de résistance aux antibiotiques, précisément ce que les directives européennes elles-même considèrent comme inacceptable.

Tant qu'à faire, je suggère que la colle de fécule transgénique soit labellisée "bio", en argumentant que remplacer d'horribles produits chimiques par de la bonne fécule de patates est un indéniable progrès. Paraît que dans le bâtiment, le bio a le vent en poupe. Maintenant que les braves petits militants avec leurs petites mains courageuses ont fait le boulot le plus chiant, celui qui coûte et qui rapporte guère, la promotion de produits inconnus du grand public, leur homologation, l'amorce de leur commercialisation, les grandes surfaces commencent à trouver le créneau rentable et ramassent la mise. Obligeant au passage les pionniers à s'adapter pour survivre. Dans un dossier spécial "Où va l'habitat écologique", un article des "4 saisons du Jardin Bio" de mars/avril (n°181, vendu en kiosque) intitulé "D'un marché de niche à un marché de masse" fait cette constatation mitigée: les consommateurs iront désormais... chercher des conseils chez les petits distributeurs écolos, et acheter la marchandise en grande surface. On pourrait paraphraser Rabelais, lorsque son Gargantua, "pleurait comme une vache" la mort de sa tendre Badebec, tout en riant comme un veau à son petit Pantagruel tout frais éclos. Malgré la mort économique programmée de nombreuses petites surfaces pionnières, c'est en effet une bonne nouvelle, car c'est bien la pression des consommateurs qui est à l'origine de cette conversion intéressée. Seulement, il va falloir les surveiller de près, ces profitueurs (c'est pas une faute de frappe), qu'ils ne nous fassent pas prendre leurs vessies pour du bio.

La pression des citoyens sera-t-elle suffisante pour faire reculer les géants de la transgénie? Nous le saurons au prochain épisode d'un feuilleton dont nous sommes les héros. La commission européenne accordant généreusement à chaque pays la décision finale, l'Autriche et l'Italie ont déjà refusé, la France se tâte... Mais l'offensive est commencée: il y a peu, un "C dans l'air" consacré à l'agriculture abordait benoîtement par la marge la question du transgénique, et (surprise?) tous les invités y étaient unanimement favorables. Choisis, donc, parmi les 7% de Français qui trouvent que le transgénique c'est vachement bon, pas dangereux du tout et que ça va nourrir le monde. Après avoir engraissé Monsanto évidemment, car il est bien connu que plus gros est le gâteau, plus grosses sont les miettes qui tombent sous la table. Et le petit peuple, surtout quand il est basané et même plus, adore se goinfrer de miettes sous la table des puissants.

Que tout ça ne nous empêche pas de cultiver notre jardin. Le numéro 181 des 4 saisons consacre également un dossier à la pomme de terre cultivée sous une couche de paille. Je vous laisse le soin de lire et de conclure. C'est vrai que ce doit être plaisant à ramasser. Je tenterai peut-être une rangée ce printemps. Je vais déjà acheter mes semences, des fondantes pour le gratin, des fermes pour la cuisson vapeur et bien sûr pour le poteau-feu, et les mettre à germer. J'ai expédié ma commande de graines à Biau Germe, et semé une rangée de fèves pour faire plaisir à mes coccinelles. Par contre, le grelinage, à peine amorcé sur les parties les moins humides de mon jardin, est en panne: la pluie vient de recommencer à tomber. Je me console de ce contretemps en pensant que ça refait le niveau de la nappe phréatique et que, peut-être, ma source, qui a recommencé de couler à la fonte des neiges, ne tarira pas en plein mois d'août comme l'an dernier.

lundi 14 décembre 2009

Le jardinage bio est un sport de combat!

J'ai reçu hier le catalogue 2010 du G.I.E Le Biau Germe. Publicité totalement, absolument, résolument gratuite et spontanée. Quoique, vu que je m'apprête à faire une commande ...

Sur la couverture, une très belle amarante rouge. Tiens, je pense que je vais commencer ma commande par ça: deux mètres de haut, "spectaculaire en fond de massif", mon Petit Jardinet devrait être content, et moi aussi puisque "Les feuilles peuvent être consommées à la manière des épinards et les lourds pannicules sont pleins de très petites graines comestibles". Des fleurs qu'on peut manger, des légumes décoratifs, comment s'accommodent-elles, ces plantes, d'un tel brouillage identitaire?

En tous cas, tout va bien pour la mienne, d'identité, puisque la racine (mais non, pas celle de la plante, la racine linguistique!) est gréco-latine (latin amarantus emprunté au grec amaranton), et le gréco-latin, en galimatias identitaire, on a le droit. J'avais peur que ce soit encore une plante venue d'ailleurs, genre quinoa, maïs ou potiron de Hokkaïdo. Heureusement, je me souvenais d'un couplet sarcastique du grand Molière qui parlait par la bouche de Trissotin, d'un carrosse amarante ou "de ma rente". Molière, on a le droit. Mais je relis l'édito du catalogue, et voilà que j'apprends que l'amarante est aussi "plante sacrée des incas"... et (on n'arrête pas le progrès) qu'elle a une cousine américaine qui fait de la résistance aux herbicides par contamination OGM, quelle peste, on va devoir l'arracher à la main!

Bon, je crois que je vais laisser tomber ces conneries identitaires, sinon je vais pas réussir à faire ma commande, un catalogue de graines, surtout bio, c'est farci d'étrangetés. Même si c'est farci, également, de très anciens légumes bien de chez nous. Le Biau Germe s'attache, en effet, à retrouver, sauvegarder, voire réintroduire dans le circuit les variétés cultivées avant 1914, non parce qu'elles sont anciennes, me faites pas la plaisanterie nulle des cavernes et de la bougie, mais parce qu'elles datent d'une époque où la sélection maraîchère et l'hybridation n'avaient pas encore fait les dégâts que l'on sait, privilégiant des qualités compatibles avec la culture industrielle, la grande distribution, la longue conservation en chambre froide et les voyages lointains plutôt que les qualités nutritionnelles et gustatives. Privilégiant aussi la NON reproductibilité des semences, tous ces paysans qui fabriquent eux-mêmes leurs propres graines, ça fait désordre. Et quelle insupportable entrave à la liberté de commerce!.

Une bonne trentaine d'artisans semenciers se sont réunis cet été, à l'initiative de Biau Germe et de ses copains les Croqueurs de Carottes pour les Journées Sélections de la Semence. Leur travail s'apparente à ce que j'appelle la résistance-colibri: ils essaient de sauver chacun à sa mesure une toute petite partie de cet héritage ancien, et leur effort, n'en déplaise aux railleurs, n'est pas tourné vers le passé mais vers l'avenir. C'est en conservant le plus possible de semences anciennes que peut-être l'humanité pourra faire face aux grands bouleversements climatiques qui sont désormais inévitables. Sans hybridation (l'hybridation donne des plantes stériles), sans OGM bien sûr, de nouvelles obtentions pourront apparaître, puisant dans la biodiversité génétique sauvegardée, privilégiant le gustatif et le nutritif, qualités qui n'auraient jamais dû cesser d'être au premier plan de la recherche agronomique. Privilégiant aussi l'adaptation aux sols et aux climats, pour éviter les arrosages gaspilleurs et les épandages de toxiques, engrais ou pesticides, nécessaires aux plantes rendues fragiles pas leur manque de compatibilité avec le terroir.

Par une bizarrerie (voulue?) de nos lois, un artisan semencier qui essaie de participer à ce sauvetage de variétés anciennes se voit doublement pénalisé. Commercialement d'abord, il ne pourra pas vendre ces graines là, disparues du Catalogue Officiel, à des maraîchers. Inutile de vous dire que les petites commandes de jardiniers amateurs comme moi ne suffisent pas à valoriser les efforts entrepris. Ces graines ne pourront être vendues que sous l'étiquette "Semences destinées exclusivement aux jardiniers amateurs" et en petits sachets. De plus, même pour être vendues à des amateurs, ces graines sauvées de l'oubli doivent être inscrites sur un catalogue annexe du Catalogue Officiel, et cette inscription est payante.

Donc, voilà, munie de ce très sobre et très joli catalogue, je fais l'inventaire des graines qui me restent. Périmées? Il y en a quelques-unes, mais peu, j'avais déjà, l'an passé, fait un sacré ménage: je suis négligente et gardeuse, alors ça faisait franchement pitié, ma collection de vieux sachets. J'avais aussi changé le lieu où je stocke mon petit bazar: il me semblait que mes graines perdaient, plus vite que prévu, leur faculté germinative. Je les ai déménagées dans le buffet de cuisine hérité de ma mère, ce buffet des années 50 moins suspect d'être imprégné de formaldéhyde que les étagères en agglo où elles étaient précédemment.

Le catalogue me sert de guide: ail, arroche, aubergine, betterave, carotte... J'ai déjà planté de l'ail cet automne, je ne sais si j'ai eu raison, d'habitude je ne le fais qu'au printemps. Je me suis dit que j'allais essayer. Ils pointent déjà leur petit museau vert et pointu, ça a l'air de bien se présenter. Pour l'arroche, pas besoin, elles se ressèment régulièrement depuis que j'en ai récupéré les graines dans le jardin d'une copine. Aubergine... bah, mes essais précédents étaient assez minables, je ne suis pas très performante avec les plantes qui demandent trop d'attention. Je continue à suivre l'ordre alphabétique. je coche avec un feutre fluo les graines dont je vais avoir besoin. Je note la date de péremption de celles qui me restent de l'an dernier.

J'aime bien préparer mes commandes de graines en décembre, quand les collines d'en face sont saupoudrées de neige, que le brouillard me cache la Chartreuse toute proche, que l'étang en dessous est bien visible, les arbres qui le dissimulent en été ayant été déshabillés de leur plumage. A propos de plumage et pour parfaire l'atmosphère les corbeaux s'abattent en croassant sur les prés où on se demande bien ce qu'ils trouvent. Je regarde tout ça et je rêve au printemps. Faudra que je trouve le temps de tailler les sureaux, ils se sont bien trop développés depuis que je les ai sauvés du désherbant féroce de mon "locataire" paysan qui les maintenait, année après année, à l'état de moignons noircis sans pourtant en venir à bout définitivement, coriace sureau! Le laurier sauce aussi en prend à son aise. il dépasse le muret, c'est pas dans nos conventions.

Je suis fidèle au "Biau Germe" depuis de nombreuses années, mais il me vient des envies de vagabonder un peu. Pas chiens, ils m'y encouragent en me fournissant la liste de leurs amis "Croqueurs de Carottes": Germinance, Graines del Païs, Les Semailles, Ferme de Sainte Marthe, Jardins d'Envie... Tous ces gens, et bien d'autres, font partie du réseau de "Semences Paysannes". Entre autres activités, Semences Paysannes nous informe des toutes dernières nouvelles en matière de réglementation grainetière européenne. Si vous avez le temps, allez lire ça, vous ne serez pas déçus: on y sent très bien tourbillonner les vents contraires, la pression de l'évidence écologique contre celle des lobbies agro-industriels. On y donne d'une main ce que l'on retranche de l'autre, on caresse d'une main tandis qu'on étrangle de l'autre. De la même façon, les deux girouettes de mon toit, une vache et un cheval, persistent bizarrement à indiquer des directions différentes. La masse imposante du château voisin y serait-elle pour quelque chose?

Hors sujet, mais pas tant que ça:

Déclarée en septembre 2002 par un directeur zélé de la répression des fraudes, la guerre de l'ortie a connu des hauts et des bas. Elle est loin d'être finie, et son issue reste incertaine.

Celle des semenciers biologiques prend le même chemin.

mercredi 9 décembre 2009

Tulipes et minarets

Mon identité est, en tous cas sur ce blog, surtout jardinière. J'ai déjà eu l'occasion de m'inquiéter de la pureté identitaire de mon jardin. C'est fou le nombre de plantes venues d'ailleurs auxquelles je vais devoir renoncer pour préserver cette pureté. Quel déchirement, plus de tomates, plus de pommes de terre, vais-je devoir arracher le figuier que j'ai planté au printemps dernier, et que faire des tulipes mises en terre en novembre?

Mon "Petit Jardinet" voulait absolument, cet automne, planter des oignons de tulipe. Il en avait un peu sa claque des légumes que son austère grand mère lui infligeait jusque là, et avait saisi au vol une suggestion de son arrière grand père pour me la seriner ensuite. Bah, moi j'aime pas trop les tulipes, je trouve que c'est une fleur qui manque de grâce et de souplesse. Sans doute, mon inconscient subodorait qu'elle manquait aussi de pureté nationale. Je me suis pourtant laissée convaincre. Nous avons, ensemble, préparé une bande de terrain, Petit Jardinet est tout à fait au point dans le maniement de la grelinette en terrain meuble. Pour être aussi performant en défrichage, seule lui manque encore -il n'a que six ans après tout- la force de planter et de soulever l'engin. J'ai acheté une dizaine d'oignons de tulipe, et trois de jacinthe. La jacinthe aussi, à mon goût, manque de souplesse et de grâce, mais elle est délicieusement parfumée.

Nous avons, ensemble, soigneusement choisi puis marqué l'emplacement de tout ce petit monde, tout près de la pelouse qui sépare le jardin du ruisseau. Petit Jardinet a conclu que désormais il mettrait seulement des fleurs dans son jardin, les poireaux, les haricots, la ciboulette... basta! Le reproche était discret mais net et sans bavure.

Et voilà que ce matin, va savoir pourquoi ce matin, un doute affreux s'insinue. Qu'une rapide visite sur Wikipedia transforme, hélas, en quasi certitude. Bon, je savais bien que la tulipe n'était pas vraiment française, c'est la Hollande le pays des tulipes (alors qu'elle n'est, vous le noterez, que "l'autre" pays du fromage). Mais la Hollande, c'est quand même un peu chez nous. Or, non seulement le mot tulipe n'est pas d'origine hollandaise, mais... je vous le donne en cent, je vous le donne en mille (hé ho, faites pas les malins, je vous ai bien vus cliquer sournoisement sur Wikipedia) le mot est d'origine turque! Pire, il signifie "turban". Et, tenez-vous bien, "prendre le turban" signifiait (en 1688 mais bon...) se convertir à l'Islam.

Je vérifie quand même, il faut toujours recouper ses infos. Je vérifie sur papier, j'ai entendu courir des bruits, internet serait suspect. Et me voilà à farfouiller dans le Robert, et pas n'importe lequel, pas le petit, le mesquin "Petit Robert" des pauvres. Non, un gros machin en deux tomes, intitulé sobrement "Dictionnaire historique de la langue française". Chépa si vous voyez la solidité de la caution. Quoique... je me prends à douter de la pureté idéologique du mot "historique". Paske "historique", hé, ça sous entend que la France, la langue, les mots ont une histoire. Vous suivez? Et s'ils ont une histoire, c'est qu'ils n'ont pas toujours, de toute éternité, été tels qu'ils sont aujourd'hui, alors quid de la France éternelle? Et voilà que ça se vérifie, la dangerosité du mot "histoire". Voilà qu'un mot innocent, à la consonance irréprochable, se révèle très impur par son... histoire.

Non seulement le mot tulipe nous vient du turc "tülbend" qui veut dire turban, mais ce mot a lui même été emprunté au persan "dul-i-band". Persan, ça dira peut-être rien à nos gouvernants, parce qu'il faut connaître à la fois l'histoire et la géographie pour savoir que la Perse... j'ose à peine vous le révéler... c'est l'Iran. Et c'est dans les jardins de Soliman le Magnifique que fut cueillie, en 1556, la fleur qui allait à partir de 1560 envahir sournoisement toute l'Europe de l'ouest et polluer non seulement les jardins mais les langues (italienne, provençale, espagnol, alémanique, russe, danoise, suédoise), la littérature (L'amateur de tulipes de La Bruyère, La tulipe noire d'Alexandre Dumas) et la vaisselle chic (verre tulipe).

Je regarde désormais avec méfiance cette étroite bande de terre que nous avons cultivée si gaiment, mon Petit Jardinet et moi. Que va-t-il en sortir au printemps? Une dizaine de petits minarets mauves? Hauts de cinquante centimètres certes mais un minaret reste un minaret, quelle qu'en soit la hauteur. Avec dedans une abeille précoce en train de zonzonner les cinq prières quotidiennes?

Ou une dizaine de minuscules centrales nucléaires, soigneusement cachées tout l'hiver aux satellites étazuniens?

Et Fanfan la Tulipe, on lui dit quoi?

mardi 8 décembre 2009

Qu'un sang impur abreuve et caetera...

Mon identité est-elle sanguinaire? On me somme de chanter la Marseillaise une fois par an. Pour Halloween, peut-être? Ces féroces soldats qui viennent jusque dans nos bras ne sont-ils pas de parfaits personnages d'épouvante? En agriculture biologique, le sang desséché est un fertilisant connu mais qui me répugnait quelque peu. Encore n'avais-je pas imaginé qu'il puisse s'agir de sang humain, encore moins impur. Pourquoi, impur d'ailleurs? On me dit que c'est une sarcastique allusion au sang réputé "pur" de ces nobles qui s'étaient exilés et qui, de leur exil, attaquaient vilement leur ancienne mère patrie... Mouais... n'empêche que l'idée qu'un sang puisse être impur me chiffonne un peu.

J'avais douze ans, et les nonnes qui veillaient sur ma pureté de l'époque, laquelle n'était pas celle de mon sang, mais celle de ma vertu ("Avez vous eu des pensées impures, mon enfant?), avaient trouvé mieux (ou pire?) que la Marseillaise pour gonfler notre enthousiasme patriotique: un poème de Péguy, mis en musique par chépaki. On peut dire ce qu'on veut de Péguy, mais lui au moins, c'était pas "Armons-nous et partez", il a payé de sa personne, il a fertilisé de son sang les sillons de je ne sais quelle campagne, laquelle fut malheureusement farcie en même temps de ferrailles et d'explosifs divers que les paysans continuent, quatre-vingt dix ans plus tard, à extirper de la boue, odieuse récolte.

Bref, il disait, ce poème de Charles Péguy affublé d'une pompeuse musique qui lui allait comme un gant:

"Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles, couchés dessus le sol à la face de Dieu"

Et moi, à douze ans, j'étais très en colère: les morts peuvent-ils être heureux? Et en y réfléchissant, je m'aperçois que je ne croyais déjà plus à la vie éternelle, est-ce que j'y ai vraiment cru un jour? Pour moi, les morts étaient morts, point. Malheureux, à la rigueur, quoique... mais heureux? quelle imposture! Une image funèbre me venait, celle de ces cadavres étendus bien en ordre, couchés sur le dos, face au ciel. La lumière était déclinante, le ciel nuageux et sombre, comme avant certains orages. Et le dieu de Péguy, jouissait de les contempler. Je n'avais pas encore bien réalisé ce qu'avait été cette guerre de 14, qu'un de mes grands pères avait faite mais dont il ne parlait jamais. Je n'avais pas lu Céline "Toutes ces viandes saignaient énormément ensemble", je n'avais pas vu les tragiques illustrations de Tardi, mes morts étaient très propres, très sages, alignés comme à la morgue, sous un ciel d'encre. Mais bordel de merde, pas heureux, PAS HEUREUX!

Seulement, dans la Marseillaise, c'est bien pire, c'est pas les morts qui sont heureux, c'est les assassins. Ceux qui se réjouissent de tuer, de faire couler le sang, et qui, les sagouins hypocrites, qualifient d'avance ce sang d'impur pour se dédouaner.

Ca me rappelle qu'au moment de la première guerre du golfe, des affiches sur les murs refusaient de "Mourir pour du pétrole". Et là aussi, j'étais en colère, car c'était un mensonge, il ne s'agissait pas de "mourir", mais de TUER pour du pétrole. Pareil quand on a rapatrié les cercueils de "nos" soldats, morts en Afghanistan: c'est tragique de mourir à vingt ans, même si on s'est "engagé" (engagé à quoi?), mais moi je me disais qu'avant de mourir, ils avaient bien dû apprendre à TUER, non? Et je regardais mon "petit dernier", qui avait tout juste leur âge, un peu homme sans doute, mais le visage de l'enfant encore présent en filigrane, et je me demandais ce qui m'épouvantait le plus, qu'il puisse mourir ou qu'il doive tuer?

Je pensais aussi à cette autre guerre qu'on a si longtemps appelée "les évènements d'Algérie". En 1958, les nonnes, toujours les mêmes, nous avaient fait un ptit exposé, histoire de pallier à notre totale ignorance de toute actualité, un exposé succinct mais somme toute pas trop partial: Un certain De Gaulle était sur le point de prendre le pouvoir, ses partisans disaient que lui seul pouvait mettre fin à la guerre d'Algérie, ses adversaires qu'il représentait un danger de dictature. Moi, j'étais contre la dictature (à 14 ans, tout ce que je voulais, c'est que personne me donne des ordres). Ma copine, elle, était pour De Gaulle, elle voulait la fin de la guerre. Parce que son frère en était revenu, de cette guerre, transformé de manière inquiétante. Sombre, irritable, solitaire. Et qu'elle l'avait surpris, assis sur la margelle du puits, en train de regarder au fond. Le dernier roman de Laurent Mauvignier, "Des hommes" évoque ces soldats perdus et inconsolables.

Je me souviens d'une très longue interview de Jean Faure, alors député ou peut-être sénateur, en tous cas maire d'Autrans. Chrétiens convaincus, lui et ses copains étaient partis pour cette guerre avec la recommandation pressante de leurs aumôniers de "préserver leur pureté". Diable, encore cette foutue pureté? Ah ben, ça voulait dire tout bêtement... pas coucher avec les putes. Jean Faure évoquait pudiquement les "corvées de bois", même pas le courage d'appeler les meurtres par leur nom. Les aumôniers n'avaient-ils pas pensé que tuer des innocents, torturer des adversaires, violer des paysannes était autrement dangereux pour la pureté de ces innocents petits soldats qu'un pti tour au bordel?

Alors, voilà, la Marseillaise, je demande à ce qu'elle soit interdite aux moins de seize ans. Et formellement déconseillée aux autres, à tous les autres. Ca me ferait bien mal au ventre que mon petit rossignol jardinier chante cette saloperie, cette indécente saloperie. D'ailleurs, si, quelques années plus tard "Napoléon perçait sous Bonaparte", ce serait pas la faute à la Marseillaise et à ses conquérantes paroles?

Ah voui, Péguy met une condition à son enthousiasme nécrophile: "pourvu que ce soit dans une juste guerre". Vous en connaissez, vous, des guerres qualifiées d'emblée d'injustes par leurs ardents promoteurs?

dimanche 6 décembre 2009

Mon identité est littéraire

France, mère des arts, des armes et des lois,

Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle :

Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,

Je remplis de ton nom les antres et les bois.

Si tu m'as pour enfant avoué quelquefois,

Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?

France, France, réponds à ma triste querelle.

Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix.

Entre les loups cruels j'erre parmi la plaine,

Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleine

D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau.

Las, tes autres agneaux n'ont faute de pâture,

Ils ne craignent le loup, le vent ni la froidure :

Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.

Sur une idée de Paul Jorion, que je remercie, comme je remercie le Yéti de m'avoir guidée vers lui. Mais celui qui méprise "La princesse de Clèves", connaît-il seulement le nom de Joachim du Bellay?

vendredi 4 décembre 2009

Mon identité n'est pas nationale

"Toi la nguoi phap: je suis française".

Une phrase que nous avons dû apprendre à répéter chaque fois que des vietnamiens, ayant repéré, bien sûr, à notre faciès (ah ben non, hein, on utilise pas le mot "faciès" dans ce cas là!), que nous étions non seulement étrangers mais occidentaux, commençaient à nous parler anglais. Pendant quelques secondes, cela devenait notre identité principale. Soit on s'en tient là, parce qu'on n'a rien de plus à se dire, parce que l'interlocuteur ne connaît pas la langue, soit la relation s'approfondit, et alors c'est tout autre chose qui s'amorce.

Pourquoi revendiquer ainsi le fait d'être français? Bah, tout bêtement parce que c'est la LANGUE que nous parlons et que c'est pratique de parler la même langue. Aucun nationalisme là dedans. Quoique... un peu de tristesse de voir que cette langue que nous aimons, peu de jeunes désormais l'apprennent, et ça diminue régulièrement. Quand François Fillon se pointe à Hanoi, laissant les français deux heures à l'attendre sous le soleil puis repartir, pour certains d'entre eux qui avaient des obligations, le ventre vide, c'est pour signer des contrats. Pas pour conforter la langue et la culture, qui ne sont, et de loin, pas une priorité. Bizness n'est pas français (ni anglais d'ailleurs).

A la campagne, dans les ruelles des villages, c'est parfois un très vieux qui nous aborde, fier de pouvoir dire quelques mots surnageant de son enfance colonisée, mais parfois beaucoup plus que quelques mots. Ainsi, nous avons eu pour guide, dans la région de Buôn Mê Thuôt, une très vieille dame, plus de quatre-vingts ans, qui parlait un français superbe, alliance étonnante d'une langue à la grammaire et à la prononciation impeccables avec la souplesse, la spontanéité de la langue parlée d'aujourd'hui. L'élégance de son costume ethnique rivalisait avec celle de son langage. D'ailleurs, elle parlait au moins trois langues, puisque s'ajoutait au français et au vietnamien officiel la langue de son ethnie, dont à ma grande honte j'ai oublié le nom.

Quelques jeunes pourtant s'obstinent, de moins en moins nombreux. A l'Espace Culturel Français de Hanoi, une jeune vietnamienne m'aborde amicalement. Elle est venue précisément pour avoir l'occasion de parler français, beaucoup d'étudiants le font. Elle me parle en riant de notre président bling-bling. J'écarquille les yeux, le monde entier connaît-il ce surnom sarcastique? Mais elle rit encore, elle doit ce savoir à des amis français.

Nous avons maintenant beaucoup d'amis là bas. Quelle tristesse de leur expliquer, quand ils essaient de venir en France, qu'ils n'y seront pas les bienvenus, que nous ne pourrons pas leur rendre l'hospitalité qu'ils nous ont si généreusement offerte. Nous devons cacher à cette dame, en lui apportant les cadeaux de son fils qui étudie en France, qu'il y est devenu un "sans papiers" menacé dans tous ses déplacements par un contrôle au faciès. Depuis deux ans, elle ne peut plus lui envoyer d'argent, le père est décédé brutalement et elle a juste de quoi vivre. Alors, le jeune homme a dû travailler, et ses études en ont souffert. Pourtant, revenir au pays sans le diplôme pour lequel sa famille a tant sacrifié ... impossible.

Une de nos amies fréquente un français. Devons-nous la prévenir que son mariage sera considéré ici comme "gris", que notre état si démocratique lui fera subir d'humiliantes intrusions dans sa vie privée, mettra en doute sa sincérité, lui prêtera de sordides calculs, la soupçonnera d'une "escroquerie sentimentale"? C'est une jeune fille fière, je n'ai même pas osé aborder ce sujet.

Une autre jeune fille voulait venir visiter sa soeur, étudiante en France. Nous avons dû, après avoir tenté des démarches compliquées et incertaines, lui refuser notre aide. Ou plutôt, ses parents ont renoncé, en voyant que c'était si compliqué pour nous. Humiliation partagée.

Notre petite gazelle a eu un an le mois dernier: nous avons été présents dès les premiers jours, nous lui avons rendu visite, elle a passé une partie de l'été chez nous, aucune frontière ne nous sépare. Mais elle n'a jamais vu sa grand mère algérienne. C'est en août seulement que son père a enfin obtenu le Saint Graal, la fameuse carte de séjour de dix ans. La vieille dame va pouvoir faire connaissance avec sa petite fille et sa belle-fille dont elle ne connaît que la voix au téléphone... et revoir son fils absent depuis si longtemps.

Je suis française, puisque "née en France d'un père qui y est également né". Je n'en tire ni gloire, ni honte. J'aime la langue qui est la mienne depuis mon enfance, j'aime les paysages de montagne où j'ai vécu la plus grande part de ma vie. Je n'aime pas le chauvinisme haineux qui prend de plus en plus de place dans ce pays, qui le fait pourrir "par la tête", comme les poissons. J'aime les gens qui, comme moi, tentent de résister à l'invasion nationaliste, qui tentent de rester ouverts, amicaux, généreux avec tous, sans leur demander leurs papiers, sans même y penser, pour qui des yeux en amande ou une couleur de peau ne sont pas un "faciès". Si quelques minarets apparaissaient ici ou là, dérisoire concurrence (?) aux innombrables clochers de ce pays (ya même des tout petits villages, qui, comme Colombey, ont deux églises), je n'en ferais pas une maladie. Ils ne pourront jamais être aussi invasifs que les églises grandioses et quelque peu kitsch dont "nous" avons affublé les campagnes et les villes du Vietnam. Mais les vietnamiens s'en accommodent, ils ont même dans le delta du Mékong un édifice religieux invraisemblable où le Christ voisine avec Victor Hugo, Bouddha ... et Tchang Kai Tchek.

A propos de minaret, je n'oublie pas que la très catholique cathédrale du Puy, étape mythique sur le trajet du non moins mythique pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle, présente sur l'ogive d'une de ses portes... un verset du Coran déguisé en inoffensive "arabesque". Merci au petit artisan malicieux qui nous a laissé ce témoignage de son humour! C'est ça que j'aime en France (et ailleurs aussi), ces petits clins d'oeil qui nous rappellent qu'à côté de l'Histoire des Grands, des Rois, des Guerriers, il y a la toute petite histoire, bien plus charnue, bien plus vivante et véridique des habitants ordinaires qui ont tenté de glisser leurs petits bonheurs et hélas leurs malheurs entre les canons et les massacres, entre les frontières et les contrôles, entre les charters et les barbelés. Qui ont tenté de VIVRE, simplement.

lundi 21 septembre 2009

Chronique d'un démantèlement annoncé

Fermer Sangatte: c'est fait. "Démanteler rapidement la "Jungle" de Calais": c'est programmé. Ministre sinistre (eh, qu'alliez-vous penser? "sinistre", ça veut dire de gauche) de "(la chasse à) l'humain et des expulsions, Eric Besson va encore frapper. Il l'a dit, répété, il le scande, il va le faire. Avant la fin de CETTE semaine.

Chaque fois que j'entends ça, chaque fois que j'y pense, je me repose la même question: et comment vont-ils faire?

Fermer un hangar, on voit bien, on a déjà vu. On fait sortir les gens. C'est tout. La première fois, ça a fait du bruit, il a fallu briser à coups de hache la porte d'une église. Victor Hugo, Esmeralda, Quasimodo, pleurez! Maintenant, c'est rodé. Il faut un certain nombre de policiers. Ils doivent savoir calculer ça dans les officines où on gère l'humain. Il faut qu'ils soient assez nombreux pour que "les autres" comprennent qu'ils n'auront pas le dessus. Qu'ils n'ont aucune chance. Montrer la force pour éviter de s'en servir. Alors, les actualités télévisées vous les filment, ces "autres". Ils sortent, tranquilles, calmes, et si ça bout dedans, si ça désespère, si ça s'affole, ça ne se voit pas ou à peine à l'écran. Une phrase devenue banale vous informe que le lieu "a été évacué ce matin par la police sans incidents". Il arrive même que les "autres", les indésirables, évacuent avant l'arrivée de la police. La force, ya même plus besoin de la montrer, quelle économie! Après, on ferme à clé. Plutôt, dans le cas du pauvre hangar de Sangatte, on détruit. Un préfa, même immense, c'est pas trop dur à détruire. Un hangar qui avait servi à entreposer du matériel de chantier, avant que soixante mille existences y passent, misérables et déterminées, en trois coups de bulldozers, c'est bâclé. Ouvert en 1998, fermé en 2002, 1400 pauvres diables occupaient, aussi dignement qu'ils le pouvaient, les 600 places officielles. Fallait bien s'entasser, ça arrivait plus vite que ça ne partait, alors, forcément, l'humain stagnait un peu. Et puis, on peut pas rester 24 heures sur 24 dans un dortoir de 600 où on est 1400, alors ça débordait aux alentours, ça traînait, ça faisait tache, forcément. Puis, comme tous ces gens là voulaient "passer", passer en Angleterre, forcément encore, yavait des "passeurs".

Vous, quand vous voulez aller dans un autre pays, vous avez pas besoin de passeurs. Ca passe tout seul. Une carte d'identité suffit souvent, ou un passeport. Un visa dans les cas extrêmes, faut alors s'y prendre un peu à l'avance, quelques paperasses à remplir (ah, zut, encore des papiers! sont pénibles avec leurs papiers!). Ya bien quelques rares pays où vous pouvez pas entrer, ça tombe bien c'est des pays où vous n'avez aucune envie d'aller. Du coup, aucun passeur ne vient vous proposer ses services. Aucune délinquance ne s'installe dans le voisinage de ces humains là, à qui il suffit de remplir un formulaire pour entrer dans un autre pays que le leur. Ah oui, parce que c'est de la délinquance sinon. Aider à franchir une frontière, c'est un délit. Donner à manger, prêter son portable, offrir une douche, c'est un délit. Héberger (?) son mari quand il vient de recevoir une OQTF, obligation de quitter le territoire français, c'est aussi, bizarrement, un délit, une de nos amies s'était entendu dire ça. Je me demande si c'est bien vrai, mais la police ne peut pas mentir. Bon, on s'éloigne de Sangatte là.

Donc, voilà, le hangar de Sangatte a été fermé, le hangar de Sangatte a été détruit. Faut dire que "c'était plus supportable" c'est ce qu'ils ont dit à l'époque. Certains petits malins ont même parlé de camp de concentration. Pas faux, c'était bien un camp, un campement, et sacrément concentré. Ceux qui disaient ça, c'était pour horrifier le public. Pour que le public, qui des fois manque un peu d'imagination, se dise ah oui, faut fermer, c'est plus supportable, sans chercher plus loin, sans se demander et comment on fait, et où ils vont aller, et comment ils vont vivre même plus un toit sur la tête. Non, on ferme, on détruit, et basta. Le public, anesthésié et pas bien imaginatif, a-t-il vraiment cru que les humains qui étaient dedans, qu'on allait pousser dehors, allaient s'évaporer, se dissoudre, partir en fumée, comme ça, à la fermeture des portes? Ben non, le public est pas con, quand même. Il a juste évité d'y penser. Par contre, les journalistes y ont cru. Si, je vous dis, ils y ont cru. En tous cas, ils avaient l'air convaincus, au point de devenir presque convaincants. Et ensuite, ils ont été tout étonnés. Etonnés de voir que les humains étaient toujours là, qu'il en arrivait encore, qu'il en passait très peu. Ils ont découvert... "LA JUNGLE".

Cherchez pas la forêt amazonienne à Calais ni dans les environs. La jungle, c'est juste un mot destiné à faire peur, à évoquer les mille dangers de la sauvagerie, de ces bêtes féroces qui grouillent dans la pénombre, serpents, moustiques, félins au sourire carnassier. C'est destiné aussi à évoquer l'expression "loi de la jungle" un peu désuète maintenant qu'on l'a remplacée par "zone de non droit", mais qui fait encore son petit effet. Zone de non droit, c'est pas mal non plus, c'est encore un peu jeune mais ça commence à se charger d'histoire. Un peu ambigü quand même, ça pourrait vouloir dire "zone où sont parqués les humains à qui on refuse les droits humains élémentaire". Chez nous, on dit "droits de l'homme" mais on le dit de moins en moins de peur de se faire traiter de "droidelomiste", expression qui veut dire pauvre niais à la limite de la mauvaise foi qui croit encore que les humains ont des droits. C'est comme les droits de l'enfant, ah zut je m'égare encore loin de Sangatte. Ya pas d'enfant à Sangatte, presque pas. Heureusement, parce que "la jungle", c'est pas une vie. Non seulement les campements, les baraquements, construits de rien, tôles, planches de récup, bâches plastiques, sont précaires, non seulement ya ni douche ni eau potable, ya même une épidémie de gale impossible à éradiquer dans un tel contexte, mais en plus, périodiquement, on vient tout leur détruire, éparpiller leurs pauvres affaires, écraser tout ça au bull, les faire courir un peu, faut qu'ils fassent de l'exercice, ça maintient la forme.

Voilà ce qu'on a ouvert, en fermant le hangar de Sangatte. Voilà ce qu'on prétend "fermer" maintenant. Et donc je reviens à ma question initiale, comment on ferme une jungle? Des forêts autour de Calais, yen a un certain nombre. Comment on va empêcher les humains d'y revenir? Une «solution individuelle» sera proposée à chaque migrant : « retour volontaire », demande d'asile ou expulsion, a précisé notre (NOTRE?) ministre.Vous y croyez, vous, à la solution individuelle? Pour le moment, le ministre est content, le boulot se dégonfle tout seul. "Au total, il y avait environ 700 personnes dans ce village clandestin il y a trois mois. Il en reste aujourd'hui environ 300". Ben oui, ils se barrent, qu'est ce que vous feriez à leur place? Parmi les solutions individuelles, ya "expulsion". Ya aussi "retour volontaire", ça sent le gag. Le mec qui a supporté la jungle, s'il lui était possible de rentrer chez lui volontairement, il l'aurait déjà fait. "Demande d'asile", c'est moins comique pour le citoyen ordinaire pas trop curieux, mais comique triste pour ceux qui s'informent et comique rageur pour ceux qui aident des migrants à remplir leurs dossiers. Et à répondre à des exigences ubuesques comme "prouver que la police de votre pays n'a pas pu vous protéger". Je vous fais un dessin: vous allez, naïvement, vous plaindre à la police de votre pays d'une agression maffieuse ou autre. La police se fout de votre gueule, vous tabasse un peu, gentiment, et vous fait comprendre que vous avez tort de faire le mariole. N'oubliez pas, avant qu'elle vous jette dehors, de lui faire signer une attestation de non protection, vous en aurez besoin pour la demande d'asile. Même le mec qui peut exhiber des cicatrices de torture n'est pas sûr de son fait, faut l'entendre pour le croire. Et voilà que je m'égare encore, c'est une vraie jungle, cette histoire. Donc, ils se barrent, mais pas loin bien sûr, ya de la place dans les environs de Calais.

Au mieux, c'est râpé, encore une fois. Dans sept ans, rebelote, ce sera de nouveau "insupportable" pour le citoyen ordinaire qui souffre de voir souffrir ces gens, il est tellement sensible, qui a peur de la "délinquance" de la "violence" qu'une pareille situation, pense-t-il, ne peut manquer de produire. Pour Sangatte, le prétexte avait été une rixe entre locataires qui avait "dégénéré". Pour la jungle, on nous parle de montée de la délinquance, on nous dit que "les passeurs entendent faire la loi, rackettent et brutalisent les migrants, et les font vivre dans des conditions indignes". Ils ont bon dos, les passeurs. Parce que si vous remplacez le mot par "la police", ça marche aussi, possible que ça marche même mieux, les passeurs ménagent leur clientèle. On nous dit aussi que "les habitants de Calais subissent chaque jour des agressions", les associations présentes sur le terrain ne confirment pas, et il ne semble pas que ça dépasse l'agression... verbale, fort regrettable, certes, fort désagréable, mais... comment dire... Heureusement, le mot "délinquance" étant lâché, le citoyen ordinaire retrouve pour le coup son imagination, mais peut-être pas son bon sens. Le voilà prêt à approuver, comme un mal nécessaire, et à croire POSSIBLE la "fermeture" d'un espace de taille indéterminée, couvert de taillis et de petits bois, près de l'entrée d'un tunnel qui représente pour des milliers de migrants la porte du paradis. Comment on va fermer ça? comment on va empêcher des humains, d'autres humains, d'y revenir, d'y arriver, d'y rester "en attendant"?

Au mieux, c'est râpé, donc. Au pire? On attend le pire?

vendredi 11 septembre 2009

C'est notre petit arabe!

Tout le monde s'excite sur Brice Hortefeux, comme si son racisme haineux était un scoop. On l'a connu plus offensif et plus inquiétant que dans sa dernière prestation. On l'a surtout connu plus efficace, quand il atteignait, puis dépassait le quota des expulsions programmées, ou plus récemment quand il cautionnait la hausse délirante du nombre de gardes à vue et les exactions et abus prévisibles sinon programmés qui s'ensuivaient.

Par ailleurs, j'aimerais faire observer que c'est pas juste de braquer les projecteurs uniquement sur le haut du podium. Je voudrais faire sortir de l'ombre un excellent second rôle. On ignore encore (mais que font les journalistes?) l'identité de la charmante voix féminine (serait-ce du sexisme?) qui susurre sur un ton très "yabonbanania" LA phrase qui mériterait cinq colonnes à la une:

"C'est notre petit arabe!"

Et toutes mes condoléances attristées au "petit arabe" en question, qui n'a l'air de se douter de rien, qui persiste et signe même, mais qui va devoir, peut-être, affronter maintenant sa famille, ses amis... et ses ennemis. Bon courage, l'artiste!

samedi 20 juin 2009

Burqa à tous les repas

Bah franchement, ça devient comique. Hier soir, "C'est dans l'air" parle de la burqa. Bon, platitudes de rigueur, polémiques de rigueur. Ya l'élu français de France qui s'indigne, il a dû obliger la mariée à retirer son masque pour vérifier son identité. Paske sinon, il mariait pas. C'est évident, un maire doit savoir QUI il marie, sinon bien sûr le mariage est pas valable. Apparemment, d'ailleurs ça n'a posé aucun problème, mariée et témoin féminin ont retiré leur cache-sexe. Mais le maire s'indigne quand même, la burqa existe, il l'a rencontrée!

Ya aussi un autre français, mais pas de France, ça se voit à sa gueule et à son nom. Il doit répéter qu'il l'est, français, chaque fois qu'il commence une phrase qui pourrait laisser penser qu'il n'est pas violemment hostile à la burqa, ou simplement qu'il estime que ce n'est pas un problème majeur, brûlant et urgentissime. Ou encore quand il prétend qu'il existe des musulmans pour qui hommes et femmes sont égaux (mouarf, des cathos aussi prétendent ça). Français? Hé, prouve le, bonhomme, en criant haro sur la burqa plus fort que les autres, ou sinon, ta nationalité de papier, on pourrait bien te la retirer... ça s'est pas fait depuis longtemps, certes, mais jamais trop tard pour bien faire.

Ya la française pas de France, ça se voit à son nom, pas à sa gueule, surdiplômée, mais avec sur la tête un curieux bonnet qui lui cache le front et les oreilles. Mais ouf, on voit ses cheveux derrière et elle est très hostile à la burqa, acquittée. Je me demande quand même, soupçonneuse, si c'est pas une crypto: suffirait qu'en sortant elle pose le foulard qu'elle cache sûrement dans son sac sur sa belle chevelure blonde. Blonde? Mais c'est très mauvais pour la santé de se teindre en blonde, vu tous les produits chimiques que ça contient, ces colorants qu'on se met direct sur le cuir chevelu, absorption maximum, cancer assuré!

Oui, paske la santé, hein, c'est vachement important, et la burka c'est trèèèèès mauvais pour la santé. Ou alors, faut prendre de la vitamine D, le manque de soleil hein, ça pardonne pas. Oui, doit bien y avoir une flopée de bonnes femmes qui passent toutes leurs journées dans un appart pourri, avec le mur du taudis d'en face à quelques mètres, et qui ont pas beaucoup de temps pour aller faire du bikini à Paris-plage, mais celles-là, on leur pardonne, elles ont le bon goût d'être invisibles. INVISIBLES, c'est exactement ça, en fait, qu'on leur demande, aux bonnes femmes. Et celles qui portent burqa, c'est des sournoises, elles font SEMBLANT d'être invisibles, mais en réalité, elles sautent aux yeux de tout le monde, même de ceux, et ils sont nombreux, qui ont jamais vu de burqa ailleurs que sur une photo.

Bien sûr, ya l'inévitable Caroline Fourest, mais celle-là, je vous en parle pas, j'ai pas envie. D'ailleurs, je quitte la pièce, j'entends que l'émission se termine, ouf!

Je reviens quinze minutes plus tard. Burqa, rebelote. Là, c'est Canal Plus, le Grand Journal. J'aime bien mon mec, depuis le temps, on finit par avoir ses habitudes, mais là, ya du divorce dans l'air, je sens que je vais me louer un studio où yaura pas la télé, je re-quitte la pièce. D'ailleurs, j'ai une soirée avec des copains, des amoureux des livres, faudra que je vous en parle un jour, faites m'y penser.

Je monte dans ma voiture, France Info m'annonce qu'ils vont parler de ...la burqa, je change de station, France Inter... parle... de la burqa. Je renonce à mettre France Culture, j'éteins. Je crains pour la soirée copains, il suffirait que quelqu'un lance le sujet et hop, burqa jusqu'à minuit!

Vous avez pas l'impression, amies féministes, qu'on se fait avoir? Parce que pendant qu'on parle de ça, eh eh, on parle pas d'autre chose. Et en plus, on s'engueule entre nous... Double bénéfice pour les crétins (pas si crétins) qui nous gouvernent, et qui gouvernent, avec notre complicité, nos sujets d'indignation. Finalement, on a quelque chose de commun avec celles qui portent burqa, outre le fait d'être, comme elles, des femmes. On participe activement à notre propre mystification.

Happy end: j'ai passé une excellente soirée, on a beaucoup parlé de livres. Pas un mot sur la beurka!

jeudi 28 février 2008

Douce France

Je suis en petite forme, les amis, victime du blues de la déracinée. D'abord, il pleut. J'ai jamais aimé la pluie, mais quand je suis « chez moi », je me dis qu'elle arrose le jardin et refait le niveau de la nappe phréatique qui alimente la source. Et j'allume un beau feu dans la cheminée. Là, je suis pas chez moi. Depuis un mois, trois jours de soleil, un de pluie, et tout le reste de grisaille.

Ensuite, notre recherche de logement tourne en rond, trop loin ou trop bruyant, trop clean ou plutôt merdique, très cher toujours, pas disponible avant un mois, bref je me sens un peu à l'étroit dans ma petite chambre aussi sympathique soit-elle, et je ne parviens pas à me sentir « chez moi » dans les apparts que nous visitons.

Enfin, les infos venant de France nous arrivaient comme atténuées par la distance. Or, depuis quelques jours, déferle sur les écrans de TV5 Monde l'actualité française la plus honteuse et la plus nauséabonde qui soit. Accompagnée de commentaires perplexes ou goguenards, quand ce sont les infos canadiennes ou suisses, et de laborieuses justifications (modernité, spontanéité, virilité, et j'en passe) quand les infos viennent de France.

Le pire est pourtant ailleurs:

Le silence presque total sur une loi scélérate. Qui vise, théoriquement, les criminels susceptibles de récidiver. C'est déjà bien grave, enfermer quelqu'un pour ce qu'il est susceptible de faire.

Le Conseil Constitutionnel, qui devrait se lever comme un seul homme, se contente d'ergoter sur la question de la rétroactivité. Il a raison, c'est également très grave, de vouloir rendre une loi rétroactive. Mais en se centrant sur cet aspect là, il laisse passer le reste, et se donne, à bon compte une allure de résistant. Molle, la résistance, même sur la rétroactivité: "non, mais oui, dans le cas où... seulement si... "

Bref, la loi est entérinée dans son aspect le plus scandaleux. La seule réaction qui est à la hauteur de ce bouleversement de notre conception de la justice est celle de Robert Badinter:

« C’est un tournant très grave de notre droit. Les fondements de notre justice sont atteints. Que devient la présomption d’innocence, quand on est le présumé coupable potentiel d’un crime virtuel ?"

Jusqu'à ces derniers mois, je ne croyais pas que le fait d'être française fût un élément majeur de mon identité. Face à tout ce qui se passe depuis des années dans notre beau pays, les gens qui meurent sur les trottoirs, les lois scélérates entérinant la prison arbitraire pour les fous qu'on ne se donne pas les moyens de soigner, la stigmatisation de la jeunesse pauvre, l'indignité des centres de rétention pour étrangers, enfants et adultes mêlés, cet accablement, ce sentiment d'impuissance, il me faut bien maintenant le reconnaître pour ce qu'il est, profondément: une perte d'identité.

« La France trahit par là une part non codifiable de son identité, un des aspects fondamentaux, l'autre en est le colonialisme, de son rapport au monde: l'exaltation de la liberté pour tous ».

C'est écrit dans un tout petit livre, d'Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau, ça s'intitule « Quand les murs tombent »