Cette France là

Fil des billets

mercredi 1 septembre 2010

De très vieilles ombres

Après un été bien occupé, je me préparais à revenir vers vous avec plein de billets champêtres. Les récoltes qui se poursuivent, l'air vif qui sent l'automne entre deux journées torrides, Le compost de l'année qui se termine, celui de l'an prochain qui s'étoffe. Les liserons, les ronces, le chiendent qu'il faut tenir en respect plus que jamais "entre les deux vierges". Les papillons qui (pourquoi?) sont différents cette année, un mini élevage de doryphores pour me faire pardonner de "Jardinet".

Je vous aurais raconté mes deux petites princesses, qui se mettaient en route fébrilement au seul mot de "jardin", répétaient "escalier, escalier, encore un escalier", approximaient le mot "graines" devant les pavots desséchés, jouaient rituellement à les faire couler dans leurs mains pour les éparpiller au sol.

Et aussi la mare creusée par le papa de Jardinet, un rêve très ancien, différé faute de courage et qui est en train de devenir réalité.

Bon, je vous écrirai tout cela. Plus tard.

Mais pour l'instant, une date: 4 septembre.

Un rendez-vous: 14h à la Villeneuve de Grenoble.

Un lien: vers une affiche qui est en convergence totale, texte et couleurs, avec ce que je ressens au plus profond de moi.

Et un grand merci à Patrick Chamoiseau, c'est le boulot des poètes de trouver les mots quand ça s'étrangle dans nos gorges.

mardi 23 mars 2010

Laissez-les VIEILLIR ici!

"Madame Coulibaly a huit enfants qui sont nés en France et qui vivent en France. Six d'entre eux sont désormais adultes et ont la nationalité française. Les deux derniers sont mineurs. Ils ont 12 ans et 10 ans. Madame Coulibaly est même grand-mère. Elle est ici depuis 26 ans. Madame Coulibaly est lasse. La préfecture ne lui octroie que des Autorisations Provisoires de Séjour de 3 mois. Elle en est à son sixième récépissé. Ce dernier est un comble, il ne lui permet même plus de travailler."

Pour connaître la suite, pour SIGNER, c'est là.

Après les enfants,"Laissez-nous grandir ici", les jeunes majeurs "Jeunesse sans papiers, jeunesse volée", après les amoureux mis au ban public, après les travailleurs dont on ne saurait se passer (bâtiment, ménage, auxiliaires de vie) mais qu'on écrase sous une angoisse permanente "On bosse ici, on vit ici, on reste ici", voici venir le temps des grand-mères...

Il fait très beau ce matin, j'ai fait un petit tour frisquet dans mon jardin qui s'éveille, la journée s'annonce printanière, j'ai photographié les jacinthes en bouton de mon petit-fils. Je m'apprêtais à écrire LE billet jardinier que je remets toujours à demain.

Et puis non. Il se passe toujours quelque chose au royaume d'UBU.

jeudi 18 mars 2010

Ils tournèrent leurs carabines, Potemkine

Si vous n'en écoutez qu'une, que ce soit celle-là.

Et plus particulièrement pour ce moment là, celui où l'histoire bascule, et l'Histoire avec elle. A 2.08 minutes, les fusiliers marins sommés de tirer sur leurs camarades hésitent, se dérobent, résistent, et finalement détournent leurs fusils. Semant la panique chez les gradés. Ben oui, les fusils, prêts à l'emploi, sont chargés...

Pourtant, ce n'est pas cette seconde inoubliable (le sourire de Ferrat...) qui est la plus importante. C'est la fraction de seconde qui précède, celle où ça bascule dans les têtes. Celle où la tyrannie perd l'équilibre, parce qu'un de ses éléments déterminants lui fait soudain défaut: la résignation, le consentement, la "complicité" de l'opprimé.

C'est "La fille de l'Est" qui me donne le feu vert pour utiliser le mot "complicité". Dans un très beau texte, elle raconte un autre bascul: la minute où une jeune fille, violentée depuis toujours par sa mère, cesse brusquement de consentir. Et se retrouve libre sur un parking désert.

L'homme révolté, un homme qui dit "NON"

lundi 15 mars 2010

Calcul mental

Un exercice simple et instructif: avec plus de 50% d'abstention, n'oubliez pas de diviser par deux les pourcentages obtenus par chaque liste. On tombe à moins de 15% pour les premiers de la classe, à 6% pour les suivants, je parle même pas des 3, 2, 1, Zéro!

Sans compter ceux qui ne prennent même plus la peine de s'inscrire, et dont personne ne prend la peine d'évaluer le nombre.

Heureusement que tout ce monde là n'est pas allé à la pêche, yavait de quoi vider la mer et les rivières.

mardi 16 février 2010

Qu'allais-tu faire à la fontaine, corbleu, Marion?

Je ne me souviens plus quand j'ai entendu parler pour la première fois de couches lavables. J'ai dû, alors, évacuer l'info d'un ricanement, manquerait plus que ça! Mes souvenirs d'enfance étaient encore assez vifs, la lessiveuse à champignon qui bouillait interminablement sur la cuisinière à bois même en plein été, la vapeur d'eau partout, puis après de longues opérations dont le détail m'échappait, ces "drapeaux", ces "langes", ces "pointes" qui séchaient tout aussi interminablement au dessus de la même cuisinière, équipée de ce curieux ustensile aujourd'hui introuvable, que ma mère appelait un "parapluie". Des tringles pendaient le long du tuyau, accrochées à un anneau de fer qui entourait le dit tuyau, et on pouvait les relever à l'horizontale pour y étendre le linge.

Ma mère avait fait cinq enfants en neuf ans, (ratage de la) méthode Ogino oblige, autant dire que le séchoir n'a pas désempli en douze ans. Elle m'a d'ailleurs confié un jour que pour elle c'était même pas la lessive le plus dur, mais ce séchage et l'humidité que ça entretenait dans la maison déjà pas gâtée sur ce point: l'eau de condensation ruisselait le long des murs de la chambre de mes frères, j'en ai un souvenir visuel. Quand j'ai visité ce qui reste du Familistère Godin, et qu'on nous a expliqué que Godin interdisait la lessive dans les logements et avait prévu pour ça une buanderie collective dans un bâtiment à part (qui servait aussi de piscine... chauffée), j'ai tout de suite compris.

Je ne me souviens pas avoir vraiment vu ma mère laver, sauf pendant les vacances d'été, au lavoir du jardin de la grand mère, mais ça c'est plutôt un souvenir riant, la planche sur laquelle on frotte le linge mousseux, mes petites mains qui essaient de faire pareil, un jeu quoi, et puis toute la mousse qui s'en va dans l'eau claire, le linge qu'on tord, qu'on secoue pour le défroisser, la cuvette en fer blanc ou en émail moucheté de bleu dans laquelle on l'entasse pour aller l'étendre. A la maison, ma mère ne devait pas laver en notre présence. Une grand tante avait perdu deux enfants comme ça, tombés dans la lessiveuse bouillante. Ma mère avait une phobie de l'eau chaude, elle avait condamné la bouilloire incorporée au flanc de la cuisinière, pourtant si pratique, de l'eau chaude à volonté, il suffisait de poser un récipient par terre sous le robinet incorporé.

Plus tard, c'est moi qui ai dû m'y coller, sans trop d'expérience, ma mère ne nous sollicitait pas pour les vraies tâches ménagères, faire quelques courses, mettre et débarrasser la table, rien de plus. Elle estimait que nos études passaient avant et, femme au foyer toute sa vie, trouvait pourtant qu'une femme devait avoir un métier "on ne sait jamais" disait-elle pudiquement. Heureusement, il y avait le "Lavomatique". ma foi, j'enfournais tout dans une machine ou deux, avec parfois des effets de couleur imprévus, l'avantage c'est que ça séchait aussi, pas de buée dans le minuscule appartement. Pendant que les machines tournaient, on pouvait lire ou bavarder. Corvée, mais supportable.

Le jour où je suis rentrée seule de l'hôpital, ma première fille dans les bras, le ventre encore tendu de la cicatrice d'une césarienne, je flottais un peu dans mes nouveaux vêtements de mère. Finie la vie de bohème, les choses devenaient sérieuses et ça me plaisait bien même si j'étais loin d'être opérationnelle. J'ai déposé, un change après l'autre, les linges salis dans un seau d'eau savonneuse, puis j'ai considéré avec effarement le seau plein à la fin de la journée... que faire de ça? Je suis descendue à la pharmacie, et j'ai acheté des "Cotocouches". Je ne sais pas si la marque existe encore, elles étaient en coton hydrophile blanc dessus, rose dessous, on les utilisait avec une couche en plastique souple qu'on nouait devant et derrière pour les tout petits bébés, puis sur les hanches quand le bébé avait grossi.

Pharmacie? Cotocouches? Je ne roulais pourtant pas sur l'or, un salaire à peine en dessus du Smig qui à l'époque n'était pas bien élevé. Mais je voulais déjà "le meilleur" pour mon bébé, paraît que ça enchaîne les femmes, je voyais pas les choses comme ça. Je n'étais pas vraiment écolo, c'était loin d'être à la mode. Mais j'avais refusé avec indignation les couches Chix imprégnées d'hexachlorophène proposées d'emblée par la pharmacienne. J'avais soigneusement déchiffré l'étiquette, les toutes petites lettres, je me méfiais, on soldait à tour de bras un peu partout les savons Rexona qui empêchent de savoir que "à vue de nez il est cinq heures", traduisez qui empêchent les secrétaires de puer abominablement au nez de leur délicat patron. On soldait aussi par paniers entiers les dentifrices Signal avec leurs jolies rayures rouges qui vous faisaient les dents si blanches et la bouche si pure. Cet hexachlorophène qui imprégnait tous nos produits d'hygiène, était interdit aux USA, mais on écoulait les stocks en France, fallait faire vite. Et, après la catastrophe du talc Morhange, 36 bébés morts et (on en parlait moins) beaucoup d'autres handicapés à vie, il fallait faire encore plus vite. J'allais pas me laisser refiler ça pour mon bébé tout neuf!

De bébé en bébé, j'ai vu les couches jetables s'améliorer. Le "tout en un" d'abord. plus besoin de positionner et de nouer le plastique qu'il fallait, quand même, rincer et étendre: on jette tout, finie la lessive. Puis les petits élastiques sur les côtés: pas trop serrés, il ne faut pas laisser de vilaines marques sur la douce peau de bébé, mais assez quand même pour éviter les fuites. Je me souviens que, pour ma seconde fille, avec les selles un peu liquides que favorise l'allaitement au sein, yen avait plus dehors que dedans. Je passe sur les scratches "repositionnables" ça n'a l'air de rien, mais quand on avait scotché trop serré ou trop lâche, yavait plus rien à faire, la couche se déchirait et ça coûte cher une couche. Aujourd'hui, n'importe qui est capable de changer un bébé, même les hommes s'y sont mis, c'est dire... Je galège, il y a toujours eu des hommes capables de changer un bébé, un de mes oncles, quatre-vingts ans passés, était un vrai professionnel. Un autre faisait, mais pas très enthousiaste, sous le regard impérieux de son épouse. Mon père, non.

On est arrivés, comme ça, au "Même mouillés ils sont secs". En crèche, j'ai vu les éducatrices soupeser les couches pour savoir si elle étaient pleines ou vides, impossible de le détecter ni à l'oeil ni au toucher. L'enfant non plus n'en savait rien. A l'âge où il commence à se "sentir pisser" et à repérer la correspondance entre cette sensation et l'inconfort qui suit, le voilà privé de ce repère. Sur quinze ans de travail en Petite Enfance j'ai vu avec perplexité reculer l'âge d'acquisition de la "propreté". Les collègues, les parents, m'interpellaient. Alors qu'au début on me demandait souvent, en tant que psychologue, de convaincre les familles que la précocité de l'apprentissage pouvait nuire, je me retrouvais avec des enfants de trois ans qui se sentaient nus, déprotégés, sans cet accessoire par ailleurs de plus en plus charmant, petits nounours et fleurs champêtres à l'appui. Une auxiliaire de puériculture observatrice et futée m'avait confié qu'elle suggérait aux parents désemparés par la résistance de leur enfant déjà grand d'acheter désormais des couches bas de gamme, ni jolies ni confortables... et que ça marchait assez bien.

Mine de rien, on est là au coeur d'une question quasi philosophique. Quand l'instrument de notre liberté nous attache à lui, que penser de la liberté ainsi acquise? Comment imaginer se passer désormais de ça... et de bien d'autres choses? Se passer de la voiture? De l'éclairage "a giorno" au coeur de la nuit? Des teintures qui nous permettent de retrouver à quatre-vingts ans la blondeur de notre enfance? Des déodorants qui nous permettent de rester frais comme des roses quarante-huit heures durant? N'est-il pas, vraiment, venu le moment de faire le tri? Si certains et certaines ont décidé désormais de ne plus jeter les couches mais de les laver, de ne plus acheter du lait artificiel mais de le fabriquer comme notre corps nous le permet depuis toujours, d'interroger de façon plus pointue cette liberté qu'on nous propose à longueur d'écran d'acquérir à grands coups de carte bleue, ne faut-il pas accepter de nous interroger avec eux plutôt que d'en faire des repoussoirs?

Je fais déjà partie des affreux réactionnaires qui veulent enchaîner bobonne à sa niche écologique: non seulement je prépare une vraie purée de vrais brocolis... mais je les cultive, les brocolis! Bon, j'achète les plants, et je fais pas encore mes graines. Mais ça vient!

samedi 13 février 2010

Ce pauvre garçon

C'est vrai que son nom est difficile à prononcer et à écrire.

Nodar Kumaritashvili.

Bon, il est mort. Et c'est sa faute. Une erreur de pilotage. En aucun cas une erreur de conception de la piste. C'est une catastrophe. Une catastrophe humaine, bien sûr. (Se recueillir, condoléances, affection). Mais aussi (mais surtout), une catastrophe pour les Jeux. Qui doivent continuer (c'est pas un cadavre qui va les arrêter).

Didier Gailhaguet, c'est plus facile à prononcer, quoique délicat à écrire. C'est le nom du mec qui a dit tout ça. Ce matin sur France-Info, ça a duré 54 secondes et vous pouvez l'écouter , au bas de l'article, sous le titre "Une erreur de pilotage". Oh, pas en ces termes bien sûr. Beaucoup plus politiquement correct.

Moi, ce qui m'a le plus touchée, c'est "Ce pauvre garçon". Même pas il s'est donné la peine de chercher son nom, de se le faire épeler, de vérifier la bonne prononciation. Pas le temps. Trop pressé de dire que c'était pas la faute de la piste, pas la faute des jeux (merde, j'en oublie la majuscule!).

Ave, César, et que le cirque continue!

vendredi 5 février 2010

Sombreros et mantilles

Encore une histoire de couvre-chef. La coiffure de la demoiselle ressemble à s'y méprendre à ces mousselines que Brigitte Bardot mit, un temps, furieusement à la mode. Sauf que la dite mousseline s'attachait sous le menton avant de faire le tour du cou, pour finir par une petite boucle mignonne sur la nuque: c'est vachement plus dur de faire tenir en place en attachant directement derrière. Bon, c'est vrai qu'à cette époque là, Bardot ne faisait pas de politique, et les petites demoiselles qui se couvraient la tête à sa façon n'étaient même pas électrices, il fallait avoir 21 ans. Pour les vieux grincheux, ce foulard était, loin d'un signe de soumission à la loi du mâle, une preuve de plus de la déliquescence ridicule de la jeunesse. Et pour les jeunettes qui le portaient avec délices, un signe audacieux de leur insoumission aux vieux grincheux. Et aux vieilles grincheuses, soyons pas sexistes.

Les mêmes vieilles, grincheuses ou pas, il y en avait de sympas, avaient porté un foulard toute leur vie, dès lors qu'elles sortaient de la maison (pas trop souvent). Mes grand-mères ne seraient jamais sorties "en cheveux", et n'étaient pas assez riches pour porter un chapeau, sauf sur le tard, et encore rarement (coûtait cher, fallait pas l'user), quand les "retraites des vieux" ont été (un peu) revalorisées. Ma mère a également porté ce foulard assez tard, puis un chapeau, jusqu'à ce que ce ne soit même plus obligatoire à l'église et que la mode des chapeaux tombe à l'eau, ruinant les modistes. Ah, et puis yavait aussi les nonnes. Dont on ne devait jamais voir ni les cheveux, ni le cou. Et qui se sont retrouvées toutes bêtes, leur costume retiré, de s'apercevoir qu'elles étaient susceptibles de se faire draguer dans les squares. Quand les jeunes, à douze ans, faisaient leur "communion solennelle", ils avaient droit à une semaine d'absence pour la "retraite" qui précédait, et venaient benoîtement, le lendemain de la cérémonie, rendre visite en costume aux enseignants parfois sourdement irrités mais qui auraient peu apprécié qu'ils se dispensent de cette "politesse".

Et puis, c'était l'époque, à la cantine, du "poisson le vendredi". Des générations d'écoliers ont mangé du poisson le vendredi, pour ne pas chagriner les curés. Ils continuent, mais c'est pour complaire aux marchands de poisson. Souvenez-vous que le jeudi était le jour du catéchisme, et que le passage au mercredi avait soulevé une montagne de protestations. Nos vacances scolaires étaient (sont encore) rythmées par les fêtes religieuses, Noël et Pâques, Toussaint et Mardi Gras, ainsi que nos jours fériés, tous nos jours fériés sauf le 14 juillet, le 1er mai et le 8 mai. Ce fut toute une histoire quand il fallut décrocher les vacances "de Pâques" de la fête religieuse, qui se baladait trop dans le calendrier, accrochée qu'elle était au cycle lunaire. Et aussi créer trois zones, le dieu tourisme ayant détrôné le dieu de nos pères.

C'est dans cette ambiance que j'ai grandi, et l'école laïque ne m'a que très peu aidée à m'en distancier. Quelques profs, pourtant, sans faire de zèle inutile, m'ont amenée à me poser les bonnes questions. La bibliothèque municipale de ma commune m'a fait découvrir des livres qu'on ne lisait pas chez moi, des idées dont j'ignorais même l'existence. Je suis pourtant restée longtemps engluée, cherchant même, un temps, comiquement, à retrouver la foi que j'avais perdue. Ce qui ne m'empêche pas (au contraire) d'être devenue résolument athée. Et pourtant pas athée prosélyte. Surtout pas auprès des jeunes. Si j'avais eu à affronter ce genre de propagande à l'adolescence, je serais probablement restée engluée plus longtemps encore. Par esprit de contradiction, par défi.

Outre la religion, il y avait la bienséance. Je me marre quand j'entends parler de "journée de la jupe". Nous étions quelques-unes, venant de loin et à vélo, à avoir obtenu une dérogation pour porter des pantalons, je me souviens avoir eu les genoux marbrés de pourpre et de bleu par le froid. La dérogation pantalon précisait qu'ils devaient être "de couleur sombre et de coupe classique". Alors que les pattes d'éph n'avaient pas été inventées, je peine à m'imaginer ce qu'aurait pu être une coupe non classique. Mais les dénicheurs de péché ont toujours eu plus d'imagination que les pécheurs eux-mêmes.

Il y avait, il y a toujours, un syndicat appelé "Confédération Française des Travailleurs Chrétiens", une minorité ayant refusé de perdre l'étiquette "chrétien". En Europe, personne ne s'interrogeait sur la légitimité de l'appellation "Démocratie Chrétienne" . On n'en finirait pas de pister les nombreuses entorses à la neutralité laïque, et d'ailleurs, certains revendiquent aujourd'hui pour l'Europe des "racines chrétiennes".

Pendant longtemps, la laïcité a été contrainte de lutter contre une religion dominante, qui n'avait pas fait son deuil d'avoir été détrônée en tant que Religion d'Etat. Nous n'en sommes plus là, même si quelques fâcheux soubresauts nous laissent craindre qu'on pourrait y revenir. Pour ma part, je ne retire pas le droit à ceux qui en ont besoin de s'appuyer sur une religion ou une croyance. Je m'appuie bien, de façon tout aussi irrationnelle, sur ma croyance en l'être humain, alors même que la bonté de l'homme soit aussi improbable que celle d'un quelconque dieu. Je ne leur demande qu'une chose, ne pas tenter d'imposer leurs croyances, leurs modes de vie, et de ne pas censurer l'information pour manipuler par l'ignorance. Je n'oblige personne à recourir à l'avortement, mais je défends la liberté d'y avoir accès, ainsi que le droit pour tous d'être correctement informés de ce qui peut les protéger, préservatif par exemple. Je n'empêche personne de croire au mythe de la création, Adam et Eve issue de sa côte pour lui tenir compagnie, mais je refuse qu'on l'enseigne à nos enfants. Le Pape a autorité sur... ceux qui reconnaissent son autorité, c'est bien assez. Et c'est la même chose pour toutes les religions, elles n'exercent leur autorité que sur ceux qui la reconnaissent. C'est à dire que toute coercition leur est interdite, et tout lobbying visant à dépasser cette limite du consentement éclairé.

Le vrai danger est dans ces tentatives sournoises, et pas dans un carré de tissu sur la tête d'une jeune femme. Ce carré de tissu, comme le drap rouge que le torero agite devant le taureau, n'est qu'un leurre. Le taureau fonce bêtement, et le torero, d'un élégant mouvement de son petit cul fait exprès pour (dixit Pierre Desproges) se moque de lui. Sommes-nous des taureaux?

mercredi 13 janvier 2010

Camus, un homme qui dit non

J'ai eu envie de relire "L'homme révolté". Il me semblait que le destin de Camus n'était pas, absolument pas, d'être panthéonisé. C'était bien triste, cette histoire de Panthéon, mais bon, que son cadavre soit ici ou là, qu'importe, au Vietnam ils ont bien momifié Ho Chi Minh qui voulait que ses cendres soient dispersées au nord, au sud et au centre du Vietnam en symbole de son unité. Les morts n'appartiennent à personne, mais n'importe qui peut se les approprier, "Heureux ceux qui sont morts" osait poétiser Péguy.

Puis, je me suis aperçue que certains étaient en train de l'instrumentaliser. En particulier avec cette foutue phrase que tout un chacun répète comme un perroquet, sans se soucier ni d'en repérer le contexte, ni même de l'analyser correctement.

"Si je devais choisir entre la justice et ma mère, je choisirais ma mère".

Cette phrase, si on y réfléchit bien, dit clairement que choisir sa mère dans ce contexte serait bel et bien une injustice, même si c'est une injustice qu'il assume. Pourtant, le contexte dont il est question et le contexte des attentats dans des lieux publics, des attentats aveugles qui, loin de cibler un ennemi identifié, prennent le risque de tuer des civils innocents. Camus dit alors que, des attentats de ce type ayant lieu dans le tramway d'Alger, sa mère pourrait en être victime, d'où la référence à sa mère.

Je n'ai pas lu tout Camus, et de loin, et sans doute a-t-il écrit bien des choses que je désapprouverais. Quand au lycée j'ai lu "L'étranger", avec pas assez d'indépendance d'esprit pour me démarquer de l'obligatoire admiration que nous infusent les enseignants, j'avais cependant été assez gênée par ce personnage d'arabe dont on ne saura rien, sinon qu'il est mort d'un coup de couteau donné par un homme qui ne sait même pas pourquoi. Tandis que les états d'âme de "l'étranger" nous sont détaillés, l'arabe assassiné restera pour nous une ombre. Du soleil, un meurtre, et une silhouette en creux, une absence, un vide.

Mais c'est de "L'homme révolté" que je veux parler aujourd'hui. Et finalement, comment parler mieux d'un écrivain qu'en le citant? Alors, j'ai glané pour vous dans les premières pages ces quelques lignes:

"Qu'est-ce qu'un homme révolté? Un homme qui dit non. Mais s'il refuse, il ne renonce pas: c'est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. (...)

Jusque là, il se taisait au moins, abandonné à ce désespoir où une condition, même si on la juge injuste, est acceptée. (...)

Le révolté, au sens étymologique, fait volte-face. (...)

Le voilà qui fait face. (...)

Toute valeur n'entraîne pas la révolte, mais tout mouvement de révolte invoque tacitement une valeur. (...)

Toutes les exactions antérieures au mouvement d'insurrection, l'esclave les souffrait. Souvent même il avait reçu sans réagir des ordres plus révoltants que celui qui déclenche son refus. Il y apportait de la patience, les rejetant peut-être en lui-même, mais, puisqu'il se taisait, plus soucieux de son intérêt immédiat que conscient encore de son droit. Avec la perte de la patience, avec l'impatience, commence au contraire un mouvement qui peut s'étendre à tout ce qui, auparavant, était accepté. (...)

Remarquons ensuite que la révolte ne naît pas seulement, et forcément, chez l'opprimé, mais qu'elle peut naître aussi au spectacle de l'oppression dont un autre est victime."

Ce sera tout pour aujourd'hui. Avec, en prime, l'invitation à vous joindre à une révolte, une révolte qui, comme toute révolte dit Camus, invoque tacitement une valeur. Une parmi d'autres, il en est tant.

Exigeons la suppression d'un ministère de la honte. Il en est temps.

mercredi 9 décembre 2009

Tulipes et minarets

Mon identité est, en tous cas sur ce blog, surtout jardinière. J'ai déjà eu l'occasion de m'inquiéter de la pureté identitaire de mon jardin. C'est fou le nombre de plantes venues d'ailleurs auxquelles je vais devoir renoncer pour préserver cette pureté. Quel déchirement, plus de tomates, plus de pommes de terre, vais-je devoir arracher le figuier que j'ai planté au printemps dernier, et que faire des tulipes mises en terre en novembre?

Mon "Petit Jardinet" voulait absolument, cet automne, planter des oignons de tulipe. Il en avait un peu sa claque des légumes que son austère grand mère lui infligeait jusque là, et avait saisi au vol une suggestion de son arrière grand père pour me la seriner ensuite. Bah, moi j'aime pas trop les tulipes, je trouve que c'est une fleur qui manque de grâce et de souplesse. Sans doute, mon inconscient subodorait qu'elle manquait aussi de pureté nationale. Je me suis pourtant laissée convaincre. Nous avons, ensemble, préparé une bande de terrain, Petit Jardinet est tout à fait au point dans le maniement de la grelinette en terrain meuble. Pour être aussi performant en défrichage, seule lui manque encore -il n'a que six ans après tout- la force de planter et de soulever l'engin. J'ai acheté une dizaine d'oignons de tulipe, et trois de jacinthe. La jacinthe aussi, à mon goût, manque de souplesse et de grâce, mais elle est délicieusement parfumée.

Nous avons, ensemble, soigneusement choisi puis marqué l'emplacement de tout ce petit monde, tout près de la pelouse qui sépare le jardin du ruisseau. Petit Jardinet a conclu que désormais il mettrait seulement des fleurs dans son jardin, les poireaux, les haricots, la ciboulette... basta! Le reproche était discret mais net et sans bavure.

Et voilà que ce matin, va savoir pourquoi ce matin, un doute affreux s'insinue. Qu'une rapide visite sur Wikipedia transforme, hélas, en quasi certitude. Bon, je savais bien que la tulipe n'était pas vraiment française, c'est la Hollande le pays des tulipes (alors qu'elle n'est, vous le noterez, que "l'autre" pays du fromage). Mais la Hollande, c'est quand même un peu chez nous. Or, non seulement le mot tulipe n'est pas d'origine hollandaise, mais... je vous le donne en cent, je vous le donne en mille (hé ho, faites pas les malins, je vous ai bien vus cliquer sournoisement sur Wikipedia) le mot est d'origine turque! Pire, il signifie "turban". Et, tenez-vous bien, "prendre le turban" signifiait (en 1688 mais bon...) se convertir à l'Islam.

Je vérifie quand même, il faut toujours recouper ses infos. Je vérifie sur papier, j'ai entendu courir des bruits, internet serait suspect. Et me voilà à farfouiller dans le Robert, et pas n'importe lequel, pas le petit, le mesquin "Petit Robert" des pauvres. Non, un gros machin en deux tomes, intitulé sobrement "Dictionnaire historique de la langue française". Chépa si vous voyez la solidité de la caution. Quoique... je me prends à douter de la pureté idéologique du mot "historique". Paske "historique", hé, ça sous entend que la France, la langue, les mots ont une histoire. Vous suivez? Et s'ils ont une histoire, c'est qu'ils n'ont pas toujours, de toute éternité, été tels qu'ils sont aujourd'hui, alors quid de la France éternelle? Et voilà que ça se vérifie, la dangerosité du mot "histoire". Voilà qu'un mot innocent, à la consonance irréprochable, se révèle très impur par son... histoire.

Non seulement le mot tulipe nous vient du turc "tülbend" qui veut dire turban, mais ce mot a lui même été emprunté au persan "dul-i-band". Persan, ça dira peut-être rien à nos gouvernants, parce qu'il faut connaître à la fois l'histoire et la géographie pour savoir que la Perse... j'ose à peine vous le révéler... c'est l'Iran. Et c'est dans les jardins de Soliman le Magnifique que fut cueillie, en 1556, la fleur qui allait à partir de 1560 envahir sournoisement toute l'Europe de l'ouest et polluer non seulement les jardins mais les langues (italienne, provençale, espagnol, alémanique, russe, danoise, suédoise), la littérature (L'amateur de tulipes de La Bruyère, La tulipe noire d'Alexandre Dumas) et la vaisselle chic (verre tulipe).

Je regarde désormais avec méfiance cette étroite bande de terre que nous avons cultivée si gaiment, mon Petit Jardinet et moi. Que va-t-il en sortir au printemps? Une dizaine de petits minarets mauves? Hauts de cinquante centimètres certes mais un minaret reste un minaret, quelle qu'en soit la hauteur. Avec dedans une abeille précoce en train de zonzonner les cinq prières quotidiennes?

Ou une dizaine de minuscules centrales nucléaires, soigneusement cachées tout l'hiver aux satellites étazuniens?

Et Fanfan la Tulipe, on lui dit quoi?

mardi 8 décembre 2009

Qu'un sang impur abreuve et caetera...

Mon identité est-elle sanguinaire? On me somme de chanter la Marseillaise une fois par an. Pour Halloween, peut-être? Ces féroces soldats qui viennent jusque dans nos bras ne sont-ils pas de parfaits personnages d'épouvante? En agriculture biologique, le sang desséché est un fertilisant connu mais qui me répugnait quelque peu. Encore n'avais-je pas imaginé qu'il puisse s'agir de sang humain, encore moins impur. Pourquoi, impur d'ailleurs? On me dit que c'est une sarcastique allusion au sang réputé "pur" de ces nobles qui s'étaient exilés et qui, de leur exil, attaquaient vilement leur ancienne mère patrie... Mouais... n'empêche que l'idée qu'un sang puisse être impur me chiffonne un peu.

J'avais douze ans, et les nonnes qui veillaient sur ma pureté de l'époque, laquelle n'était pas celle de mon sang, mais celle de ma vertu ("Avez vous eu des pensées impures, mon enfant?), avaient trouvé mieux (ou pire?) que la Marseillaise pour gonfler notre enthousiasme patriotique: un poème de Péguy, mis en musique par chépaki. On peut dire ce qu'on veut de Péguy, mais lui au moins, c'était pas "Armons-nous et partez", il a payé de sa personne, il a fertilisé de son sang les sillons de je ne sais quelle campagne, laquelle fut malheureusement farcie en même temps de ferrailles et d'explosifs divers que les paysans continuent, quatre-vingt dix ans plus tard, à extirper de la boue, odieuse récolte.

Bref, il disait, ce poème de Charles Péguy affublé d'une pompeuse musique qui lui allait comme un gant:

"Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles, couchés dessus le sol à la face de Dieu"

Et moi, à douze ans, j'étais très en colère: les morts peuvent-ils être heureux? Et en y réfléchissant, je m'aperçois que je ne croyais déjà plus à la vie éternelle, est-ce que j'y ai vraiment cru un jour? Pour moi, les morts étaient morts, point. Malheureux, à la rigueur, quoique... mais heureux? quelle imposture! Une image funèbre me venait, celle de ces cadavres étendus bien en ordre, couchés sur le dos, face au ciel. La lumière était déclinante, le ciel nuageux et sombre, comme avant certains orages. Et le dieu de Péguy, jouissait de les contempler. Je n'avais pas encore bien réalisé ce qu'avait été cette guerre de 14, qu'un de mes grands pères avait faite mais dont il ne parlait jamais. Je n'avais pas lu Céline "Toutes ces viandes saignaient énormément ensemble", je n'avais pas vu les tragiques illustrations de Tardi, mes morts étaient très propres, très sages, alignés comme à la morgue, sous un ciel d'encre. Mais bordel de merde, pas heureux, PAS HEUREUX!

Seulement, dans la Marseillaise, c'est bien pire, c'est pas les morts qui sont heureux, c'est les assassins. Ceux qui se réjouissent de tuer, de faire couler le sang, et qui, les sagouins hypocrites, qualifient d'avance ce sang d'impur pour se dédouaner.

Ca me rappelle qu'au moment de la première guerre du golfe, des affiches sur les murs refusaient de "Mourir pour du pétrole". Et là aussi, j'étais en colère, car c'était un mensonge, il ne s'agissait pas de "mourir", mais de TUER pour du pétrole. Pareil quand on a rapatrié les cercueils de "nos" soldats, morts en Afghanistan: c'est tragique de mourir à vingt ans, même si on s'est "engagé" (engagé à quoi?), mais moi je me disais qu'avant de mourir, ils avaient bien dû apprendre à TUER, non? Et je regardais mon "petit dernier", qui avait tout juste leur âge, un peu homme sans doute, mais le visage de l'enfant encore présent en filigrane, et je me demandais ce qui m'épouvantait le plus, qu'il puisse mourir ou qu'il doive tuer?

Je pensais aussi à cette autre guerre qu'on a si longtemps appelée "les évènements d'Algérie". En 1958, les nonnes, toujours les mêmes, nous avaient fait un ptit exposé, histoire de pallier à notre totale ignorance de toute actualité, un exposé succinct mais somme toute pas trop partial: Un certain De Gaulle était sur le point de prendre le pouvoir, ses partisans disaient que lui seul pouvait mettre fin à la guerre d'Algérie, ses adversaires qu'il représentait un danger de dictature. Moi, j'étais contre la dictature (à 14 ans, tout ce que je voulais, c'est que personne me donne des ordres). Ma copine, elle, était pour De Gaulle, elle voulait la fin de la guerre. Parce que son frère en était revenu, de cette guerre, transformé de manière inquiétante. Sombre, irritable, solitaire. Et qu'elle l'avait surpris, assis sur la margelle du puits, en train de regarder au fond. Le dernier roman de Laurent Mauvignier, "Des hommes" évoque ces soldats perdus et inconsolables.

Je me souviens d'une très longue interview de Jean Faure, alors député ou peut-être sénateur, en tous cas maire d'Autrans. Chrétiens convaincus, lui et ses copains étaient partis pour cette guerre avec la recommandation pressante de leurs aumôniers de "préserver leur pureté". Diable, encore cette foutue pureté? Ah ben, ça voulait dire tout bêtement... pas coucher avec les putes. Jean Faure évoquait pudiquement les "corvées de bois", même pas le courage d'appeler les meurtres par leur nom. Les aumôniers n'avaient-ils pas pensé que tuer des innocents, torturer des adversaires, violer des paysannes était autrement dangereux pour la pureté de ces innocents petits soldats qu'un pti tour au bordel?

Alors, voilà, la Marseillaise, je demande à ce qu'elle soit interdite aux moins de seize ans. Et formellement déconseillée aux autres, à tous les autres. Ca me ferait bien mal au ventre que mon petit rossignol jardinier chante cette saloperie, cette indécente saloperie. D'ailleurs, si, quelques années plus tard "Napoléon perçait sous Bonaparte", ce serait pas la faute à la Marseillaise et à ses conquérantes paroles?

Ah voui, Péguy met une condition à son enthousiasme nécrophile: "pourvu que ce soit dans une juste guerre". Vous en connaissez, vous, des guerres qualifiées d'emblée d'injustes par leurs ardents promoteurs?

dimanche 6 décembre 2009

Mon identité est littéraire

France, mère des arts, des armes et des lois,

Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle :

Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,

Je remplis de ton nom les antres et les bois.

Si tu m'as pour enfant avoué quelquefois,

Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?

France, France, réponds à ma triste querelle.

Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix.

Entre les loups cruels j'erre parmi la plaine,

Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleine

D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau.

Las, tes autres agneaux n'ont faute de pâture,

Ils ne craignent le loup, le vent ni la froidure :

Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.

Sur une idée de Paul Jorion, que je remercie, comme je remercie le Yéti de m'avoir guidée vers lui. Mais celui qui méprise "La princesse de Clèves", connaît-il seulement le nom de Joachim du Bellay?

vendredi 4 décembre 2009

Mon identité n'est pas nationale

"Toi la nguoi phap: je suis française".

Une phrase que nous avons dû apprendre à répéter chaque fois que des vietnamiens, ayant repéré, bien sûr, à notre faciès (ah ben non, hein, on utilise pas le mot "faciès" dans ce cas là!), que nous étions non seulement étrangers mais occidentaux, commençaient à nous parler anglais. Pendant quelques secondes, cela devenait notre identité principale. Soit on s'en tient là, parce qu'on n'a rien de plus à se dire, parce que l'interlocuteur ne connaît pas la langue, soit la relation s'approfondit, et alors c'est tout autre chose qui s'amorce.

Pourquoi revendiquer ainsi le fait d'être français? Bah, tout bêtement parce que c'est la LANGUE que nous parlons et que c'est pratique de parler la même langue. Aucun nationalisme là dedans. Quoique... un peu de tristesse de voir que cette langue que nous aimons, peu de jeunes désormais l'apprennent, et ça diminue régulièrement. Quand François Fillon se pointe à Hanoi, laissant les français deux heures à l'attendre sous le soleil puis repartir, pour certains d'entre eux qui avaient des obligations, le ventre vide, c'est pour signer des contrats. Pas pour conforter la langue et la culture, qui ne sont, et de loin, pas une priorité. Bizness n'est pas français (ni anglais d'ailleurs).

A la campagne, dans les ruelles des villages, c'est parfois un très vieux qui nous aborde, fier de pouvoir dire quelques mots surnageant de son enfance colonisée, mais parfois beaucoup plus que quelques mots. Ainsi, nous avons eu pour guide, dans la région de Buôn Mê Thuôt, une très vieille dame, plus de quatre-vingts ans, qui parlait un français superbe, alliance étonnante d'une langue à la grammaire et à la prononciation impeccables avec la souplesse, la spontanéité de la langue parlée d'aujourd'hui. L'élégance de son costume ethnique rivalisait avec celle de son langage. D'ailleurs, elle parlait au moins trois langues, puisque s'ajoutait au français et au vietnamien officiel la langue de son ethnie, dont à ma grande honte j'ai oublié le nom.

Quelques jeunes pourtant s'obstinent, de moins en moins nombreux. A l'Espace Culturel Français de Hanoi, une jeune vietnamienne m'aborde amicalement. Elle est venue précisément pour avoir l'occasion de parler français, beaucoup d'étudiants le font. Elle me parle en riant de notre président bling-bling. J'écarquille les yeux, le monde entier connaît-il ce surnom sarcastique? Mais elle rit encore, elle doit ce savoir à des amis français.

Nous avons maintenant beaucoup d'amis là bas. Quelle tristesse de leur expliquer, quand ils essaient de venir en France, qu'ils n'y seront pas les bienvenus, que nous ne pourrons pas leur rendre l'hospitalité qu'ils nous ont si généreusement offerte. Nous devons cacher à cette dame, en lui apportant les cadeaux de son fils qui étudie en France, qu'il y est devenu un "sans papiers" menacé dans tous ses déplacements par un contrôle au faciès. Depuis deux ans, elle ne peut plus lui envoyer d'argent, le père est décédé brutalement et elle a juste de quoi vivre. Alors, le jeune homme a dû travailler, et ses études en ont souffert. Pourtant, revenir au pays sans le diplôme pour lequel sa famille a tant sacrifié ... impossible.

Une de nos amies fréquente un français. Devons-nous la prévenir que son mariage sera considéré ici comme "gris", que notre état si démocratique lui fera subir d'humiliantes intrusions dans sa vie privée, mettra en doute sa sincérité, lui prêtera de sordides calculs, la soupçonnera d'une "escroquerie sentimentale"? C'est une jeune fille fière, je n'ai même pas osé aborder ce sujet.

Une autre jeune fille voulait venir visiter sa soeur, étudiante en France. Nous avons dû, après avoir tenté des démarches compliquées et incertaines, lui refuser notre aide. Ou plutôt, ses parents ont renoncé, en voyant que c'était si compliqué pour nous. Humiliation partagée.

Notre petite gazelle a eu un an le mois dernier: nous avons été présents dès les premiers jours, nous lui avons rendu visite, elle a passé une partie de l'été chez nous, aucune frontière ne nous sépare. Mais elle n'a jamais vu sa grand mère algérienne. C'est en août seulement que son père a enfin obtenu le Saint Graal, la fameuse carte de séjour de dix ans. La vieille dame va pouvoir faire connaissance avec sa petite fille et sa belle-fille dont elle ne connaît que la voix au téléphone... et revoir son fils absent depuis si longtemps.

Je suis française, puisque "née en France d'un père qui y est également né". Je n'en tire ni gloire, ni honte. J'aime la langue qui est la mienne depuis mon enfance, j'aime les paysages de montagne où j'ai vécu la plus grande part de ma vie. Je n'aime pas le chauvinisme haineux qui prend de plus en plus de place dans ce pays, qui le fait pourrir "par la tête", comme les poissons. J'aime les gens qui, comme moi, tentent de résister à l'invasion nationaliste, qui tentent de rester ouverts, amicaux, généreux avec tous, sans leur demander leurs papiers, sans même y penser, pour qui des yeux en amande ou une couleur de peau ne sont pas un "faciès". Si quelques minarets apparaissaient ici ou là, dérisoire concurrence (?) aux innombrables clochers de ce pays (ya même des tout petits villages, qui, comme Colombey, ont deux églises), je n'en ferais pas une maladie. Ils ne pourront jamais être aussi invasifs que les églises grandioses et quelque peu kitsch dont "nous" avons affublé les campagnes et les villes du Vietnam. Mais les vietnamiens s'en accommodent, ils ont même dans le delta du Mékong un édifice religieux invraisemblable où le Christ voisine avec Victor Hugo, Bouddha ... et Tchang Kai Tchek.

A propos de minaret, je n'oublie pas que la très catholique cathédrale du Puy, étape mythique sur le trajet du non moins mythique pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle, présente sur l'ogive d'une de ses portes... un verset du Coran déguisé en inoffensive "arabesque". Merci au petit artisan malicieux qui nous a laissé ce témoignage de son humour! C'est ça que j'aime en France (et ailleurs aussi), ces petits clins d'oeil qui nous rappellent qu'à côté de l'Histoire des Grands, des Rois, des Guerriers, il y a la toute petite histoire, bien plus charnue, bien plus vivante et véridique des habitants ordinaires qui ont tenté de glisser leurs petits bonheurs et hélas leurs malheurs entre les canons et les massacres, entre les frontières et les contrôles, entre les charters et les barbelés. Qui ont tenté de VIVRE, simplement.

vendredi 23 octobre 2009

L'homme au chapeau

Dans une salle de cinéma, au premier rang, une ombre gigantesque: un homme coiffé d'un chapeau haut de forme. Derrière lui, un spectateur s'agace: "Chapeau! Chapeau!". L'homme au chapeau ne bronche pas. Deux ou trois autres reprennent "Chapeau! Chapeau! Chapeau". l'homme au chapeau reste ferme et droit sous son chapeau. C'est une cinquantaine de personnes qui maintenant reprennent en choeur la protestation, hurlent, frappent des pieds.

Finalement, le désordre est tel que l'homme finit par... ôter son chapeau.

Alors, c'est un déferlement. Toute la salle hurle "Dégonflé, dégonflé!"

Et le film? Quelqu'un sait de quoi il parlait, le film?

lundi 21 septembre 2009

Chronique d'un démantèlement annoncé

Fermer Sangatte: c'est fait. "Démanteler rapidement la "Jungle" de Calais": c'est programmé. Ministre sinistre (eh, qu'alliez-vous penser? "sinistre", ça veut dire de gauche) de "(la chasse à) l'humain et des expulsions, Eric Besson va encore frapper. Il l'a dit, répété, il le scande, il va le faire. Avant la fin de CETTE semaine.

Chaque fois que j'entends ça, chaque fois que j'y pense, je me repose la même question: et comment vont-ils faire?

Fermer un hangar, on voit bien, on a déjà vu. On fait sortir les gens. C'est tout. La première fois, ça a fait du bruit, il a fallu briser à coups de hache la porte d'une église. Victor Hugo, Esmeralda, Quasimodo, pleurez! Maintenant, c'est rodé. Il faut un certain nombre de policiers. Ils doivent savoir calculer ça dans les officines où on gère l'humain. Il faut qu'ils soient assez nombreux pour que "les autres" comprennent qu'ils n'auront pas le dessus. Qu'ils n'ont aucune chance. Montrer la force pour éviter de s'en servir. Alors, les actualités télévisées vous les filment, ces "autres". Ils sortent, tranquilles, calmes, et si ça bout dedans, si ça désespère, si ça s'affole, ça ne se voit pas ou à peine à l'écran. Une phrase devenue banale vous informe que le lieu "a été évacué ce matin par la police sans incidents". Il arrive même que les "autres", les indésirables, évacuent avant l'arrivée de la police. La force, ya même plus besoin de la montrer, quelle économie! Après, on ferme à clé. Plutôt, dans le cas du pauvre hangar de Sangatte, on détruit. Un préfa, même immense, c'est pas trop dur à détruire. Un hangar qui avait servi à entreposer du matériel de chantier, avant que soixante mille existences y passent, misérables et déterminées, en trois coups de bulldozers, c'est bâclé. Ouvert en 1998, fermé en 2002, 1400 pauvres diables occupaient, aussi dignement qu'ils le pouvaient, les 600 places officielles. Fallait bien s'entasser, ça arrivait plus vite que ça ne partait, alors, forcément, l'humain stagnait un peu. Et puis, on peut pas rester 24 heures sur 24 dans un dortoir de 600 où on est 1400, alors ça débordait aux alentours, ça traînait, ça faisait tache, forcément. Puis, comme tous ces gens là voulaient "passer", passer en Angleterre, forcément encore, yavait des "passeurs".

Vous, quand vous voulez aller dans un autre pays, vous avez pas besoin de passeurs. Ca passe tout seul. Une carte d'identité suffit souvent, ou un passeport. Un visa dans les cas extrêmes, faut alors s'y prendre un peu à l'avance, quelques paperasses à remplir (ah, zut, encore des papiers! sont pénibles avec leurs papiers!). Ya bien quelques rares pays où vous pouvez pas entrer, ça tombe bien c'est des pays où vous n'avez aucune envie d'aller. Du coup, aucun passeur ne vient vous proposer ses services. Aucune délinquance ne s'installe dans le voisinage de ces humains là, à qui il suffit de remplir un formulaire pour entrer dans un autre pays que le leur. Ah oui, parce que c'est de la délinquance sinon. Aider à franchir une frontière, c'est un délit. Donner à manger, prêter son portable, offrir une douche, c'est un délit. Héberger (?) son mari quand il vient de recevoir une OQTF, obligation de quitter le territoire français, c'est aussi, bizarrement, un délit, une de nos amies s'était entendu dire ça. Je me demande si c'est bien vrai, mais la police ne peut pas mentir. Bon, on s'éloigne de Sangatte là.

Donc, voilà, le hangar de Sangatte a été fermé, le hangar de Sangatte a été détruit. Faut dire que "c'était plus supportable" c'est ce qu'ils ont dit à l'époque. Certains petits malins ont même parlé de camp de concentration. Pas faux, c'était bien un camp, un campement, et sacrément concentré. Ceux qui disaient ça, c'était pour horrifier le public. Pour que le public, qui des fois manque un peu d'imagination, se dise ah oui, faut fermer, c'est plus supportable, sans chercher plus loin, sans se demander et comment on fait, et où ils vont aller, et comment ils vont vivre même plus un toit sur la tête. Non, on ferme, on détruit, et basta. Le public, anesthésié et pas bien imaginatif, a-t-il vraiment cru que les humains qui étaient dedans, qu'on allait pousser dehors, allaient s'évaporer, se dissoudre, partir en fumée, comme ça, à la fermeture des portes? Ben non, le public est pas con, quand même. Il a juste évité d'y penser. Par contre, les journalistes y ont cru. Si, je vous dis, ils y ont cru. En tous cas, ils avaient l'air convaincus, au point de devenir presque convaincants. Et ensuite, ils ont été tout étonnés. Etonnés de voir que les humains étaient toujours là, qu'il en arrivait encore, qu'il en passait très peu. Ils ont découvert... "LA JUNGLE".

Cherchez pas la forêt amazonienne à Calais ni dans les environs. La jungle, c'est juste un mot destiné à faire peur, à évoquer les mille dangers de la sauvagerie, de ces bêtes féroces qui grouillent dans la pénombre, serpents, moustiques, félins au sourire carnassier. C'est destiné aussi à évoquer l'expression "loi de la jungle" un peu désuète maintenant qu'on l'a remplacée par "zone de non droit", mais qui fait encore son petit effet. Zone de non droit, c'est pas mal non plus, c'est encore un peu jeune mais ça commence à se charger d'histoire. Un peu ambigü quand même, ça pourrait vouloir dire "zone où sont parqués les humains à qui on refuse les droits humains élémentaire". Chez nous, on dit "droits de l'homme" mais on le dit de moins en moins de peur de se faire traiter de "droidelomiste", expression qui veut dire pauvre niais à la limite de la mauvaise foi qui croit encore que les humains ont des droits. C'est comme les droits de l'enfant, ah zut je m'égare encore loin de Sangatte. Ya pas d'enfant à Sangatte, presque pas. Heureusement, parce que "la jungle", c'est pas une vie. Non seulement les campements, les baraquements, construits de rien, tôles, planches de récup, bâches plastiques, sont précaires, non seulement ya ni douche ni eau potable, ya même une épidémie de gale impossible à éradiquer dans un tel contexte, mais en plus, périodiquement, on vient tout leur détruire, éparpiller leurs pauvres affaires, écraser tout ça au bull, les faire courir un peu, faut qu'ils fassent de l'exercice, ça maintient la forme.

Voilà ce qu'on a ouvert, en fermant le hangar de Sangatte. Voilà ce qu'on prétend "fermer" maintenant. Et donc je reviens à ma question initiale, comment on ferme une jungle? Des forêts autour de Calais, yen a un certain nombre. Comment on va empêcher les humains d'y revenir? Une «solution individuelle» sera proposée à chaque migrant : « retour volontaire », demande d'asile ou expulsion, a précisé notre (NOTRE?) ministre.Vous y croyez, vous, à la solution individuelle? Pour le moment, le ministre est content, le boulot se dégonfle tout seul. "Au total, il y avait environ 700 personnes dans ce village clandestin il y a trois mois. Il en reste aujourd'hui environ 300". Ben oui, ils se barrent, qu'est ce que vous feriez à leur place? Parmi les solutions individuelles, ya "expulsion". Ya aussi "retour volontaire", ça sent le gag. Le mec qui a supporté la jungle, s'il lui était possible de rentrer chez lui volontairement, il l'aurait déjà fait. "Demande d'asile", c'est moins comique pour le citoyen ordinaire pas trop curieux, mais comique triste pour ceux qui s'informent et comique rageur pour ceux qui aident des migrants à remplir leurs dossiers. Et à répondre à des exigences ubuesques comme "prouver que la police de votre pays n'a pas pu vous protéger". Je vous fais un dessin: vous allez, naïvement, vous plaindre à la police de votre pays d'une agression maffieuse ou autre. La police se fout de votre gueule, vous tabasse un peu, gentiment, et vous fait comprendre que vous avez tort de faire le mariole. N'oubliez pas, avant qu'elle vous jette dehors, de lui faire signer une attestation de non protection, vous en aurez besoin pour la demande d'asile. Même le mec qui peut exhiber des cicatrices de torture n'est pas sûr de son fait, faut l'entendre pour le croire. Et voilà que je m'égare encore, c'est une vraie jungle, cette histoire. Donc, ils se barrent, mais pas loin bien sûr, ya de la place dans les environs de Calais.

Au mieux, c'est râpé, encore une fois. Dans sept ans, rebelote, ce sera de nouveau "insupportable" pour le citoyen ordinaire qui souffre de voir souffrir ces gens, il est tellement sensible, qui a peur de la "délinquance" de la "violence" qu'une pareille situation, pense-t-il, ne peut manquer de produire. Pour Sangatte, le prétexte avait été une rixe entre locataires qui avait "dégénéré". Pour la jungle, on nous parle de montée de la délinquance, on nous dit que "les passeurs entendent faire la loi, rackettent et brutalisent les migrants, et les font vivre dans des conditions indignes". Ils ont bon dos, les passeurs. Parce que si vous remplacez le mot par "la police", ça marche aussi, possible que ça marche même mieux, les passeurs ménagent leur clientèle. On nous dit aussi que "les habitants de Calais subissent chaque jour des agressions", les associations présentes sur le terrain ne confirment pas, et il ne semble pas que ça dépasse l'agression... verbale, fort regrettable, certes, fort désagréable, mais... comment dire... Heureusement, le mot "délinquance" étant lâché, le citoyen ordinaire retrouve pour le coup son imagination, mais peut-être pas son bon sens. Le voilà prêt à approuver, comme un mal nécessaire, et à croire POSSIBLE la "fermeture" d'un espace de taille indéterminée, couvert de taillis et de petits bois, près de l'entrée d'un tunnel qui représente pour des milliers de migrants la porte du paradis. Comment on va fermer ça? comment on va empêcher des humains, d'autres humains, d'y revenir, d'y arriver, d'y rester "en attendant"?

Au mieux, c'est râpé, donc. Au pire? On attend le pire?

vendredi 11 septembre 2009

C'est notre petit arabe!

Tout le monde s'excite sur Brice Hortefeux, comme si son racisme haineux était un scoop. On l'a connu plus offensif et plus inquiétant que dans sa dernière prestation. On l'a surtout connu plus efficace, quand il atteignait, puis dépassait le quota des expulsions programmées, ou plus récemment quand il cautionnait la hausse délirante du nombre de gardes à vue et les exactions et abus prévisibles sinon programmés qui s'ensuivaient.

Par ailleurs, j'aimerais faire observer que c'est pas juste de braquer les projecteurs uniquement sur le haut du podium. Je voudrais faire sortir de l'ombre un excellent second rôle. On ignore encore (mais que font les journalistes?) l'identité de la charmante voix féminine (serait-ce du sexisme?) qui susurre sur un ton très "yabonbanania" LA phrase qui mériterait cinq colonnes à la une:

"C'est notre petit arabe!"

Et toutes mes condoléances attristées au "petit arabe" en question, qui n'a l'air de se douter de rien, qui persiste et signe même, mais qui va devoir, peut-être, affronter maintenant sa famille, ses amis... et ses ennemis. Bon courage, l'artiste!

samedi 20 juin 2009

Burqa à tous les repas

Bah franchement, ça devient comique. Hier soir, "C'est dans l'air" parle de la burqa. Bon, platitudes de rigueur, polémiques de rigueur. Ya l'élu français de France qui s'indigne, il a dû obliger la mariée à retirer son masque pour vérifier son identité. Paske sinon, il mariait pas. C'est évident, un maire doit savoir QUI il marie, sinon bien sûr le mariage est pas valable. Apparemment, d'ailleurs ça n'a posé aucun problème, mariée et témoin féminin ont retiré leur cache-sexe. Mais le maire s'indigne quand même, la burqa existe, il l'a rencontrée!

Ya aussi un autre français, mais pas de France, ça se voit à sa gueule et à son nom. Il doit répéter qu'il l'est, français, chaque fois qu'il commence une phrase qui pourrait laisser penser qu'il n'est pas violemment hostile à la burqa, ou simplement qu'il estime que ce n'est pas un problème majeur, brûlant et urgentissime. Ou encore quand il prétend qu'il existe des musulmans pour qui hommes et femmes sont égaux (mouarf, des cathos aussi prétendent ça). Français? Hé, prouve le, bonhomme, en criant haro sur la burqa plus fort que les autres, ou sinon, ta nationalité de papier, on pourrait bien te la retirer... ça s'est pas fait depuis longtemps, certes, mais jamais trop tard pour bien faire.

Ya la française pas de France, ça se voit à son nom, pas à sa gueule, surdiplômée, mais avec sur la tête un curieux bonnet qui lui cache le front et les oreilles. Mais ouf, on voit ses cheveux derrière et elle est très hostile à la burqa, acquittée. Je me demande quand même, soupçonneuse, si c'est pas une crypto: suffirait qu'en sortant elle pose le foulard qu'elle cache sûrement dans son sac sur sa belle chevelure blonde. Blonde? Mais c'est très mauvais pour la santé de se teindre en blonde, vu tous les produits chimiques que ça contient, ces colorants qu'on se met direct sur le cuir chevelu, absorption maximum, cancer assuré!

Oui, paske la santé, hein, c'est vachement important, et la burka c'est trèèèèès mauvais pour la santé. Ou alors, faut prendre de la vitamine D, le manque de soleil hein, ça pardonne pas. Oui, doit bien y avoir une flopée de bonnes femmes qui passent toutes leurs journées dans un appart pourri, avec le mur du taudis d'en face à quelques mètres, et qui ont pas beaucoup de temps pour aller faire du bikini à Paris-plage, mais celles-là, on leur pardonne, elles ont le bon goût d'être invisibles. INVISIBLES, c'est exactement ça, en fait, qu'on leur demande, aux bonnes femmes. Et celles qui portent burqa, c'est des sournoises, elles font SEMBLANT d'être invisibles, mais en réalité, elles sautent aux yeux de tout le monde, même de ceux, et ils sont nombreux, qui ont jamais vu de burqa ailleurs que sur une photo.

Bien sûr, ya l'inévitable Caroline Fourest, mais celle-là, je vous en parle pas, j'ai pas envie. D'ailleurs, je quitte la pièce, j'entends que l'émission se termine, ouf!

Je reviens quinze minutes plus tard. Burqa, rebelote. Là, c'est Canal Plus, le Grand Journal. J'aime bien mon mec, depuis le temps, on finit par avoir ses habitudes, mais là, ya du divorce dans l'air, je sens que je vais me louer un studio où yaura pas la télé, je re-quitte la pièce. D'ailleurs, j'ai une soirée avec des copains, des amoureux des livres, faudra que je vous en parle un jour, faites m'y penser.

Je monte dans ma voiture, France Info m'annonce qu'ils vont parler de ...la burqa, je change de station, France Inter... parle... de la burqa. Je renonce à mettre France Culture, j'éteins. Je crains pour la soirée copains, il suffirait que quelqu'un lance le sujet et hop, burqa jusqu'à minuit!

Vous avez pas l'impression, amies féministes, qu'on se fait avoir? Parce que pendant qu'on parle de ça, eh eh, on parle pas d'autre chose. Et en plus, on s'engueule entre nous... Double bénéfice pour les crétins (pas si crétins) qui nous gouvernent, et qui gouvernent, avec notre complicité, nos sujets d'indignation. Finalement, on a quelque chose de commun avec celles qui portent burqa, outre le fait d'être, comme elles, des femmes. On participe activement à notre propre mystification.

Happy end: j'ai passé une excellente soirée, on a beaucoup parlé de livres. Pas un mot sur la beurka!

lundi 11 mai 2009

Fred Vargas au Brésil pour Cesare Battisti

Je vous ai déjà parlé de Fred Vargas. Il s'agissait alors de "récupérer du crottin" . Mais pas seulement. Car c'était, aussi, à propos d'un très beau texte qu'elle avait rédigé pour Europe-Ecologie. Merci à Vert chez moi pour m'avoir signalé le point de départ de ce texte qui se promenait sur le net sans ses papiers d'origine.

Si je vous reparle d'elle aujourd'hui, c'est pas parce que je suis allée récupérer du crottin ce matin pour préparer le repiquage de mes plants de potimarron, butternut et courge de Hubbard, bien que ce soit très exactement ce que j'ai fait. C'est parce que ce soir lundi, sur Arte à 19h30, vous pourrez la voir dansle cadre de l'émission Arte Culture. Au Brésil. Elle fait quoi, au Brésil? Pas exactement du tourisme, elle y poursuit, avec une rare obstination, un combat commencé depuis des années. Un combat pour une liberté, celle de Cesare Battisti.

Cesare lui-même, vous pourrez le voir le samedi 16 mai à 19h, toujours sur Arte, interviewé par Melissa Monteiro et Jérôme da Silva dans Arte Reportages.

Je n'écris rien de plus aujourd'hui, je dois mettre ce billet en ligne immédiatement, vous pourriez manquer Fred Vargas si je traîne!

vendredi 8 mai 2009

Journalisme de frivolité

Sur France Info, ce matin, un mini reportage pris sur le vif comme ils les aiment. Et comme je les aime aussi, ne boudons pas notre plaisir.

Ca se passe dans le Doubs. Des paysans ont amené trois vaches dans un quartier urbain. Ils invitent les passants à déguster le lait sorti tout frais tout chaud du pis des vaches.

Petit micro-trottoir, ya ceux qui aiment, ceux que ça leur rappelle leur enfance, ya aussi les gosses qui aiment moins, le goût trop fort, et aussi ça les dégoûte un peu l'idée que ça sort du pis des vaches, précisément. C'est comme la viande, mieux vaut pas trop savoir d'où ça vient, hé? Petit couplet sur "on s'en sort pas, on le vend à un prix qui couvre à peine les frais, impossible d'espérer en plus se tirer un salaire alors que c'est quand même du boulot de traire tous les matins et tous les soirs, plus les soins aux bêtes". La journaliste explique benoîtement qu'ils font ça pour sensibiliser le consommateur en mettant en évidence la différence entre prix d'achat et prix de vente. Elle explique aussi qu'ils ont recueilli 400 signatures. Et basta. C'est mignon tout plein, cette petite tranche de campagne en ville, ce pti déj au lait bourru. Mais on va rester avec une question sur le bout de la langue: à combien on le leur achète, le lait, pour qu'un 8 mai au matin ils viennent faire de la pédagogie sur le trottoir?

En fait, ça me turlupine un peu, cette histoire. Paske, ces paysans qui se sont levés de bonne heure, un peu plus que d'habitude, pour fourrer trois vaches dans une bétaillère, c'était pour prendre à témoin le public justement du prix auquel on leur paie le litre de lait, en le faisant contraster avec celui auquel le consommateur achète le litre de lait. Ils ont dû être très contents qu'une journaliste s'intéresse à leur histoire. En plus de toucher 400 personnes, leur petite mise en scène allait s'offrir comme public les auditeurs de France Info. C'est raté, les gars, la prochaine fois adressez-vous à un VRAI journaliste. Là, vous aviez seulement affaire à un amuseur public.

Et puis ça continue à me turlupiner: c'était quand même l'information principale, impossible qu'elle ait "oublié" de nous la donner. En plus, d'habitude, les chiffres, ils nous en farcissent les oreilles, au moins celui là nous aurait parlé, des centimes d'euro on en a tous dans notre poche (c'est pas comme les milliards des banquiers). Alors, si elle a pas oublié de donner l'info, c'est qu'elle a été sciemment supprimée.

Je raisonne bien? Ou je suis parano? Ou les deux?

mardi 28 avril 2009

Laissez chanter les salopards!

Je voulais pas en parler. D'ailleurs, j'avais promis à Fajua d'écrire sur le bonheur.

Tous les blogs féministes se sont acharnés sur ce pauvre garçon. Ont vilipendé ses chansons. Ont réclamé, parfois obtenu, sa déprogrammation. D'autres l'ont défendu. Ont crié à la censure. Ont parlé, fort bien, de la liberté de l'artiste. Se sont indignés de l'outrecuidance de ces hystériques féministes. On sait, depuis Freud qui a donné à cette maladie un nom incontestablement féminin, que seules les femmes peuvent être hystériques puisque seules les femmes ont un utérus. On sait aussi que le nom de maladies psychiques est tout désigné pour servir d'insulte, il n'est qu'à voir comme prolifère le mot "shizophrènes" pour désigner les hypocrites et les cyniques, et comme "autiste" est devenu synonyme de méprisant, genre "cause toujours, pauvre con".

Le monsieur lui-même, après il me semble un temps d'hésitation, est descendu dans l'arène, sans crainte d'être déchiré par les furies. Il y a plusieurs versions, légèrement différentes, de son point de vue.

Une d'entre elles est brute de décoffrage: Il s'étonne qu'on puisse être choqué par ses paroles: "Déjà quand on est entre potes, nous, on parle comme ça, alors ça nous choque pas."

Dans une autre, il tente d'expliquer le contexte et d'édulcorer: "Sale Pute, c’est l’histoire d’un gars qui tombe sur sa copine en train de le tromper, il est dégouté, il rentre chez lui, il boit, il ressasse ce qui s’est passé, il craque et lui envoie un message sur internet où il la menace." puis nous livre sa vision des relations hommes/femmes: "pour moi, quand tu es en situation de couple, tu es obligé de défendre tes couleurs et être un peu égoïste. Je suis peut-être un peu macho, c’est vrai ! Mais pas misogyne ! Oui, quand je sors avec une fille, je ne pense un peu qu’à ma gueule et je prends le plaisir là où il y en a…"

Finalement, on a droit à la version politiquement correcte, on entend presque le souffleur derrière, et on voit apparaître les mots "dénoncer" et "malheureusement" (ouf, il était temps!)

"Je comprends que ce morceau ait pu choquer certaines personnes et je m'en excuse. Il faut pour autant le remettre dans son contexte. Je ne cautionne pas ce que fait ce type dans la chanson, c'est juste une manière pour moi de le dénoncer, c'est fictif. Ce n'est pas un morceau autobiographique, mais plutôt un fait qui existe, malheureusement. Après je conçois que les paroles crues puissent déranger."

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Ce qu'on a peu noté, c'est que ce type n'est qu'un porte parole, un instrument de mesure. Je ne souhaite pas qu'il soit censuré. Au contraire, il nous faut bien entendre et faire entendre ce qu'il dit, écrit, chante. Et bien réfléchir à ce que ça signifie, qu'un mec chante ça, certes, mais SURTOUT qu'il trouve un public pour l'écouter, l'apprécier, des gens pour dire que c'est de l'art, et d'autres pour dire que non, mais c'est pas grave.

Il faut nous souvenir (par exemple) que dans toutes les guerres (et les non guerres) pourries des siècles et des siècles, des soldats (et des non soldats) ont violé et éventré des femmes pour sortir des foetus de leurs ventres. Pas à l'opinel, là, on sent un peu le manque d'expérience et d'outillage. Mais ça continue, encore et encore. Et un mec en fait une chanson, rajoute sa "petite entreprise" perso à la grande, et conclut "Là, c'est que des paroles". Bien vu, mon pote!

On peut se souvenir aussi que parmi les motifs des meurtres de femmes, à côté de "La soupe était pas assez chaude" (véridique) il y a, en très bonne place "la salope était infidèle" ou "La garce voulait me quitter".

Merci à Orelsan de nous faire souvenir de tout ça, et du reste. Finalement, dans la mesure où un artiste est le reflet de son époque, Orelsan est bien un artiste.

Fajua, désolée, pour le bonheur, on dirait que je suis pas encore en condition aujourd'hui.

lundi 9 mars 2009

Cinq gus dans un garage

Moi, j'y connais rien, à internet en général et à la loi Hadopi en particulier. J'utilise mon blog un peu comme un traitement de texte, toutes ses potentialités me demeurent hermétiques, vous avez vu, je sais même pas y placer une photo. Un peu comme si j'avais un téléphone portable dont je me servirais QUE pour téléphoner. Tu fais pitié, la vieille.

Mais j'ai vu virer au noir, le noir du deuil, à moins que ce ne soit celui de la colère, plusieurs blogs amis. Du coup, je me renseigne un peu. Et récemment, le truc des "cinq gus dans un garage" m'a bien fait marrer.

Ca commence par un site de combat, qui s'appelle "La quadrature du net". Vous connaissez le terme "La quadrature du cercle" pour signifier quelque chose d'impossible à résoudre. Moi aussi, mais pas vraiment, j'en ai appris plus ce matin. Des mathématiciens ont essayé vainement, pendant trois millénaires semble-t-il, de construire géométriquement à partir d'un cercle, un carré qui aurait la même surface que ce cercle. Hé bé... ça existe pas. Par nature, ça peut pas exister. Mais il a fallu trois millénaires pour s'y résigner, puis le démontrer. Cette impossibilité a un rapport avec le fait que le nombre connu sous le nom de "Pi" soit 3,1416 et des poussières, possède un nombre infini de décimales. Un nombre infini de poussières, sur lequel de très grands mathématiciens se sont cassé les dents. Comme je suis pas sûre d'avoir bien compris ni bien expliqué, je vous renvoie à leur texte. L'idée des mecs de "la quadrature du net", c'est que ceux qui essaient de domestiquer le net vont faire pareil. Mission impossible. "Ils rament à contre-courant de l'histoire".

Le 8 mars, une première dépêche de l'Agence France Presse, relate une de leurs actions en ces termes: "Un collectif de citoyens, La Quadrature du Net, encourage les internautes à abreuver les députés de mails hostiles à cette loi". Vous noterez l'emploi du verbe "abreuver" qui est tout sauf neutre. Au cas où vous n'auriez pas compris que ce sont des belus, l'AFP enfonce le clou: "Ce sont cinq gus dans un garage qui font des mails à la chaîne, relativise le cabinet de madame Albanel".

Sauf que ça, c'est à 8h13. Une dizaine d'heures plus tard, les cinq gus et leur garage ont disparu de la dépêche, remplacés par une formulation moins spontanée et beaucoup moins affriolante: "Le Ministère de la Culture a riposté dimanche en lançant une campagne d'information auprès des parlementaires qui recevront tous les jours une lettre électronique défendant le texte avec des témoignages d'artistes et de professionnels".

Trop tard, internet est un média ultra chaud et qui a une mémoire d'éléphant. Les cinq gus dans leur garage sont devenus célèbres et font déjà des vagues bien loin de leur sommaire abri. Un site est créé pour immortaliser l'expression. PCInpact nous refait toute la chronologie, preuves à l'appui. L'Agence France Presse essaie de donner pour son rectificatif sournois une explication tirée par les cheveux. La photo du garage où Hewlet Packard a fait ses débuts circule sur les blogs. Je rajouterais volontiers que l'aviation aussi a commencé dans un garage avec quelques cinglés qui faisaient rire les gens sérieux. Quant à savoir si Hewlet Packard et l'aviation sont un grand pas pour l'humanité, je n'entamerai pas ici le débat.

Cet incident rigolo m'inspire d'autres réflexions. Nous sommes gouvernés, et c'est pas nouveau mais ça prend des proportions grandioses, par le mépris, le mensonge et l'ignorance. La bêtise aussi?

Le mépris: Pas seulement dans le texte initial, mais aussi dans le correctif: "campagne d'information", suivi de "lettre électronique" ça fait vachement plus sérieux que "mails à la chaîne" quoique... est ce fondamentalement différent? "témoignages d'artistes et de professionnels" ouais, ça en jette. Combien de gus ça fait, au juste, tout ça? Une secrétaire dans un bureau Louis XV?

Le mensonge: Passons sur le correctif emberlificoté, un enfant de cinq ans qui ne veut pas reconnaître avoir dit une grosse bêtise est plus subtil. Il est très facile, s'agissant de mails envoyés par internet, de savoir si les messages viennent d'un seul ordinateur, voire de quatre ou cinq, ou s'ils sont envoyés par des milliers de personnes, d'autant que la plupart d'entre eux signent très certainement leurs courriers. Le ministère SAIT que les mails qui indisposent les députés UMP ne proviennent pas seulement de quelques internautes, mais d'une multitude.

L'ignorance: A moins que dans le cabinet de la ministre, ils ne sachent même pas ça? En tous cas, en matière de grandes inventions, ils devraient savoir que les débuts précaires font immédiatement surgir des personnages célèbres et mythiques: Archimède dans sa baignoire, Bernard Palissy brûlant ses meubles, Newton sous son pommier, Latécoère dans son garage, et autres images d'Epinal font partie intégrante, aujourd'hui, de la culture populaire. On ne peut pas déconsidérer un créatif en prétendant qu'il travaille avec des bouts de ficelle.

La bêtise: Ils semblent avoir fort bien compris quelle menace le net représente pour eux, c'est pas par hasard qu'ils essaient de le museler. Mais manifestement ils n'ont pas encore tiré toutes les conséquences de ce savoir. Laisser passer sur internet une phrase aussi attractive, puis tenter de la retirer... dix heures plus tard... pas fufu. Leur piège à campagnols super efficace... ils se sont pris les doigts dedans. Ouille, ça fait mal!

PS: à propos de bêtise, ne m'en veuillez pas si vous en trouvez dans ce texte, je suis pas ministre, moi, j'ai pas de "cabinet" super professionnel. Mon ordi est dans un couloir, j'ai même pas de garage.

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